« le temps est torride, le ciel d'un bleu infini. Je suis entouré de milliers de turquoises. La terre regorge de ces pierres précieuses qu'on retaille à grands éclats bleutés et qui viendront orner le doigt d'une femme, une gorge blanche et délicate ou une poitrine fanée où poser sa tête et s'éplorer. le bleu s'est tout entier emparé de moi, à quelques pas de ce jardin, au bord d'un désert safrané sous un soleil semblable à un turban de feu. Nous sommes en août. »
Nedim Gürsel, **Voyage en Iran. En attendant l'imam caché**
Plus d'informations sur ce récit traduit du turc par Pierre Pandelé : https://www.actes-sud.fr/catalogue/litterature-etrangere/voyage-en-iran
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Avant d'aménager à Paris rue du Figuier, je considérais l'écriture comme une manière de vivre. Je n'ai pas changé d'avis, mais, depuis mon installation dans cette rue bordée de vieilles bâtisses, la démarche littéraire - qui implique d'être en communication avec le monde et les hommes, de prendre le pouls de la mer, des rues, des villes, des enfants et des arbres, de la terre et des oiseaux, du jour et de la nuit, bref, de la nature et de la société -, cette ouverture à l'Autre, s'est d'abord transformée en une totale solitude, puis, progressivement, en une domination autoritaire. Je ne suis plus comme avant tendre et libre dans ma relation avec les mots. Je ne m'abandonne pas aisément à leurs virevoltes au-dessus de ma tête, comme celles des petits papillons qui la nuit affluent par la fenêtre ouverte vers la lumière de ma lampe. Au lieu de goûter leurs formes exquises, l'éclat chatoyant de leurs ailes, les bruits qu'ils font dans leur vol, de surmonter la nostalgie de mon pays et de ma langue maternelle en les caressant du regard, je me comporte en chasseur implacable et rusé.
En hiver à Venise, l'eau comme les bâtiments sont gris. Mais les nuances en sont différentes, de même que le blanc nacré est différent du blanc de la pleine lune, le vert-de-gris du vert prairie. Un gris tirant sur le noir vient envahir les canaux, la neige recouvre le noir des gondoles comme un manteau blanc.
Quoiqu'on fasse, on ne peut réparer le cœur brisé d'une jeune fille.
[...] Giovanni avait songé que l'art ne devait pas seulement consister à toujours répéter le même modèle, que la pâte du génie se pétrissait par le changement, et que l'artiste qui ne craignait pas de changer réussissait à se dépasser.
Tout comme la pluie emporte les souvenirs, le temps a dépollué les sites.
Il n'était pas seul dans ce voyage entrepris à minuit vers l'ancienne Sérénissime. Il portait en lui l'image d'une ville inconnue dont il connaissait pourtant, d'après les romans, les peintures et les photos, les vieilles bâtisses, les palais somptueux, les places animées, les ponts et les canaux, oui, tout dans les moindres détails, jusqu'au plus étroit de ses canaux. Cette image ne correspondait peut-être pas tout à fait à la réalité mais ne pouvait pas non plus être considéré comme totalement inexacte.
Dans sa chambre, où il n'y a pas la moindre trace de son pays, de son passé, ni même de la saveur masochiste d'être un écrivain en exil, il fera l'amour avec les mots jusqu'au matin. D'ailleurs, depuis son arrivée dans cette ville, c'est la seule manière de le faire qu'il puisse pratiquer avec succès. Peut-être ne jouit-il pas, mais il ressent la joie passagère de l'union, de la fusion dans un corps familier. Il trouvera les mots à tâtons, ces vieux mots morts dont il n'a jamais plus besoin dans sa vie quotidienne. (…) Les mots turcs, comme des amantes fidèles, viendront à lui un par un, et sans établir de liens entre eux, sans s'ordonner pour former des phrases, indifférents les uns aux autres, chacun à son affaire, ils couleront en lui goutte à goutte dans la simplicité de la lumière du jour.
[...] dans ce monde éphémère, l'un des rares bonheurs accordés aux hommes est de s'assembler autour d'une table opulente, de s'unir avec une femme sur un lit, avec le ciel printanier tout bleu en montagne, de s'anéantir dans les vagues de la mer, dans le déchaînement d'une étreinte passionnée.
L'écrasement des petits par les grands, le mépris du puissant pour le faible, du natif d'Istanbul pour le provincial formaient les piliers du système.
les nuages sont morts à la guerre comme des chiens.