La disparition de Staline, comme le montre le cours que prend l’évolution politique de l’URSS au milieu des années 1950, constitue une césure significative de l’histoire soviétique. Césure ou coupure ? Poser cette question, c’est soulever le problème de la continuité de l’histoire soviétique, de la définition d’un « système soviétique », qui se maintient encore un bon tiers de siècle après la disparition de Staline. La question de la continuité léninisme-stalinisme continue de diviser profondément les historiens.
Les uns privilégient l’unité de la période 1917-1953, période de formation, de maturité et d’apogée du « totalitarisme soviétique ». « Le stalinisme est un marxisme-léninisme en action » (L. Kolakowski). « Le marxisme bolchevique a entièrement déterminé les caractéristiques du léninisme post-révolutionnaire comme de ce que nous appelons, souvent improprement, le stalinisme » (A. B. Ulam). « Le stalinisme peut et doit être défini comme une théorie et une pratique qui découlent directement de Lénine : la vision d’un monde divisé en classes, en pays antagonistes, le recours systématique à la terreur… – tout cela est indubitablement et totalement léniniste » (A. G. Meyer).
Face aux tenants de la continuité absolue entre léninisme et stalinisme, pour lesquels les années 1917-1953 constituent une période d’une grande unité et d’une extrême cohérence, d’autres historiens insistent sur les nombreuses alternatives, ruptures, revirements, tournants (1918, 1921, 1928-1929, 1934, 1937) qui ont marqué un processus historique plus complexe qu’on ne l’a généralement écrit.
Rompant avec le léninisme, le stalinisme, explique R. Tucker, est un « national-bolchevisme russe », « mélange de radicalisme bolchevique, de chauvinisme grand-russien et d’éléments très personnels d’interprétation du bolchevisme par Staline ». Parmi ces éléments figurent aussi bien, chez le Staline des années 1920, l’idée « russo-centrique » de la « construction du socialisme dans un seul pays » que, vingt ans plus tard, la paranoïa d’un Staline vieillissant.