26 février 2013
Art press est né quand Beaubourg n'était encore qu'un grand trou, attendant qu'on y dresse le Centre Georges-Pompidou. L'art minimal s'imposait à New York, là où venait d'ouvrir The Kitchen, foyer de toute une génération nouvelle de danseurs et de performers. Aujourd'hui, le magazine montre le palais de Tokyo rénové et disposant désormais de 22 000 m2 pour exposer l'art contemporain et interviewe l'artiste chinois Ai Weiwei, assigné à résidence par les autorités de son pays. Pour une liberté d'expression inconditionnelle, contre tous les sectarismes et les archaïsmes, d'Andy Warhol à Jeff Wall, de Jacques Lacan à Jean-Paul II, de Tel Quel à Michel Houellebecq, de Pierre Boulez à Christian Marclay, ce sont 40 ans de vie artistique et littéraire que retrace cet album. Une large sélection de couvertures et d'articles met en lumière quatre décennies d'existence d'un magazine indépendant, considéré comme le meilleur en France dans son domaine, et qui ne manque jamais d'être partie prenante des débats esthétiques et des combats idéologiques de son époque.
Sous la direction de Catherine Millet. Préfaces de Nicolas Bourriaud, Olivier Kaeppelin, Maurice Olender, Alfred Pacquement.
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Se servir d'un objet, c'est forcément l'interpréter. Utiliser un produit, c'est en trahir parfois le concept ; et l'acte de lire, de regarder une œuvre d'art ou de visionner un film signifie aussi savoir la détourner : l'usage est un acte de micro-piratage, le degré zéro de la postproduction.

Pour ne pas produire, appartenir à un groupe constitue une solution. Un collectif, en tant que forme, permet à ses membres de garder le silence. Présence minimale au monde des formes, le groupe est la construction moderne par excellence, privilégiant l’élaboration d’une attitude à la préméditation d’une œuvre s’intercalant entre l’artiste et les compromissions du milieu artistique ou littéraire. Ses ennemis ? La vanité de l’auteur ; et son valet, le beau style. Édifice artistique, le groupe représente l’une des plus efficaces tentatives de désœuvrement de l’art : si « la poésie doit être faite par tous, et non par un », selon le mot d’ordre de Lautréamont, le groupe apparaît comme une forme adéquate, instance fondatrice de pratiques, de rituels, de méthodes. L’écriture automatique se met au service de chacun, dépersonnalise l’écriture et la peinture en s’attaquant à l’idée même de propriété artistique. La modernité rêve tout haut d’une pratique de l’écriture ou de l’art en forme de « communauté désœuvrée », et le surréalisme représente pour ses membres une esthétique de l’existence autant qu’un espace de création. Car les procédés inventés par les surréalistes visent à produire un certain type de subjectivité, au-delà de tout souci littéraire – du moins en théorie. L’automatisme, les sommeils, les jeux, du cadavre exquis aux collages en passant par le frottage ou la décalcomanie, les promenades à la recherche d’intersignes qui font basculer le rêve dans le réel, sont des techniques visant à une autoproduction de l’individu, une poétique de l’existence : ce sont des « techniques de soi », pour reprendre un terme de Foucault, qui ont pour fonction de transposer sur le plan de la vie quotidienne le fonctionnement du cerveau pendant le rêve, de créer de la disponibilité, du merveilleux : la dérive urbaine, inventée par les surréalistes et radicalisée par les situationnistes, se révèle comme la pratique de groupe par excellence.
Chacun des artistes dont le travail relève de l'esthétique relationnelle possède un univers de formes, une problématique et une trajectoire qui lui appartiennent en propre : aucun style, aucune thématique ou iconographie ne les relie entre eux. Ce qu'ils partagent est bien plus déterminant, à avoir le fait d'opérer au sein d'un même horizon pratique et théorique : la sphère des rapports interhumains. Leurs œuvres mettent en jeu les modes d'échange sociaux, l'interactivité avec le regardeur à intérieur de l'expérience esthétique qu'il se voit proposer, et les processus de communication, dans leur dimension concrète d'outils servant à relier des individus et des groupes humains entre eux.
De ces artistes qui insèrent leur propre travail dans celui des autres, on peut dire qu'ils contribuent à abolir la distinction traditionnelle entre production et consommation, création et copie, ready-made et œuvre originale.
D’un côté, la transformation du monde, selon un schéma révolutionnaire; de l’autre, une sorte de jeu de go, le retournement pion par pion des composants de la société. L’utopie politique contre l’utopie quotidienne, souple et insidieuse. L’art de la “grande politique” opposé à un art du réalisme opératoire, qui, au lieu de proposer des alternatives idéales, surfe à la surface du champ social, ouvre des pistes, balise des lieux, fournit des règles de jeu
L'art contemporain se présente ainsi comme un banc de montage alternatif qui perturbe les formes sociales, les réorganise ou les insère dans des scénarios originaux. L'artiste déprogramme pour reprogrammer, suggérant qu'il existe d'autres usages possibles des techniques et des outils qui sont à notre disposition.
En faisant de son existence une œuvre d’art, le dandy affirme son refus de la voir fonctionner dans quelque rouage que ce soit. Son action dérisoire est comparable à celle d’un grain de sable esthétique dans la machine à formater les consciences
Il ne faut pas mésestimer les circonstances au sein desquelles se voient pris les catégories de la pensée, les discours et les énoncés, sous peine de tomber dans un idéalisme qui aboutit immanquablement à reconduire l’ordre existant. […] si l’art dépend des circonstances sociales autant que du champ autonome de l’art, il nous est possible de juger du comportement de chaque artiste par rapport à celles-ci, car chaque situation historique présente un champ de possibles qui advient une seule et unique fois, induisant des attitudes plus ou moins pertinentes et justes par rapport aux lignes de force de l’époque
Ce qui a fait des cultural studies et de leurs dérivés artistiques le paradigme de la pensée contemporaine provient ainsi des restes du messianisme benjaminien, transfigurés par le maoïsme et l’althussiérisme : c’est dans le décryptage érudit de la culture populaire que s’est réfugiée la quête métaphysique portée par la radicalité révolutionnaire, et c’est par lui que s’effectue le « sauvetage historique »
L'art contemporain développe bel et bien un projet politique quand il s'efforce d'investir la sphère relationnelle en la problématisant.