Nicolas Freeling

On y voit des quantités de nullités importantes : des délégations, des missions, des consuls, des avocats véreux. S'il existe encore trois ou quatre de ces belles maisons entre des mains pieuses, c'est un miracle.

Chaque fois qu’il devait rédiger un procès-verbal il avait un dictionnaire sous le coude gauche, car la juste application de la loi, disait-il, dépendait du choix minutieux des mots. Et la chasse à l’expression exacte constituait son sport favori. Il n’y avait pas si longtemps, il avait trouvé le moyen de placer « apothéose » dans un rapport.

On était assez grand pour mener à bien son affaire comme on l’entendait. Mais si on échouait, si on se faisait prendre, non pas en train de batifoler un peu en dehors du périmètre accordé par le règlement, mais de voler carrément une orange, il vous laissait tomber dans la fosse aux lions.

Parmi tous ces gens, il y avait des meurtriers, des faussaires, des pervers, des voleurs, des souteneurs. Nombre de psychopathes, sûrement : de pauvres vieux bonshommes qui suivaient les petites filles dans les jardins publics. Mais beaucoup de criminels aussi, des violeurs, des empoisonneurs, de ceux qui sont prêts à voler le pauvre aussi bien que le riche, surtout si c’est plus facile, ou qui vivent benoîtement du profit qu’ils tirent des vices et des faiblesses de la masse. Des parasites, des joueurs, des pornographes.

Comme un diamant, songeait-il. Ils ont les mêmes étranges qualités que les individus. Cœurs de feu, qui ne se laissent pas toujours voir. Chacun différent des autres. Mais plus il y a de facettes, plus il y a de lumière - de couleurs, de chaleur et de glace, de vie soudaine et d'embrasements. Comme les individus, ils recèlent, cachent - et étalent soudain. Les Anglais usent d'une métaphore où il est question de diamants bruts.
Les êtres sont taillés et polis par la vie qu'ils mènent, par les gens qu'ils rencontrent - les autres diamants. Et chez certains les défauts apparaissent. Peu sont d'une eau très pure. Mais tout diamant est beau; fascinant et mystérieux. Et très rarement on découvre une vraiment belle pierre. Une taille parfaite. Quelque chose qui valait la peine d'être connu, manié, étudié, aimé.

On souhaiterait toujours vivre cent ans plus tôt ou cent ans plus tard. Rien n'est plus ennuyeux que son propre temps.

Il versa ce qui lui restait de bière dans son verre. Elle était éventée, mais il la but d’un trait en haussant les épaules. La bière était comme la vie. Le pétillement ne durait pas.

Vous n’avez pas coutume de penser. Vous inversez l’ordre normal des termes. Si votre imagination accepte une proposition, vous ne voyez pas de raison de la soumettre aussi au jugement de votre cerveau. L’intelligence est paresseuse. L’imagination s’arroge sa place ; un bon bâton, mais une mauvaise béquille, comme disent les Anglais.

Van der Valk cherchait les bons adjectifs. Délicat, subtil, délicieux, épuré de tout mauvais goût, de toute vulgarité. Viril, certainement. Mais un peu trop parfait, un rien trop exquis. Était-il capable de ressentir la tristesse, le poids des petites misères qui n’arrivaient jamais jusqu’à lui, qui ne venaient jamais le déranger, si peu soit-il, dans son petit monde bien calfeutré ?

Il pouvait se permettre de fermer les yeux sur toutes sortes de bourdes et d’irrégularités, du moment qu’on ne le mettait pas officiellement dans le coup. Il manquait de tout sauf d’expérience, et il savait que des montagnes de règlements et d’horribles formules juridiques à double sens étaient toujours prêtes à s’écrouler sur le dos du malheureux officier de police doué d’un peu d’initiative. Il savait que ses subordonnés étaient souvent obligés d’ébrécher les règlements pour obtenir quelques résultats. En fait, il ne voulait pas le savoir, afin d’être à même de rejeter d’éventuelles sanctions : si les choses tournaient mal, il pouvait défendre son équipe de façon aussi intraitable que déterminée.

Les temps devenaient si durs pour les petits métiers lucratifs, que même celui qui consistait à importer d’Allemagne des voitures d’occasion bonnes pour la casse, en payant religieusement les droits de douane sur la ferraille, était scié.

Un risque en fait toujours courir un autre !

Cette femme cachait des choses. Elle les écrivait, elle avait besoin d’avoir ça en réserve comme un écureuil.

La mécanique va tourner. Les mensonges vont commencer. Tous ces gens vont me dire que c’est tout juste s’ils savaient son nom, et qu’ils ne la voyaient que « pour affaires ». Ils auront peur de moi, peur des journaux, peur de leurs voisins, peur de tout ce qu’on peut imaginer qui n’a rien à voir dans cette histoire.

Certains actes sont mauvais. L’assassinat d’un être humain l’est, gravement, d’autant plus que le mal est irréparable.

Toute cette histoire se jalonnait de cafés pris à l'aube dans des buffets de gare. Van der Valk qui faisait son métier depuis vingt ans avait connu bien souvent de semblables affaires; il se sentait cruellement "d' âge moyen", mais le fait d'être un professionnel présentait tout de même bien des avantages. Il atteignait la quarantaine sans qu'on lui eut jamais tiré dessus. Plus fort que James Bond !

Rien de moins valable qu’une lettre anonyme.

Les beaux soirs d’été ne sont pas tellement réjouissants, quand on vit dans un monde où il faut faire ses devoirs.

Contrairement aux rêveries sentimentales du public, les prostituées ne se sentent pas effroyablement malheureuses, ni désespérément mortifiées de devoir verser à leur protecteur les quatre cinquièmes de leurs gains.

Le public raffole du milieu, surtout quand les journalistes dénichent de beaux surnoms inédits dans leur dictionnaire de synonymes. À la police, on serait plutôt porté sur les platitudes.