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Citations de Norbert Scheuer (32)


Dimanche 24 septembre 1944

(...)Je vois maintenant un délateur en chacun d'entre nous. Mais est-ce que tout être humain, toute créature ne s'aime pas d'abord lui-même avant tout ? (p. 266)
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Mercredi 12 avril 1944

D'immenses champs de bruyère prolifèrent maintenant dans l'entonnoir et sur les terrils de poussière de plomb et de scories. A la fin de l'été, c'est comme si le bleu du ciel était tombé sur la terre. (p. 157)
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Il a installé son nouveau rucher contre la roche de grès, juste à côté de la remise où il rangeait ses outils et où, les dernières années de vie, il venait s'asseoir dans un vieux fauteuil et dessinait les abeilles, les butineuses, les ouvrières, les gardiennes, la reine, sa cour avec les servantes et les gros bourdons lubriques. Au cours de sa vie, mon père a réalisé de nombreux petits dessins de ses abeilles, comme s'il avait l'intention de dessiner chacune d'entre elles dans le moindre détail, comme s'il s'agissait chaque fois d'un individu à part entière. (p. 20)
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Ce que j’écris n’est qu’un projection de ma vie, c’est à la fois moins et plus que ce que je suis moi-même, de même que la langue parlée est toujours plus que sa transposition écrite, laquelle révèle peut-être pourtant une réalité plus profonde, tout comme une carte ne peut jamais représenter le paysage réel. (p. 65)
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Jeudi 13 juillet 1944

Le bruit des attaques ne semble pas déranger les abeilles; elles vivent dans un monde différent, apparemment pacifique, et ne s'intéressent pas à la guerre. Elles rentrent de leurs vols de butinage chargées de pollen blanc, de chardons, de lis, de conifères et de camomilles provenant des prairies et des jardins environnants. Elles butinent comme si elles savaient qu'un hiver très froid les attend. (p. 216)
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Les abeilles coopèrent dans des systèmes très complexes. Elles ne peuvent pas réinventer leur système social, ne peuvent pas simplement tuer leur reine et instaurer une république. Il leur a fallu des millions d'années pour s'organiser comme elles le sont aujourd'hui. Dans la ruche, tout semble être équipé au mieux pour la survie et le bien-être de la colonie. Virgile aimait et appréciait déjà les abeilles, il les considérait comme diligentes, dotées d'un don artistique, car elles construisent de beaux-rayons de cire. Il a même vu dans leur organisation étatique le modèle de l'Empire romain; il louait leur bravoure au combat, qu'il comparait à celle des courageux soldats romains. Mais les abeilles ne sont pas agressives; elles ne pourraient jamais conquérir d'autres colonies et les soumettre; quand elles ne sentent pas attaquées, elles sont pacifiques. (p. 22)
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Vendredi 19 mai 1944

Pourquoi laisse-t-elle sans combattre la régence de sa colonie qui fonctionne à une jeune reine ? Je l'ignore. Est-ce un désir d'aventure, veut-elle enfin savoir ce qui existe en dehors du monde obscur de la ruche ? Peut-être que c'est juste la beauté du monde, peut-être que les abeilles ont un sens pour cela, qu'elles en sont même à l'origine. La reine ne s'envole jamais loin du rucher car elle transporte toujours des milliers d'oeufs avec elle; elle n'a probablement pas la force nécessaire pour des vols plus longs. (p. 185)
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Je n'ai aucune idée de la façon dont les abeilles communiquent entre elles dans l'obscurité. (...) peut-être utilisent-elles simultanément tous leurs sens pour communiquer, le sens du toucher par le bout de leurs antennes et par les poils de leur fourrure, avec lesquels elles perçoivent la moindre vibration sur les alvéoles, l'odorat, le goût et l'ouïe. Bien qu'elles ne possèdent aucun organe particulier pour l'ouïe, elles semblent percevoir les sons avec leurs antennes et les produire elles-mêmes de différentes manières. Elles ont peut-être des sens que nous ne connaissons pas; peut-être qu'elles peuvent voir les vibrations les plus minimes, entendre ce que l'on sent, percevoir les odeurs de façon tactile et sentir ce que l'on voit. (p. 100)
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Lundi 27 novembre 1944
J'ai peur d'être à nouveau arrêté (...)
(...) peut-être que je devais détruire toutes mes notes, ne rien écrire qui ne concerne pas les abeilles; mais je ne peux pas, parce que la seule chose qui me reste, ce sont ces notes. Elles me maintiennent en vie, elles sont mon unique souvenir. je sens qu'à chaque crise, j'oublie de plus en plus de choses (...)
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Jeudi 30 mars 1944

