Citations de Natasha Kanapé Fontaine (62)
Laissons-nous imbiber du silence
humide des villes
où nous brûlons
où nous attendons
où nous dormons
où nous dansons
sur les draps mêlés
les yeux ivres
Je voudrais qu’un cri sorte de ma gorge. Je n’y arrive pas. […] Je hurlerais mon propre nom. Pour que le passé change à tout jamais.
(XYZ, p.28)
Trop longtemps
j'ai porté mon canot
en des forêts citadines
mon pays m'appelle
mon pays me revient
j'achève mon exil
pour un retour
tremblant.
j’aimerais parfois que tu reviennes et me révèles
ces récits qui ne se racontent pas
histoires oubliées, ou simplement mises de côté –
ce qu’on ne dit pas
les enfants ne sont pas encore nés mais je leur dirai
tu as vécu
ils sauront que l’on a existé avant eux
et que d’autres existeront après
tout est un cercle.
je reviendrai peuple d’eau
je recracherai quatorze torrents
j’avalerai trois lunes
pour mieux boire le lait de ma ma mère.
…une nuit un rêve
mon fils lui dirai-je
tu dois retrouver
la route
vers les pieds
de ta mère…
La Cité interdite
Où tu te pointes
Corps arqué
Tête droite
Jambes d’acier
L’océan est en toi
Ancêtre des survivants
Les lois
Ne sont pas nôtres
Notre voix
Est à toutes
Tous
Tout
En toi
Vit
Et nous sommes
Vivants.
TES DENTS lacèrent mes vertèbres
tes yeux s’embrouillent de cèdre
notre lit de feuilles mortes se labourent nos chasses
épurées de ton cidre
je voudrais déjà m’enfuir
tes murs m’entourent
c’est d’air pur dont je devrais vivre
mes veines gonflées d’effluves
ton désir invitant mon esprit à s’éteindre
à fermer les yeux
et tu m’exhortes à t’étreindre
je brûlais de tes tendresses vives mes cendres.
Nous brûlerons
les écoles résidences
les papiers lois
Nous incarnerons
un feu immense.
Nous sommes les épouses du grand arbre
L'aube danse
Nous n'avons de mort pour les morts
Nous n'avons de vie pour les vivants
Nous n'avons que l'élixir
De la haute vision
Si vous ne savez vivre
Vous devrez mourir
Si vous ne savez mourir
Vous devrez vous enchaîner
Au cœur de la grâce.
(P21)
JE REVIENDRAI alors là je serai en exil là-bas
même avec les branches de sapin et les rues chiennes
même avec les rires mille ans et les alcooliques toujours
même avec les ciels piqués de dents en bois d’ébène
même avec les amies qu’on reconnaît une saison juste
et repartent celle d’après
et le royaume avec le songe que font les Esprits le soir.
…J’ai pleuré, pleuré la déesse
ils construisent partout des pipelines ils oublient
on s’appellera « bois de pétrole »
« vagin de javel » « tu veux mon
pipeline dans ta bouche ? » diraient les autres
Si ce n’est pas moi
oui j’irai manger Enbridge
et tous les autres sales carboneux
parce que j’ai famine
parce que j’ai famine de vivre…
…Il est doux ton verbe mes lèvres
la chambre est grande pour l’amour
fenêtre ouverte
ruelle herbeuse en hiver
les draps existent tourbières
subarctiques mêlées les branchages
nos mains alliées
nées afin les griffures…
Voir sans regarder,
regarder sans voir,
tu as les mains pleines d’histoires.
…les camions marchent
grand ours de malheur
depuis les bois où l’on plante machineries
depuis des siècles et des siècles
orgies de roi
abandonnant derrière eux
paysage brisé
ossature brisée
mon trot caribou brisé…
Quel est le songe que je dois faire
la vision transparente un matin
le chant mort des oiseaux
Les immeubles crépitent
dans la cassure des neiges
ils ne savent pas attiser
une flamme avec leurs ongles
Elle est blême la neige jadis
elle arborait un visage de ciel de mer
Quel est le manifeste
que je dois vous écrire.
Un lit d’automne, j’ai lié nos deux corps
nos peuples en désaccord
entravés
dans le même plaisir
prends silence à tout jamais
avec moi
la liberté se tait devant
l’immense
Je dois réapprendre à appeler "chez moi"la terre qui m'a vue naître. Retourner dans le village de mon enfance. Le village de ma mère et de ma grand-mère. Réapprendre à connaître ma famille. À reconnaître les visages de mon peuple. Retourner chez moi. Sinon, je ne peux pas avancer.
Trop longtemps
j'ai porté mon canot
en des forêts citadines
mon pays m'appelle
mon pays me revient
j'achève mon exil
pour un retour
tremblant.