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Sauf les Fleurs de Nicolas Clément (II)
J’aimerais savoir, pourtant, d’où je viens, de quel amour je suis née, si je serai, même une fois, l’endroit de quelqu’un.
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C`est plutôt l`écriture qui est venue à moi et s`est imposée, jusqu`à devenir vitale.
C`est une famille déchirée et la première phrase de Marthe acte cette fêlure originelle : il y a, d`un côté, les enfants et, d`un autre côté, les parents. Ces quatre-là forment bel et bien une famille, à ce détail près que cette famille est doublement clivée : non seulement les parents, Andrée et Paul, ne s`entendent pas, mais ils obligent les enfants, Marthe et Léonce, à quitter le monde rassurant de l`enfance.
Oui, à la condition de rappeler que les ogres représentent habituellement, dans les contes, la figure d`un mal dont on peut toujours se défaire, un mal qui n`est pas si mauvais que cela, en somme... Or, la trajectoire de Marthe interroge cette possibilité, un peu naïve puisque héritée des contes, de se défaire définitivement du mal.
le prince charmant ne suffit pas parce que l`amour ne suffit pas ; c`est aussi simple que cela ! Pourtant, Marthe et Florent vont vivre un amour d`une pureté et d`une intensité exceptionnelles, un amour qui tient du miracle, en effet. Mais voilà, il y a l`ogre... D`où cette passion de Marthe pour Eschyle, puisque l`oeuvre d`Eschyle rappelle à Marthe que le mal peut aussi être une tentation, un recours, une réponse qui passe par la vengeance. Marthe le sait mieux que quiconque et si elle parvient à se construire, son passé reste vivant, qui couve et gronde.
Marthe a grandi dans un univers taraudé par la violence. Chaque coup reçu a privé cette jeune fille de certains mots et l`a jetée dans un monde de silence. Pourtant, Marthe ne se résout pas au silence ; elle est même très courageuse. Dans ce carnet qu`elle destine à son frère, elle va donc écrire, coûte que coûte, pour faire échec au temps qui passe. D`où cette voix particulière, une voix qui doit composer avec un nombre restreint de mots. Marthe ose alors des associations et des raccourcis qui m`ont moi-même étonné, j`en conviens. Aucune inspiration, sauf un souffle, celui de Marthe happée par le silence, un silence qui m`a guidé durant toute l`écriture du livre.
Marthe a compris que les mots sont encore là quand tout le reste a disparu. Ce sont des fleurs séchées qui témoignent de la beauté des êtres, de la fragilité des choses, de l`éternité de certaines rencontres. Grâce à l`école, Marthe a découvert aussi des mots plus lointains, ceux des Anciens, des mots que Marthe, devenue adulte, ne cessera de traduire pour dire sa gratitude à l`égard des livres. Ces livres nous ont été transmis comme ils ont été transmis à Marthe et nous devons veiller sur eux comme ils veillent sur nous. Car nous avons besoin d`eux pour inventer nos propres paroles, bâtir nos propres livres.
Je ne vous dirai pas si j`ai écrit ce que j`ai vécu, mais je vous dirais simplement que j`ai vécu ce que j`ai écrit.
Quand j`écris ce que j`ai projeté d`écrire, je ne me sens pas bien dans mon écriture, j`écris à côté de la plaque. Au fond, les projets d`écriture m`éloignent de l`écriture. Peu à peu, j`apprends donc à ne plus me projeter et à suivre ce que j`écris, avec l`espoir que cela soit juste.
Le livre de cuisine de mon arrière grand-mère, qu`elle consultait religieusement et qui me fascinait.
Aucun.
Molloy de Samuel Beckett.
Les Pensées pour moi-même de Marc-Aurèle, dans la belle traduction de Mario Meunier.
Heureusement, les livres nous préservent encore de la honte ! Un livre que je n’ai pas encore lu est comme un ami que je n’ai pas encore rencontré : tôt ou tard, nous nous reconnaîtrons - ou alors nous n’étions vraiment pas faits l’un pour l’autre.
Le dernier bateau de Siegfried Lenz.
J’essaie toujours de lire un livre comme si j’étais son seul lecteur. Cela me détourne de sa réputation et me guérit des préjugés.
Oui, la phrase qui clôt Martin Eden de Jack London : « Et au moment même où il le sut, il cessa de le savoir. »
Le château de Frank Kafka.
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Sauf les Fleurs de Nicolas Clément (II)
J’aimerais savoir, pourtant, d’où je viens, de quel amour je suis née, si je serai, même une fois, l’endroit de quelqu’un.
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Sauf les Fleurs de Nicolas Clément (II)
A table, je cherche les yeux de papa pour un début de lien, un commencement de corde. Il fut mon prince, celui que je charmais, le dimanche soir, avec un livre d'images (il se taisait déjà mais j'entendais sa voix). Quand il dictait, javais des mots sans fautes qui me rappelaient sa terre ; je croyais que mes pensées me venaient de ses cheveux gardés longs pour nous cacher. Il est à présent mon ennemi juré, celui qui frappe sans vergogne et désosse le visage de maman.
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Sauf les Fleurs de Nicolas Clément (II)
Chaque sourire me soutient que la vie est bonne, qu'il ne faut pas toujours chercher à comprendre mais relever les cœurs tombés. Quand la tristesse vient miauler dans mes jambes, je la prends sur mes genoux, j'appose mes mains guérisseuses et je t'offre mon dos rond. Aussi, quand tu pourras, sois fier de ce que nous n'avons pas reçu et qui nous sert d'épines.
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Sauf les Fleurs de Nicolas Clément (II)
Je suis d’une fièvre qui perce et dure, jamais ne se repose, ni de cerisaie ni de mains autour. Au cimetière, j’ai des larmes assises sur leur jour d’aimer : Maman est partie. Dans notre ferme, il n’y avait pas beaucoup d’air, nous manquions de terre profonde, mais nous avions des racines qui couraient sans déranger les pierres. Le cercueil de Maman s’enfonce lentement. Il me semble, à cet instant que la paille a tout dit. P 41
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Sauf les Fleurs de Nicolas Clément (II)
Bientôt je lirai les auteurs que je ne pouvais pas lire et j’aurai cette phrase d’où partent toutes leurs histoires, Ne me commence pas sans toi.
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Sauf les Fleurs de Nicolas Clément (II)
Depuis des lustres, Papa ne prononce plus nos prénoms, se jette sur le verbe, phrases courtes sans adjectif, sans complément, seulement des ordres et des martinets.
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Sauf les Fleurs de Nicolas Clément (II)
J'écris notre histoire pour oublier que nous n'existons plus.
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Sauf les Fleurs de Nicolas Clément (II)
Je voulais être un homme pour sentir ce que ça fait d'être une histoire. Je n'ai pas eu tout ce que je voulais mais je suis là, avec mes zéros, ma vie soldée du jour qui vaut bien ma vie absente d'avant. Je tombe rond; mon compte est bon.
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Sauf les Fleurs de Nicolas Clément (II)
Il est à présent mon ennemi juré, celui qui frappe sans vergogne et désosse le visage de Maman. Chaque soir, je prie pour qu’il meure. Cependant, Maman répète : « C’est votre père, et vous devez l’aimer. » (p. 14)
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Sauf les Fleurs de Nicolas Clément (II)
"Chaque sourire me soutient que la vie est bonne, qu'il ne faut pas toujours chercher à comprendre mais relever les cœurs tombés."
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Michel Polnareff