(...) Les nouvelles de ceux qui sont tombés à la guerre n'en finissent plus, et pourtant tout le monde croit encore à la victoire. Comme l'espoir de l'homme est trompeur ! Une fois de plus, un de mes élèves est tombé, Friedrich, il n'avait pas dix-huit ans. On entend sonner le glas, il y a tellement d'enterrements qu'ils ne sont plus aussi solennels qu'au début de la guerre, ils sont trop nombreux. (p. 139)
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Les décisions concernant la stérilisation forcée et l'euthanasie sont prises par le tribunal cantonal. J'ai été stérilisé dans l'hôpital voisin. Le fait que je n'aie pas été transféré dans une institution comme les autres pour y être exécuté est probablement dû à la position de mon frère. Avec son tableau de chasse, Alfons est un héros du national-socialisme; il est même passé une fois aux informations avec son escadron. (p. 44)
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Dans l'après-midi, je dois aller inspecter les colonies qui sont dans des prairies de Lünebach. J'ai peur qu'avec le vent, mes ruches soient à nouveau recouvertes de neige. J'attelle le cheval devant le traîneau et me mets en route. Quand j'arrive chez Maria, Franz m'y attend déjà. Je m'arrête, le fait monter, l'enveloppe dans une couverture et lui rends les rênes. Le rhénan, un vieux cheval à sang froid, connaît le chemin jusqu'aux abeilles ; il est tellement têtu que ce serait difficile de l'emmener ailleurs. Sa crinière claire se détache sur sa fourrure sombre, des touffes de poils recouverts de neige gelée se dressent sur ses paturons. Nous nous arrêtons en bas de la route et grimpons jusqu'aux ruches, qui comme je le craignais, sont complètement recouvertes de neige. Une fois de plus, certaines ruches ont été vandalisées ; dans les champs, je découvre des empreintes de bottes. Quelqu'un a dû se frayer un chemin dans la neige et tomber plusieurs fois.
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Dans un écrit de 1463, peu avant sa mort, Cusanus décrit l'homme comme un géographe et un cartographe qui se trouve dans une ville à cinq portes, les cinq sens humains. Par ces portes, des messagers du monde entier viennent lui apporter la connaissance du ciel et de la terre, qu'il transfère ensuite sur sa carte.
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Jeudi 30 mars 1944

Depuis hier, le ciel s'est couvert à nouveau, il est resté toute la journée d'une étrange opacité gris clair. Il y a des moments où tout semble vide de sens, et il n'y a même pas de mots pour décrire cela. (p. 139)
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Mais est-ce que tout être humain, toute créature ne s'aime pas d'abord lui-même avant tout ?
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Mardi 26 septembre 1944

Je laisse fondre au soleil les morceaux de cire après la désoperculation; je récupère dans un seau la cire non filtrée. En hiver, je la liquéfierai à nouveau, la passerai au tamis et en ferai des bougies. Je suis sûr que je pourrai bien les vendre, l'électricité est constamment défaillante et l'odeur des lampes à acétylène est insupportable; les bougies parfumées seront très demandées. (p. 270)
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Mercredi 5 avril 1944

(...)
Les abeilles sortent maintenant tout le temps; elles ont besoin de nectar et de pollen, qu'elles s'empressent de butiner dans les saules, les noisetiers, les pissenlits, les érables et les aubépines. La couvée semble maintenant bien se développer. En raison de l'activité de ponte de la reine et de l'éclosion rapide des jeunes abeilles, la colonie est en constante augmentation. En plus des vols de collecte, leur plaisir de construire renaît. Elles construisent sans cesse de nouvelles alvéoles, de petits immeubles hexagonaux qui me rappellent ceux des cités. (p. 147)
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Avec l’hiver, exceptionnellement, je dois travailler plus que mes abeilles ; pendant les périodes de gel, elles se consacrent uniquement à leur survie, ce qui veut dire en premier lieu à survivre au froid. Leur colonie est comme un organisme qui inspire au printemps, expire en été et se repose en automne et en hiver. Moi, par contre, en hiver, j’ai beaucoup de choses à préparer pour la prochaine saison.
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Lundi 25 septembre 1944

Je ne supporte tout simplement plus le bruit, le scintillement aveuglant des obus et des bombes et la peur constante. Je ne prends presque plus de notes, plus rien ne me semble valoir d'être écrit. Est-ce l'épilepsie, qui n'a pas été traitée correctement, qui déclenche en moi ce sentiment ? (p. 268)
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Ces dernières années, je n'avais plus de crises d'épilepsie; pourquoi maintenant ? Peut-être que l'effet du médicament a diminué ou que c'est dû au bruit de plus en plus fort et menaçant des avions , et à ma peur. Enfant, mes convulsions survenaient même quand on parlait fort, d'où ma fuite constante dans le monde silencieux des livres. (p. 121)
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