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Critiques de Nicole Edelman (2)
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Histoire de la voyance et du paranormal. Du..

L’histoire commence au temps des somnambules lorsque Mesmer se propose de comprendre le monde à travers sa théorie du magnétisme : « L’univers baigne dans un fluide qui permet la propagation de courants d’énergie qui pénètrent tous les corps inanimés et vivants. Le corps humain est pris dans ces flux et reflux. […] La santé ou les maux de chacun sont liés, selon sa conception, à des déséquilibres de ce fluide dont il est donc nécessaire de contrôler la circulation harmonieuse. »





En négligeant tout ce qui précède et en évoquant seulement la catégorie fourre-tout de la sorcellerie dans le Moyen Age, Nicole Edelman choisit surtout d’analyser la voyance populaire dans sa confrontation avec le développement d’une méthode rationnelle légitime. De là se justifie la distinction qu’elle souligne entre la « voyance », phénomène essentiellement social qui vise particulièrement le réconfort des individus privés, et le « paranormal » qui «ouvre sur le questionnement du fonctionnement du psychisme, sur l’antique interrogation des relations du corps et de l’esprit, de la pensée et de la matière que philosophes et médecins se posent depuis des siècles sans pouvoir donner de réponses décisives ».





Le parcours historique proposé est cohérent mais chaotique. Le réseau des correspondances suggérées entre la sorcellerie, la voyance, la parapsychologie, la psychiatrie puis les sciences physiques n’indique pas sa logique et éclaire peu le lecteur. Certains raccourcis tendent même à faire apparaître deux visages distincts de la voyance : l’une serait l’affaire de bonnes femmes et le fait d’anciennes ouvrières reconverties, l’autre serait l’affaire de la réflexion d’hommes de sciences sérieux. Aux premières, on reconnaît sinon leur talent véridique, au moins leur empathie émotionnelle supposée être à la base de leurs prédictions. Aux seconds revient le mérite d’une avancée intellectuelle concrète et légitime qui s’épanche dans les milieux scientifiques et littéraires. On nous parle parfois de franc-maçonnerie, de fantômes et d’astrologie, sans que le lien avec la voyance (la communication d’esprit à esprit ?) ne soit forcément explicite.





L’abondance des faits rapportés dans cet ouvrage se place rarement dans une perspective de compréhension contextuelle. Cette histoire de la voyance, en ne s’attachant qu’aux anecdotes folkloriques naïvement opposées à la recherche légitime, ne justifie ni l’un ni l’autre et se prend à son tour au piège de la mystique.

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L'impossible consentement

L’effacement d’une femme ou sa transformation en femme-objet



« En permettant la condamnation d’un homme pour viol sous magnétisme, ces experts admettaient qu’il était possible de mettre un être humain dans un état de conscience modifié (état que l’on nommerait aujourd’hui « hypnose ») et de disposer ainsi de son corps, de ses actes et de sa parole ».



Un procès en juillet 1865, une enquête sur l’histoire du magnétisme et de la psychologie, une recherche sur l’histoire sociale et politique, une interrogation « ancrée dans mon temps et en posant des questions anachroniques », l’analyse de « la relation du sujet au monde auquel il est confronté dans une situation donnée », un questionnement des rapports de domination entre les hommes et les femmes, une interrogation sur la construction des vagabonds et de la dangerosité…



Nicole Edelman procède à une lecture détaillée du dossier d’instruction. Elle présente les protagonistes (« Est-ce un enlèvement ? Une fugue contrainte par hypnose ? Un départ consenti »), les témoins (« S’agit-il d’un enlèvement ? Est-il consenti ? Et que veut dire viol ? Et viol par magnétisme en 1865 ? Quel sens tout cela peut-il avoir pour eux ? »), le dossier administratif, « La lecture des pièces du dossier vient de nous montrer combien le magnétisme et ses effets hypnotiques tiennent une place déterminante dans le déroulement de l’instruction du procès et dans la condamnation au bagne », le rôle central du magnétisme dans la condamnation de Timothée Castellan…



