À la dérive de
Nadine Poirier
Zoé, ma petite sœur, avait sept ans, et moi, huit ans, lorsque les employés de la protection de la jeunesse sont venus nous chercher. Même si j’ai tout essayé pour défendre maman, en jurant que le coup de couteau était un accident, rien de ce que j’ai dit n’a fait de différence. – Ma mère a trébuché derrière moi avec le couteau. – Je me suis fait cette blessure en tombant de mon lit. J’avais une explication pour chacune de mes ecchymoses, chacune de mes cicatrices, même si certaines remontaient à si longtemps que je ne me souvenais pas de comment je les avais eues. Zoé n’avait rien, elle, parce que je la protégeais. Je me rappelle m’être placé entre elle et maman pour prendre les coups. Malgré mes objections, les médecins étaient catégoriques : nous souffrions aussi de malnutrition. Et puis, il y avait le dossier de notre école. Madame Marie-Christine et madame Janice, nos professeures, avaient l’œil pour ces choses-là. À cette époque, je ne pouvais pas concevoir que ma mère nous ait laissés partir. C’était plus facile pour moi de penser que nous avions été enlevés, plutôt que de comprendre que nous avions été « placés » dans une autre famille. Le jour de notre « enlèvement », Zoé n’a pas pleuré. Elle allait habiter dans une vraie maison. Comme ses poupées, pour qui elle inventait la vie de château. La réalité était trop difficile pour ma sœur. De mon côté, ç’a été le commencement d’un long refus, la naissance d’une colère indescriptible. Ma mère n’a rien fait pour les en empêcher. Comme si nous n’avions pas plus de valeur à ses yeux que les bouteilles vides qui traînaient sur le balcon.
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