– Vous apprendrez que le temps guérit bien des blessures…
– Le temps donne du recul, c’est tout. Il aide à oublier, seulement je n’oublierai jamais ce qui s’est passé, alors comment voulez-vous qu’il me guérisse ?
– Bien sûr que vous n’allez pas oublier l’accident, il fait partie de votre parcours. Mais je peux vous affirmer ceci : ça ira mieux. Ce revers vous paraît insurmontable actuellement, car vous êtes jeune.
Quelques millimètres séparent nos visages, son nez se pose sur le mien, nos yeux ne se quittent plus. Plus aucun bruit ne s’élève, il n’y a que lui et moi – plus de meilleurs amis, ni de frères ou de parents ou qui que ce soit entre nous. Alors il m’embrasse, effaçant toutes mes appréhensions.
Finalement, et à ma grande surprise, j’ai peut-être trouvé l’endroit où je pourrais survivre.
Je suis sur la corde raide. Un de ces quatre, elle se brisera et je n'aurai plus rien pour me retenir...
- Si j'ai appris une chose dans cette vie, Cara, c'est qu'on pense toujours éprouver une effrayante responsabilité pour quelque chose dont on n'est pas coupable.
- Bon, dis-je en examinant les pétards et les confettis qu'on vient de placer au centre de notre table. Il y a des moments, comme aujourd'hui, où cette école me paraît complètement craignos. ça me donne l'impression d'être sortie du monde réel.
- Dis plutôt que ça ne fait pas partie de ton monde. Le monde réel combine toutes sortes d’extravagances. N'écarte pas une chose de ta vie sous prétexte que tu ne la connaissais pas.
- Plus je vieillis, plus elle reste jeune. La distance entre nous n'arrête pas de grandir et il n'y aucun moyen de revenir en arrière.
- Bien sûr que vous ne pouvez pas revenir en arrière.
- Que voulez-vous dire ?
- Vous avez déjà subi le pire et vous avez survécu. Vous ne pouvez pas reculer, juste avancer. Le temps ne compte que pour les vivants, Cara. À présent, c'est à vous de vivre.
– Tu dis qu’elle est morte pour que je survive, c’est ça ? Une vie pour une vie ? Non, quand elle est morte, ma vie aussi s’est arrêtée.
– Pas du tout, corrige-t-il tranquillement. Peut-être que, quelque part, tu l’aurais souhaité. Quand Georgina est morte, ta vie a juste changé de cap. C’est tout.
A quoi bon si c’est pour finir par mourir ? Disparaître dans l’oublie. Rien de ce qu’on fait ne peut nous survivre.
– Bien sûr que si. Votre amie est peut-être partie, mais tout ce que vous avez bâti ensemble existe encore. Elle représentera une référence pour vous, sur tout ce que vous attendez de l’amitié. Sur vos réactions aux expériences nouvelles, ces choses que vous n’avez pu faire avec elle. Sur vos amours. Elle sera avec vous, en vous, pour le restant de vos jours.
– Ça ne suffit pas.
– Il le faudra bien. C’est une leçon cruelle pour votre âge, Cara, mais à un certain point de la vie, elle devient inévitable, pour chacun d’entre nous.
– La leçon de mort à tous ?
– Je dirais la leçon prônant que vous êtes vivante.
– Je le sais bien !
– Vraiment ? Vous en êtes certaine ?
Il existe deux sortes de mensonges, m’a-t-elle répondu. Les petits et les gros. Les petits mensonges sont justifiés, car on les lâche pour protéger d’autres gens, tandis que rien ne justifie les gros mensonges, qu’on ne lâche que pour se protéger soi-même.
Cette arrivée ressemble furieusement à la première, pourtant je remarque des choses que je n’avais encore jamais vues, comme la splendeur des montagnes avec leurs sommets meringués. Toutes les couleurs me semblent plus éclatantes. Je me fais cette promesse: cette fois, je vais me battre de toutes mes forces, cette fois, malgré ce qui va inévitablement s’ensuivre, je serai honnête. C’est mon seul espoir.