Il convient de se replacer dans le contexte et l’époque. L’autrice nous rappelle qu’ici « les jurés sont généralement plus soucieux de l’accusé que de sa victime » (pendant les procès pour viol, la parole des femmes est très souvent mise en doute), que le viol n’était pas considéré comme un crime, que la question de la virginité de la victime allait de soi, que la souffrance psychique de la jeune femme est indicible ou inaccessible compte tenu des interdits moraux et des normes sociales, que les questionnement sont « moins sur la souffrance de la jeune femme victime que sur la nécessité du maintien du calme social dans son village », que les hommes qui jugent « ne peuvent pas, ou ne veulent pas, concevoir cette possibilité d’un désir (qu’il soit matrimonial ou sexuel) chez Joséphine Hugues ». L’autrice explique, me semble-t-il de façon pertinente, pourquoi il n’y a eu recours à la notion d’hystérie, médicalement plus simple, mais plus couteuse socialement…



Je souligne l’argumentation autour de la posture « plus politique et sociale que médicale », du maintien des « hiérarchies familiales » et des « impératifs sociaux », des normes de comportements en matière de sexualité et interdits dictés par l’Eglise, de la sexualité désignant d’abord la reproduction sexuée, de la disparition de la femme « en tant qu’individu »…



Nicole Edelman revient sur les caractérisations de Timothée Castellan. Elle discute des « conditions locales et temporelles qui entourent les notables » et de leur réquisitoire accusateur, de la lourde condamnation, des perceptions de « la dangerosité sociale », de la « subordination familiale », du travail de la terre, du parler et de l’écrire en français, des conflits industriels et des luttes de « type ancien », du rattachement de Nice et de la Savoie à la France, des conséquences sur le commerce régional de la guerre de Sécession aux Etats-unis, des ouvriers devenus parias, « Timothée Castellan représente donc à tous égards un danger pour la stabilité et l’ordre politique et sa lourde condamnation en est, me semble-t-il, une conséquence »…



J’ai particulièrement été intéressé par le chapitre sur le cas Joséphine Hugues et les experts médicaux, sa négation en tant qu’individu, les viols (et le cas du « viol sous magnétisme »), sa réduction à un objet de « recherche étiologique », la sensibilité nerveuse attribuée aux femmes, les appréciations dans le temps (1880 à 1909) – sur la conscience paralysée, l’hystérie, la suggestion, la reprise de l’hystérie -, « Dans toutes ces dernières versions, il est patent que chaque médecin cherche à plier le cas Joséphine Hugues à la classification médicale en vogue ou qu’il défend – enjeu primordial dans les luttes de pouvoir qui les opposent », les enjeux politiques et sociaux…



L’autrice analyse aussi l’éducation en relation avec la classe sociale, le maintien de la mise à l’écart des femmes de la politique, la complémentarité dans un rapport de subordination de l’épouse à l’époux, les cadres « contraignants et douloureux » qui assujettissent les femmes, le statut naturalisé de « victime innocente », la dangerosité sociale…



L’anachronisme des questions, les représentations contemporaines, Nicole Edelman tente « une interprétation d’historienne fondée sur l’ensemble des sources et des documents dont j’ai pu disposer pour écrire un récit plausible de cette affaire Castellan », discute d’un film de Benoît Jacquot et de la création d’une fiction – ce que ne peut faire une historienne. Elle propose « une interprétation subjective tout en restant fidèle aux sources dont elle dispose ». Une interprétation qui donne à comprendre, me semble-t-il, les possibles contraints et réduits qui pèsent sur cette journalière célibataire…



En conclusion, l’autrice parle du récit de ce viol sous magnétisme, de diffraction de « deux morceaux entrecroisés et enracinés dans des soubassements différents », de la construction des représentations, d’un « change permanent entre réel et imaginaire, entre savoirs et croyances, entre production de vérités et résistances aux normes », de la représentation de cette femme comme « victime, une femme-objet », de maintien du « pouvoir social, moral et politique des notables », de la « superbe ignorance de la parole » d’une femme, de l’appropriation du corps des femmes, d’absence de liberté…



« Par la dépendance matérielle où (la femme) est tenue, écartée de presque toutes les fonctions sociales autres que serviles, et réduite à un salaire insuffisant, écrit la journaliste féministe André Léo, on la force ou de se vendre dans le mariage en échange d’une protection souvent illusoire, ou de se louer dans des unions temporaires : on en a fait un objet. Par la servitude morale qu’on lui impose en la déclarant faite pour l’homme, et non pour elle-même, née pour le dévouement annexe, accessoire du principal, en lui ordonnant la soumission, en la privant par conséquent d’initiative et de responsabilité, on l’a frappé d’incapacité morale – on en a fait un objet » – 1869



Une étude passionnante sur les rapports de domination, les regards médicaux et politiques, les contraintes et les clichés qui pèsent sur un homme et surtout une femme.
Lien : https://entreleslignesentrel..
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