Citations de Nathalie Azoulai (280)
Quoi, qu'est-ce qui est arrivé? lui demande-t-on. Que Titus n'a jamais aimé Bérénice ou qu'il l'a aimée, que vouloir comprendre ce qu'on appelle l'amour, c'est vouloir attraper le vent. Au jeu de la marguerite, on pourrait arracher n'importe lequel des pétales, à la folie, passionnément, pas du tout. Te voilà bien avancée...
On dit qu'il faut un an pour se remettre d'un chagrin d'amour. On dit aussi des tas d'autres choses dont la banalité finit par émousser la vérité.
C'est ce qu'il aime dans la langue française et que les autres n'ont pas, ce lit de voyelles rocailleuses que les hiatus révèlent dans les vers comme l'été dans le fond des rivières. ... Il aime cette espèce de froideur qui la glace et la fait entrer dans une mer gelée sans trembler. Il comprend en la regardant que s'il compose des vers c'est certes pour être le plus grand poète de France, mais aussi pour capter cela, le son d'une conscience qui s'exprime à haute voix. Pleine, libre, parfois glaçante.
Chaque être est une foule
Grâce à Racine, elle en arrive à se passer de confidents. De toute façon, y a-t-il vraiment quelqu'un pour recueillir ce filet d'eau tiède qu'est le chagrin quotidien.
Elle trouve toujours un vers qui épouse le contour de ses humeurs, la colère, la déréliction, la catatonie... Racine, c'est le supermarché du chagrin d'amour ...
Je recommence à lire des blogs. La plupart sont écrits dans un mauvais français, bourrés de fautes, de t et de s mal placés. On peut soutenir une activité cérébrale intense et être illettré. Evidemment, mais au lieu de le déplorer, j'y vois une sorte d'état de fait, comme si les codeurs avaient admis que le langage humain était devenu secondaire. IIs ne font même pas sem- blant, n'accordent plus rien convenablement, laissent la langue partir à vau-l'eau tandis que l'autre langue, celle qu'ils pratiquent, elle, ne souffre aucune entorse, aucune inexactitude, pas la moindre petite virgule mal placée. Et ça ne dérange personne, même pas moi à vrai dire. Nos deux illettrismes se regardent en chiens de faience.
Je lis aussi que coder n'est rien d'autre qu'une écriture administrative, logique et chiffrée, qui consiste à écrire pour organiser, classer, qu'après la fiche comptable, la copie, la photocopie, la technique a produit le fichier numérique, rien de plus, mais alors je ne vois pas pourquoi tant de jeunes hommes dans la force de l'âge se passionneraient pour ça.
Telle une cire fondue, le cœur de Jean coule entre ses côtes.
Contente-toi de donner à la vertu de mon Andromaque quelques nuances de gris, ce sera déjà bien ! C'est une manipulatrice et une tueuse d'enfants. Au milieu de ses pleurs, je veux qu'on entende des coups de couteau.
Au salon, son regard se pose d'emblée sur la photo de ce grand-père resté là-bas, trop vieux et trop malade pour partir, dit-elle dans l'escalier, voyant peu à peu son monde se réduire aux dimensions de sa maison, son fauteuil, son lit, et quand il s'entend demander, vous vous êtes embrassés ? vous avez pleuré ? tu l'appelais papa ? il sait désormais que, sous ses questions, il cherche une image, une scène précise ; ce moment où les familles se fracturent, se fendent, où les enfants partent vivre et grandir là où leurs parents ne sont jamais allés, n'iront jamais.
« On apprend au fil des années à ne plus prévenir personne puisqu’on apprend à ne plus s’épancher auprès de personne, parce que ça ne sert à rien, l’autre ne vous apportant jamais que ses propres solutions et ne supportant plus la moindre jérémiade en plus des siennes propres, or on ne va quand même pas se mettre à empoisonner des oreilles plus jeunes. »
C'était une de ses théories, que les gens naissent tous chiffrés, avec leur nombre d'années à vivre au-dessus de la tête, une auréole qui déclenche toutes les vies comme des comptes à rebours qui tournent en silence.
A la nuit tombée, il part se promener. Il s'enthousiasme devant les oliviers, cueille des olives, les goûte. Les arbres qu'il aimait autrefois ne donnaient pas de fruits. C'est une manne amère en bouche. Il décrit le vert argenté, le ciselage délicat des feuilles, l'émotion que lui cause de vivre parmi les mêmes arbres que Virgile ou Sophocle. "Vous auriez pu dire notre Seigneur Jésus", lui rétorque sa tante. Jean n'y a même pas pensé.
Le tremble tient son nom de ses feuilles qui tremblent au moindre souffle de vent.
Et c'est tout ? s'étonne Jean.
Oui, l'arbre est moins remarquable que le nom qu'il porte.
Tant mieux, pensa Jean, rassuré à l'idée que les noms puissent être plus grands que les choses.
Va pour Œdipe. Il rédige d’abord chaque scène en prose, pèse, soupèse les équilibre, les distances, explore le champ de l’action dramatique en physicien, arbitre les forces. Il laisse reposer quelques heures, part se promener, revient, resserre ici et là. Il trouve l’opération difficile, plus corsée que tout ce qu’il a jamais composé, et rêve du moment où il n’aura plus qu’à mettre en vers et à retrouver le confort de l’habitude.
Sa douleur trouve des biais, des ruses, le persuade qu’il a rêvé, qu’il va bientôt la retrouver ou, pire, que de toute façon il n’a vraiment connu avec elle que quelques semaines de bonheur contre de très longs mois de malheur. Certains matins, il n’a plus de visage, mais une plaie qui saigne et pleure jusqu’au soir. Quand il a réussi à dormir, il ouvre les yeux comme on vomit, repris par le dégoût des jours sans elle. (p. 174)
A la folie d’aimer s’ajoute le plaisir d’amenuiser. Sans doute a-t-il encore besoin d’adosser sa souffrance à un mur de colère et de reproches, de la revoir comme elle était, infidèle, menteuse, pour réduire l’absence, le manque. Mille fois, il a eu envie de la tuer. Lui, l’ancien enfant du vallon, féru de grec et de latin, à genoux dans la terre pour observer les prémices de la vie (...) il aurait pu étrangler cette femme volage qui ne lui rendait pas tout ce dont il provisionnait leur amour. Il n’est aucun homme qui ne soit un monstre, se répète Jean chaque fois qu’il se couche. Ce n’est pas la foi qui le lui a appris mais le théâtre à coup sûr, les longs méandres qu’il trace autour de ses personnages, leurs volte-face, leurs ruses, leur délits. Les fictions ne sont pas des égarements car nous sommes constitués de langage et d’action et nous avons besoin des deux, n’en déplaise à Port-Royal. Pourquoi les hommes auraient-ils sinon depuis l’origine composé des histoires ?
J'ai pu te conserver, je te pourrai donc perdre.
On a besoin de l'antithèse parce qu'on a besoin de la symétrie, mais moi, je rêve d'une antithèse cruciale, qui dirait le coeur des hommes, pas seulement le choix qu'ils doivent faire à un moment donné, mais la croix qui les traverse, le conflit, leur nature profonde.