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Citation de Nieva


Je ne sais pas encore comment ils se sont rencontrés mais je sais que le monde dans lequel leur rencontre a eu lieu était un monde de fous, Paddon, un monde totalement dément dans lequel les êtres humains étaient éparpillés à travers des espaces vides et plats à l’infini, ici une maison et puis rien à perte de vue, là une autre maison et puis rien rien rien. C’était un monde de solitude indicible, un monde de frayeur et de difficulté, et il se peut qu’aucune communauté humaine jamais n’ait été aussi primitive, tous ses membres luttant séparément pour survivre, incapables de communiquer les uns avec les autres, se préoccupant exclusivement d’arracher à la terre une subsistance, leurs gestes et leurs paroles étant réduits au strict minimum, se nourrir s’habiller travailler gagner de l’argent l’argent le travail les habits la nourriture, et leur âme n’ayant de comptes à rendre qu’à Dieu – encore que ce mot signifiât pour eux trente-six choses différentes : c’étaient des mennonites des huttérites des mormons des adventistes du septième jour des méthodistes des baptistes des catholiques, et deux ou trois pauvres juifs égarés là par hasard. Ici il y avait un Finlandais et là-bas un Allemand, ici un Hollandais et là un Suédois, voici un Anglais et voilà un Polonais, par là un Ukrainien et par ici un Français de souche noble en fuite du monde moderne pourrissant. Ils avaient amené leurs épouses avec eux ou les avaient fait venir une fois la maison construite, ou bien ils avaient mis une petite annonce pour chercher une fiancée énergique et prête à les aider, et quand les femmes sont arrivées, laissant derrière elles des villes comme Vienne où Schoenberg était en train de mettre les dernières touches à son système dodécaphonique, Barcelone où Picasso ébahissait ses maîtres à l’Académie, Paris où Charcot exhibait à de sobres et barbus étudiants en médecine ses voluptueuses hystériques en chemise blanche figées dans diverses postures érotiques – oui, abandonnant salles de concert, cathédrales et cafés-théâtres, dentelles, lustres et meubles sculptés, et débarquant rompues de fatigue au bout de plusieurs semaines de voyage par bateau et puis par train, voilà ce qu’elles ont trouvé : rien. Pas de pâtés de maisons, pas de papotages, pas d’échanges de recettes, pas de potins sur les amis, rien que le Far West à l’état le plus sauvage, bien plus sauvage maintenant que cent ans auparavant, plus sauvage que les recoins les plus paumés de l’Afrique ou de l’Amazonie, une terre remplie de vide et de langues étrangères et de durs travaux à faire et à refaire et à refaire.
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