Natalia García Freire, Mortepeau (2/2)
Toutes les maisons doivent regorger de secrets que personne ne déterrera jamais ; comme les grottes anciennes où la mort s’est couverte de terre et de roches, comme le fleuve qui charrie le sang et le dépose dans ses parties les plus sombres, les maisons dissimulent de si nombreuses disparitions qu’elles se vident de leurs forces et commencent à se morceler.
Je ne crois pas que mon défunt père m’observe.
Mais son corps est enterré dans ce jardin, ce qui reste du jardin de ma mère, entouré de limaces, d’araignées-chameaux, de lombrics, de fourmis, de coléoptères et de cloportes. Peut-être même qu’un scorpion s’est posé près de son visage à moitié décomposé, et tous les deux évoquent les dessins qui ornent les tombeaux des pharaons égyptiens.
Nous l’avons enterré à proximité de l’endroit où je m’allonge, derrière ces statues de pierre. Si je creuse toute la nuit, je pourrai le trouver, qui sait si j’attraperai en premiers ses mains, ses pieds ou le bas du pantalon de son costume noir. Qui sait comment son cadavre s’est installé pour reposer en paix. Nous l’avons mis en terre sans prendre la peine de changer le vieux complet qu’il portait, car son corps sentait déjà.
Tout est arrivé si vite que ce n’est que maintenant, après tant de jours et de nuits, que je commence à le considérer comme un mort, de ceux condamnés à errer. Et la nuit parfois, je lui parle.
(Incipit)
Quand les larves de mouche s’apprêtent à éclore, tout se liquéfie à l’intérieur de leur cocon pour former un être complètement différent : une mouche. Des pattes effilées et des ailes géométriquement bien taillées naissent d’une larve blanche et molle.
Il en va de même avec ce que j’éprouve : tout en moi, y compris le sentiment le plus ignoble, se métamorphose et peut devenir une idée prodigieuse selon mon bon vouloir.
Si j’avais eu un peu plus de chance, j’aurais pu être une mante fleur épineuse, un scarabée Hercule ou une punaise assassine. Si j’étais l’une de ces dernières, je m’échapperais sur le sol, me faufilerais dans ce qui reste de notre demeure et en ferais le tour sans que personne me remarque ; j’occasionnerais çà et là des nuisances, escaladerais les corps de Felisberto et Eloy, appellerais ma bande d’amies pour semer la pagaille. Je leur piquerais les mains, le cou, l’arrière des fesses, les cuisses, leur croquerais tout le corps, et quand je n’en pourrais plus et serais gonflée, obèse, pleine de sang, j’exploserais en toute placidité.
Je ne crois pas que mon défunt père m’observe. Mais son corps est enterré dans ce jardin, ce qui reste du jardin de ma mère, entouré de limaces, d’araignées-chameaux, de lombrics, de fourmis, de coléoptères et de cloportes. Peut-être même qu’un scorpion s’est posé près de son visage à moitié décomposé, et tous deux évoquent les dessins qui ornent les tombeaux des pharaons égyptiens.
(incipit)
Au cas où vous m’observeriez en ce moment, père : je suis rentré à la maison. J’ai pourtant l’impression d’avoir regagné un autre lieu à une autre époque, un autre monde dans lequel nous n’avons jamais existé. Toutes mes excuses si en certaines occasions je me distrais et me concentre sans relâche sur des choses que vous taxiez autrefois d’inutiles. Mais à présent, avec tous ces vers autour de vous, vous devez vous dire qu’en fin de compte ces choses-là avaient leur importance, n’est-ce pas ? Puisque ces asticots s’insinuent dans votre bouche et vos oreilles et, qui sait, peut-être même dans votre cul, et qu’ils vous piquent la nuit ; qu’ils rampent le long de votre corps, de haut en bas, cherchant ce qui reste de vous et qui pourrait leur servir, qu’ils se posent sur vos mains et vos pieds en se tortillant. Vous n’avez pas l’impression qu’à la fin de la vie, à la fin de tout, ils sont plus forts que nous ? Et que, si on y réfléchit un peu, ce monde n’est sans doute pas le nôtre mais celui de ces êtres minuscules qui, groupés, pourraient tous nous recouvrir ?
Nous sommes restés longtemps dans le jardin. Eloy grognait en jouant avec les fourmis. Il en a tué beaucoup, une par une, jusqu’à ce que son index soit couvert d’une pâte noire d’exosquelettes détruits, puis il l’a léché comme s’il était enduit de miel.
Je pleurais comme un idiot en assistant à ce massacre immense et pourtant minuscule.
Toutes les soirées paraissaient baignées de poussière et les journées étaient pleines d’une lumière laiteuse et de fleurs sèches qui flottaient sur les mares, un temps traînant qui s’enlisait dans ce son purulent, épuisant.
Nous l’avons enterré à proximité de l’endroit où je m’allonge, derrière ces statues de pierre. Si je creuse toute la nuit, je pourrai le trouver, qui sait si j’attraperai en premier ses mains, ses pieds ou le bas du pantalon de son costume noir.
Un silence absolu s'est abattu sur la maison. C'était la première fois que je le percevais, à moins d'avoir déjà eu affaire à lui en sortant du ventre de ma mère, mais sans l'entendre, car il m'aurait perforé les tympans.
Le silence de la nuit me faisait trembler et s'étendait comme une odeur de pourri, il se collait à mon corps qu'il rendait muet. (28)