Nicolas Chaboteaux

Qui n’est jamais tombé n’a pas une juste idée de l’effort à faire pour se tenir debout. – Multatuli

Le bonheur a cette particularité d’être invisible pour ceux qui le vivent au quotidien.

Les montagnes russes, ça me connaît ! Surtout le départ, quand vous montez, montez jusqu’à l’endroit où vous avez l’impression de dominer le monde. De là-haut, la vue est imprenable, c’est magnifique ! On sait qu’il faut savourer cet instant, en profiter un maximum car très vite, trop vite parfois, vous entamez une descente vertigineuse censée vous apporter des sensations fortes et qui vous plaque la tête en arrière. Vous êtes totalement impuissant mais c’est logiquement le moment que l’on préfère. Moi, non !
Passionné depuis toujours par le septième art, bac en poche, je m’oriente vers une école de cinéma. Je me vois déjà monter les marches du palais des festivals, à Cannes, sous le crépitement des flashs des appareils photo.

S'il y a une règle systématique ici, c'est bien le fait d'embaucher des gens brillants, absolument géniaux et de virer des abrutis finis, sans aucun avenir ! Pourtant, je confirme que ce sont bien les mêmes individus.
A croire que c'est MSS qui les transforme

D’autant que j’ai pu constater combien la rue laisse des séquelles. Le simple fait de dormir par terre est une épreuve.
Certes, il y a des techniques pour ne pas trop souffrir : il faut s’allonger sur le côté, les jambes légèrement fléchies, le dos contre un mur et, pour éviter d’être surpris, se tenir éloigné de l’entrée du lieu de villégiature, mais le regard dans la direction d’où peut venir le danger.
Pour le linge, j’ai aussi une solution : sous la gare d’Austerlitz, il y a de grosses machines industrielles où l’on peut laver ses vêtements gratuitement.
Petit à petit, j’apprends à surmonter ma honte.

Tel un poisson dans son aquarium, je nage dans le bonheur. Sans m'en rendre compte, en vrai poisson. Car le bonheur a cette particularité d'être invisible pour ceux qui le vivent au quotidien

C’est pourquoi je décide de me tourner vers l’écriture, celle de scénarios, de scripts. Cette orientation, moins glamour, me permet de décrocher un boulot dès la fin de mon cursus : trouver des solutions pour des scénaristes en mal d’inspiration, bloqués dans leurs histoires, telle sera ma mission. Dans ce job, la discrétion est d’or. Personne ne sait que j’existe, personne ne me connaît, je suis un travailleur de l’ombre qui s’engage à le rester : c’est un peu ingrat mais ça paie bien.

À Europe, au milieu de tout ce beau monde, mon statut passe de « petit jeune » à « parfait inconnu ». Je ne suis pas le seul, bien sûr, mais j’ai parfois l’impression que nous ne sommes pas si nombreux à en prendre conscience.
L’aventure strass et paillette de l’information n’aura finalement pas duré longtemps. Tel un enfant gâté, qui après avoir obtenu son jouet préféré le délaisse sans crier gare, je fais déjà d’autres projets professionnels : monter ma propre boîte.

Notre société est merveilleuse. On peut passer de l’ombre à la lumière en un quart de seconde, pour aussi vite retrouver l’indifférence la plus totale. C’est aussi toute la magie de la télévision. Bien sûr, notre statut ne change pas mais, quand la célébrité vous tombe dessus, il y a vraiment de quoi y perdre son latin. Se retrouver sous les feux des projecteurs, alors que rien ne vous y prédestine, engendre chez la plupart des gens un « grand moment de solitude ».

On prend vite des habitudes quand on est seul à décider de la manière d’occuper sa journée. Cela permet de générer de nouveaux repères dans une vie qui en a perdu. Je règle mon quotidien comme du papier à musique : à midi, mon heure de déjeuner est calée sur un programme télé et, en fin de journée, l’arrêt de mon ordinateur correspond au début d’une émission que je ne veux pas rater.