Le mercredi 10 mars 2021, Nicole Malinconi se prêtait au jeu de la rencontre "en librairie" de façon virtuelle en dialoguant avec la libraire Maya Orianne, de la librairie "A livre ouvert" à Bruxelles. Elles y évoquent le récit de Nicole Malinconi paru aux Impressions Nouvelles en janvier 2021, "Ce qui reste".
Un jour, dans le jardin, plus aucun tremblement ni sursaut dans les feuilles.
Plus de feuilles.
Ni brindille chapardée, ni plume perdue dans l'herbe.
Plus de frôlements près de la vasque ;
finis, les sifflements, les roulades, les éclats,
les appels.
Le buisson est vide.
Ils se cachent.
Ils se taisent.
Ils manquent.
L'impuissance, le désespoir ou l'angoisse ne sont l'affaire que de qui regarde, de qui a les mots pour dire qu'il a vu mourir un canard.
Le chardonneret
Pour un comme lui qui n'a jamais fait que voler de chardon en chardon, s'accrochant à n'importe quelle minuscule frêle tige, tête en bas s'il le faut pour décrocher ses graines favorites, poussant ses allures d'acrobate jusqu'à faire son nid en bout de branche, à tout vent, puis s'en allant siffler avec les autres dans les haies, et qui tout d'un coup se voit ainsi attaché, le fil à la patte, il y a de quoi s'élancer aussitôt et tâcher de déguerpir de là au plus vite, et insister en dépit de cette chaîne qui le rabat à chaque coup sur le perchoir ; et même là, continuer à s'agiter, le bec ouvert, comme à bout de souffle. (p. 32)
ndl : Ouvrez, ouvrez la cage aux oiseaux...
Une pie plonge du haut de l'immeuble. Disons plutôt qu'elle tombe comme une pierre.
À la voir piquer ainsi vers le sol, on pourrait croire qu'il y a là, au fond, un point précis que nous ne voyons pas, une proie immobile, offerte à son regard de pie, irrésistible ; alors on se penche à la fenêtre.
On la voyait déjà foncer comme un rapace, bec en avant, mais la voilà qui atterrit dans l'herbe, rebondit, pattes jointes, et s'éloigne de son point de chute par petits sauts, comme si de rien n'était. Pour peu, on se sentirait roulé.
C'était le jour où ma fille est née, le 24 novembre. Il n'était pas là; j'ai accouché seule, à la maternité; il est arrivé le lendemain, disant qu'il avait à m'annoncer une bonne nouvelle et une mauvaise nouvelle, qu'il me laissait choisir celle que je voulais en premier.
La mauvaise nouvelle, c'est qu'il avait tué Bernard (son complice lors des enlèvements de jeunes filles); la bonne nouvelle : il avait acheté un mobil-home.
Alors je caresse les cheveux gris défaits. Je pense: le corps de ma mère. Cette chair-là. C'est comme retrouver un terrain après un désastre. Quand il ne reste que du silence et plus rien à dire. Quand le silence emplit les oreilles comme une terre. Et qu'on pleure sur l'horreur et sur ce qui est perdu; sur le mensonge aussi de ce que l'on croyait impérissable.
Plus tard, très loin de son enfance, on entend parfois un air, une pastorale ou une romance dont on a fini par connaître le nom. On dit : écoute, cette musique, et on est là, revoyant en soi-même le lieu, et plus encore, l'instant de cet air-là, ce bref moment où l'enfance s'ouvrait sur la vie inconnue qu'on allait avoir et dont on ne savait rien, sinon qu'elle semblait à la mesure de la musique que l'on entendait. On voit peut-être que l'on ne peut guère en dire davantage et que pourtant, tout au long des années écoulées, on n'a cessé de rechercher cet instant perdu. Et on dit que cette musique, va savoir pourquoi, elle vous fait toujours quelque chose.
La femme porte des lunettes épaisses; on voit ses yeux tout petits à travers les lunettes; les yeux sont loin, comme reculés dans la tête, on ne sait pas d’où elle vous voit.
Ça commence quand elle ouvre la fenêtre la nuit, pour appeler les gendarmes et qu'elle se laisse tomber n'importe où. L'homme dit que c'est à cause de tout ce qu'elle prend pour dormir, depuis tant d'années. Toutes ces saloperies, il dit. Et qu'elle n'a jamais prétendu abandonner. Et que si elle avait eu un peu de volonté, mais non.
Elle, quand l'homme la relève, elle demande où elle est, elle appelle sa mère ; demande à l'homme d'aller la chercher ; elle n'entend pas l'homme lui dire que sa mère est morte depuis des années ; elle m'appelle moi aussi, avec sa mère.
Bouvard et... (Gustave Flaubert)