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Citation de Cielvariable


Depuis qu’elle était entrée au carmel, elle avait perdu l’habitude du luxe qui avait entouré son enfance comme un miroir craquelé de toutes parts. Un miroir malade, brisé par les folies meurtrières de sa mère. Marie-Madeleine de Brinvilliers. Pourquoi avait-il fallu qu’elle porte le même prénom que cette femme qu’elle exécrait? Quand elle ne pouvait faire autrement que de parler de sa mère, Marie-Madeleine disait: «La Brinvilliers» ou tout simplement «Elle», comme si c’eût été une étrangère. Si elle avait quitté le carmel, c’était en partie pour ne plus se retrouver seule avec elle-même. Cependant, que faisait-elle d’autre sinon s’isoler au cœur de Paris? Il lui semblait que sa tête contenait toute la cacophonie de la rue et qu’une horde de chevaux martelait son cerveau. Elle referma la tenture et alluma une grosse bougie de cire blanche. Ainsi enfermée dans une fausse nuit, elle avait l’impression de retrouver un peu de calme et de sécurité, comme si les ombres engloutissaient les bruits de la rue et ceux de sa tête.
Marie-Madeleine était une jeune fille et n’avait plus du tout envie de jouer. Elle aurait aimé pourtant, garder un peu de cette insouciance qui l’empêchait de penser à la mort. Mais quand la vie donne trop de gifles, elle tue les fous rires. Marie-Madeleine aurait voulu trouver le secret permettant de fabriquer un parfum mêlant toutes les odeurs de l’enfance, en effaçant celles de sa mère. Une fiole qu’elle garderait toujours sur elle, contre sa peau et qui distillerait des senteurs de fleurs, de cire, d’ébène, de cannelle, de fruits confits, de brioches, de confitures et de coffres à jouets. Malheureusement, toutes ces odeurs-là, si douces autrefois, étaient aujourd’hui imprégnées du venin de sa mère. Elle avait tissé sa toile nauséabonde sur tous les souvenirs de sa fille. Marie-Madeleine n’avait plus d’autre refuge que le présent, souillé lui
Aussi par le scandale ayant éclaboussé la famille. De son père et de ses trois frères, la jeune fille n’avait plus aucune nouvelle depuis la mort de sa mère. Il faut avouer qu’elle n’avait pas cherché à en avoir, comme si le fait de renouer avec les liens familiaux risquait de gangrener une blessure qui ne cessait de suppurer. Elle n’avait plus vu ses frères depuis son entrée au carmel, à l’âge de dix-sept ans, mais elle avait de leurs nouvelles par son père qui lui écrivait souvent et venait la voir de temps en temps, derrière les doubles grilles du parloir. La seule qu’elle voyait encore régulièrement, était sa sœur Thérèse, carmélite. Mais depuis l’exécution de sa mère, il y a deux mois, elle avait perdu tout contact avec le monde et s’était retirée dans cette chambre de la rue du Petit-Lion, avec une servante dévouée qui logeait dans les combles et s’occupait de la nourrir. C’était le seul luxe que s’était octroyé Marie-Madeleine et uniquement pour ne pas devoir sortir. Jeanne, la servante, ne savait même pas qui était réellement sa maîtresse, celle-ci ayant fait changer son nom de Brinvilliers en Offémont, nom du domaine où elle allait autrefois passer ses vacances avec son père qui chassait le loup, à quelques lieues de Compiègne. Personne ne savait rien d’elle; ni d’où elle venait, ni où elle se cachait. Elle avait soigneusement veillé à effacer toute trace derrière elle. Du moins, le croyait-elle…
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