Après maints essais infructueux, par habitude, l’autrice pianote sur l’internet russe le nom de sa mère, non pas parce qu’elle en a perdu la trace, mais pour connaître son passé. Là, pour la première fois, elle peut lire « Ivachtchenki, Evguénia Iakovlevna, née en 1920, à Marioupol ». « En cherchant ma mère, je n’avais jamais eu l’idée de me renseigner sur la ville dont elle était originaire, Marioupol » Sa mère est née dans le sud, cela lui paraît surréaliste « Pour la première fois depuis sa mort, ma mère devenait une personne extérieure à moi ». Ainsi, elle avait vécu la vie d’une petite fille de la noblesse locale « Une jeune fille qui n’avait pas grandi dans l’endroit le plus froid et le plus sombre du monde mais près de la Crimée, au bord d’une mer chaude du Sud…. Rien ne me semblait plus inconciliable que ma mère et le Sud, ma mère et le soleil et la mer ».
« L’inconnu ancien s’était transformé en un inconnu nouveau ».
Konstantine, qui anime le site « Azov’s Greeks, va l’aider en fouillant dans les archives de Marioupol et ailleurs, tenter de retrouver des traces de sa famille.
Natascha Wodin raconte ses recherches, la découverte de cousins et, surtout, la photo de son arrière-grand-mère « je me suis reconnue sur une photo de Marioupol qui avait plus de cent ans. Je ressemblais comme deux gouttes d’eau à mon arrière-grand-mère, même sa façon d’appuyer un coude sur le dossier du canapé et de tenir l’autre sur les genoux, je la connaissais chez moi ».
Elle découvre la vie de ses ancêtres et en tombe des nues. Elle vient d’une famille très aisée, noble, des italiens venus s’installer à Marioupol pour y faire fortune. Cette dynastie est totalement anéantie par l’arrivée du communisme, puis de Staline.
La seconde guerre n’est pas plus clémente. Les nazis occupent la ville et déportent des milliers de bras ukrainiens pour faire marcher l’économie de guerre allemande. Sa mère fait partie de ces personnes et découvre l’enfer des camps. La seule différence avec les camps réservés aux juifs, tziganes, homosexuels, c’est qu’il n’y avait pas de chambre à gaz.
« Dans les camps, le typhus et la dysenterie font rage. Les ouvriers qui tombent malades sont envoyés dans le baraquement bondé des malades, où ils reçoivent une aide médicale minimale. Au début, on renvoyait encore les malades dans leurs pays d’origine, maintenant on ne se donne plus cette peine. Si les malades ne guérissent pas suffisamment vite, ils risquent l’attestation d’incapacité permanente de travail presque toujours une condamnation à mort. Le patient n’est plus soigné, cela priverait le peuple allemand de trop de médicaments dont il a un besoin urgent. Il est abandonné à lui-même, ne reçoit que de soi-disant aliments diététiques et il meurt très vite la plupart du temps. »
Une fois la guerre terminée, les ukrainiens n’ont jamais pu retourner en Ukraine car ils étaient considérés, par Staline, comme traites à leur patrie. Oui, eux que l’on a considéré pire que des animaux, traités comme des serfs sont traîtres à l’URSS, ils auraient dû mourir. Beaucoup se sont vus refusés le visa pour les USA et sont restés en Allemagne, Nuremberg, pour la famille de Natascha, c’est d’ailleurs là qu’elle est née.
N’allez pas croire que le bonheur arrive, non, pas de place pour eux, sous-race, ils sont rejetés et la famille trouve un abri dans un entrepôt, qu’un allemand leur laisse occuper.
Dénoncés, ils ont intégré une sorte de quartier-ghetto où sont ceux qui ne peuvent plus repartir chez eux. Natascha connaît, au sein de son école, le racisme ordinaire des laissez-pour-compte, même de la part des enseignants.
Le livre raconte l’éclatement de la famille en plusieurs points de l’URSS et, derrière la vitrine lisse de l’union soviétique, les drames politiques et humains qui ont découlé du totalitarisme.
Certaines personnes ne connaissent que le malheur, le rejet, aucun rayon de soleil pour réchauffer leur pauvre vie. Dans ces conditions, pas facile d’être une bonne mère, une bonne épouse, d’aimer la vie. La mère de Natascha s’est jetée dans le fleuve alors que la gamine n’avait que 11 ans, lassée de cette vie.
Avec l’aide précieuse de Konstantine, Natascha va découvrir des survivants, des cousins ou petits-cousins, une famille à laquelle elle ne pensait pas
A travers ce qu’ont vécu sa mère et sa famille, l’autrice montre les dévastes causés par la folie humaine, la soif de pouvoir absolu, l’idéalisme poussé à son paroxysme.
Une lecture prenante, âpre, quelque fois dure, le soleil n’entre jamais dans les mots. Si elle a pu reconstituer la vie de sa tante, de sa grand-mère, elle n’a pu qu’imaginer, avec les souvenirs qui reviennent (elle ne pensait pas en avoir autant), les récits qu’elle a pu glaner sur Internet, le trajet de sa mère
Un bel hommage à une mère “broyée par deux dictatures”
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