J'avais déjà été rossé à l'école, et plus rudement (j'étais petit avec une grande gueule, une combinaison malheureuse), mais les coups venaient d'adversaire que je connaissais, ce qui les rendait plus supportables. (...) J'avais honte: malgré ma taille et mon âge, j'étais du sexe fort, et bien que vague, cette conscience de ma virilité me tenaillait. Il me paraissait inadmissible d'admettre que je puisse manquer de cran. La version que ma mémoire garderait de l'incident se conforme heureusement aux exigences de l'honneur masculin: ils étaient deux et j'étais seul. Ils étaient grands et moi petit. J'aurais certes pu être mouché par un moutard de sept ans manchot et borgne, mais le souvenir gravé dans ma mémoire me protégeait contre la crainte d'avoir fait figure de minable.