Nathacha Appanah était présente pour présenter son nouvel ouvrage :
La mémoire délavée paru aux éditions Mercure de France. le roman s'ouvre par un magnifique vol d'étourneaux. Un vol au premier abord innocent mais dont le murmure dans une langue secrète fait écho à toutes les migrations et surtout à celle d'aïeux, partis d'un village d'Inde en 1872 pour rejoindre l'île Maurice. L'autrice traverse alors la mémoire de sa famille. le centre de l'ouvrage est marqué par un magnifique hommage à son grand-père qui travaillait dans un champ de cannes.
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C'est Mayotte ici et toi tu dis c'est la France. Va chier ! La France c'est comme ça ? En France tu vois des enfants traîner du matin au soir comme ça, toi ? En France il y a des kwassas qui arrivent par dizaines comme ça avec des gens qui débarquent sur les plages et certains sont déjà à demi morts ? En France il y a des gens qui vivent toute leur vie dans les bois ? En France les gens mettent des grilles de fer à leurs fenêtres comme ça ? En France les gens chient et jettent leurs ordures dans les ravines comme ça ?
Pendant longtemps, je suis persuadée que la vie que je mène est immuable.
C’est une vie délicieuse : des mangues, de l’eau de coco, du riz fumant, du curry rouge, du poisson frit, du yaourt et du miel, des beignets gonflés et moelleux, du lait frais, de la glace faite avec la crème de ce lait frais et des gousses de cardamome, des concombres confits, du melon amer caramélisé. J’aime le sucré, l’amer, l’acide, le salé, l’astringent, j’aime le cru, le cuit, j’aime le vert, le mûr, j’aime le croquant et le moelleux. Mes parents disent que j’ai un palais d’adulte, ils sourient de mon appétit enthousiaste, de ma curiosité. Est-ce possible qu’au fond de moi je sache que cela ne va pas durer ?
Tous les regards nous suivent, nous les gens riches et athées de la grande maison, la fille qui danse mais qui ne va pas à l’école, l’homme qui passe à la radio et même à la télévision pour dire que les habitants de ce pays ne font qu’un, que chaque personne devrait avoir la liberté de prier le dieu qu’il veut ou de ne pas croire en seul dieu, que les dirigeants sont des idiots, l’homme qui parle plusieurs langues dans la même phrase, l’époux de la femme sorcière.
(page 70)
Avec l’âge, je deviens superstitieuse. Je m’accroche, je me rassure des hasards, je me fabrique des gris-gris avec les heures qui passent, des porte-bonheur avec les matins bleus et je me dis que l’orage viendra laver les regrets.
C'est Mayotte ici et toi tu dis c'est la France. Va chier ! La France c'est comme ça ? En France tu vois des enfants traîner du matin au soir comme ça, toi ? En France il y a des kwassas qui arrivent par dizaines comme ça avec des gens qui débarquent sur les plages et certains sont déjà à demi morts ? En France il y a des gens qui vivent toute leur vie dans les bois ? En France les gens mettent des grilles de fer à leurs fenêtres comme ça ? En France les gens chient et jettent leurs ordures dans les ravines comme ça ?
"Je n'ai pas peur tandis que mes pieds frappent la terre, que je sens le vent salé et chaud me fouetter le visage, que j'entends la fureur derrière moi, non ce n'est pas comme avant quand tout se ratatinait en moi, quand je ne savais plus qui j'étais ni comment je m'appelais. Non, tandis que je rejoins l'océan, je n'ai plus peur. Je m'appelle Moïse, j'ai quinze ans et je suis vivant."
J’aime le sucré, l’amer, l’acide, le salé, l’astringent, j’aime le cru, le cuit, j’aime le vert, le mûr, j’aime le croquant et le moelleux. Mes parents disent que j’ai un palais d’adulte, ils sourient de mon appétit enthousiaste, de ma curiosité.
(page 59)
Nous passerons la matinée à nettoyer les trois temples qui accueillent encore des visiteurs. Il faut laver et brosser les sols, balayer la cour, s’occuper du potager. Tout doit être propre quand les grilles du refuge s’ouvriront pour recevoir les touristes. Certains hôtels organisent des déjeuners dans les vestiges des temples, d’autres utilisent les ruines pour des séances photo, il y a même parfois des tournages de films. Nous devons, nous, à ce moment-là, être hors de vue, invisibles.
(pages 121-122)
Nous l'avons rejoint et nous sommes entrés dans Gaza. Je ne sais pas qui a baptisé ce quartier de Kaweni Gaza, je ne suis pas sûr de savoir où se trouve la vraie ville de Gaza mais je sais que ce n'est pas bon. Est-ce que si cette personne avait rebaptisé ce quartier avec un nom doux, un nom sans guerre, un nom sans enfants morts, un nom comme Tahiti qui sent les fleurs, un nom comme Washington qui sent les grandes avenues et les gens en costume cravate, un nom comme Californie qui sent le soleil et les filles, est-ce que ça aurait changé le destin et l'esprit des gens ici ?
J’avais trente ans à ce moment-là, et je pensais souvent à la mort aussi, comme une adolescente. Non pas que j’étais particulièrement malheureuse, non. Je trouvais l’idée de mourir jeune assez séduisante. Dire stop, avouer que l’avenir fait trop peur et que je n’ai pas trouvé la recette pour sautiller gaiement tous les jours. Je ne sais plus qui a dit que nous naissons tous en croyant à tort être ici sur terre pour être heureux.