Citations de Nadia Murad (10)
Je pense encore qu’être obligé de quitter son foyer parce qu’on a peur est la pire des injustices que peut subir un être humain. On vous prive de tout ce que vous aimez, et vous risquez votre peau pour vivre en un lieu qui n’a aucun sens pour vous et où, parce que vous venez d’un pays associé à des images de guerre et de terrorisme, vous n’êtes pas le bienvenu. Vous passez ainsi le reste de votre vie dans la nostalgie de ce que vous avez perdu tout en espérant ne pas être expulsé.
(Le Livre de Poche, p.84)
Si le poids de plusieurs siècles de méfiance pesait sur nos relations- il était difficile de ne pas se vexer quand un musulman invité à un mariage refusait, si poliment que ce fût, de partager notre nourriture-, cela n’empêchait pas une véritable amitié.
Quand nous avons pris la poule et les poussins, c’était pour vous avertir que nous allions prendre vos femmes et vos enfants. Quand nous avons pris le bélier, c’était comme si nous prenions vos chefs de tribu et, quand nous l’avons tué, cela voulait dire que nous avions l’intention de tuer ces chefs. Quant à l’agnelle, elle représentait vos filles.
Les meurtres d'honneur sont une réalité dans la société yézédie comme dans l'ensemble de l'Irak, et nous considérons la conversion à une autre religion que la nôtre comme une trahison à l'égard de la famille et de la communauté, en partie parce que, au fil des siècles, les Yézédis ont fréquemment été contraints de se convertir pour avoir la vie sauve. Il n'empêche que nous ne tuons pas les femmes et les hommes qui abjurent le Yézédisme, et que nous avons tous eu honte de ce que la famille de Doa lui avait fait.
Ma mère m’aimait, mais elle ne m’avait pas désirée. Plusieurs mois avant ma conception, elle avait commencé à mettre de côté tout l’argent qu’elle pouvait – un dinar par-ci, par-là, la monnaie des courses quand elle allait au marché ou le prix d’une livre de tomates vendue à la sauvette – pour avoir accès aux moyens de contraception qu’elle n’osait pas demander à mon père. Les Yézidis ne se marient pas avec des membres d’autres religions et la conversion au yézidisme n’est pas autorisée.
Il est vrai que la guerre changeait les gens, les hommes surtout. Cela ne faisait pas si longtemps que Saeed jouait encore avec moi et avec notre nièce Kathrine dans notre cour et qu’il était encore trop petit pour savoir que les garçons n’étaient pas censés aimer les poupées. Ces derniers temps, pourtant, Saeed avait été littéralement obsédé par la violence qui balayait l’Irak et la Syrie. Récemment, je l’avais surpris en train de regarder des vidéos de décapitations de l’État islamique sur son téléphone portable, les images tremblant dans sa main, et j’avais été étonnée qu’il brandisse l’appareil pour que je puisse regarder, moi aussi.
Les Yézédis ont longtemps vécu ainsi, fiers de leurs croyances et satisfaits de se tenir à l'écart des autres communautés. Nous n'ambitionnions pas d'avoir plus de terres ni de pouvoir, et rien dans notre religion ne nous commande de conquérir les populations non yézédies et de repandre notre foi. De toute façon, personne ne peut se convertir au yézédisme.
Nous n’étions plus des êtres humains - nous étions des sabaya.
Personne n’a proposé d’entraîner les hommes yézidis, personne ne les a encouragés à participer à la lutte contre les terroristes. Les peshmergas nous assuraient que, tant qu’ils seraient là, nous n’avions aucune inquiétude à avoir, et qu’ils étaient aussi résolus à protéger les Yézidis que si c’était la capitale du Kurdistan irakien. « Nous préférerions assister à la chute d’Erbil qu’à celle du Sinjar », affirmaient-ils. On nous disait d’avoir confiance en eux, et c’est ce que nous avons fait.
Nous traitions les peshmergas comme des invités d’honneur. Ils dormaient à l’école, sur des paillasses, et, chaque semaine, une famille différente tuait un agneau pour les nourrir – un gros sacrifice pour de modestes villageois. Moi aussi, j’admirais ces combattants. J’avais entendu parler de femmes kurdes de Syrie et de Turquie qui se battaient contre les terroristes, armes à la main, et cette pensée m’avait enhardie.