H.D. Thoreau
Je n'irais pas minauder dans le salon d'un homme riche, dit-il, pour voir le roi de France, et encore moins une peinture à l'huile dans un cadre doré. Mais un livre est une sorte de démocratie et je suis libre de regarder ce que je veux. (p. 28)
Il [Henri D. Thoreau ] ne s'abaissait ni ne flattait, pas plus qu'il ne tolérait la flatterie. Il avait ôté le vernis de la civilisation comme l'écorce d'un bâton. Henry était un homme naturel, aussi franc que le coucher de soleil qu'il venait d'admirer. (p. 21)
Au début de notre "amitié"- j'utiliserai ce mot par facilité-, j'ai pris Henry Thoreau pour un homme ordinaire doté de tous les défauts de notre espèce, alors qu'en vérité il fut un homme extraordinaire n'en ayant presque aucun. Je m'efforcerai de dire ce qu'il vécut et ce que je vécus dans les bois de Walden après qu'il s'y fut installé le jour de l'Indépendance de 1845, jusqu'à septembre 1846, quand je les quittai pour de bon.
J'étais parti dans les bois afin de m'y construire une cabane avant qu'il vienne s'installer à la campagne. J'y suis allé à la demande de son ami Ralph Waldo Emerson. C'est Emerson qui m'a accueilli chez lui après ma fuite épuisante hors de mon "Egypte", et c'est aussi lui qui, plus tard, lancerait une souscription parmi les abolitionnistes pour m'acheter ma liberté. Dès mon arrivée au village- pour moi, la dernière étape du Chemin de fer clandestin-, j'ai vécu sous sa protection. Il a entrepris la longue et lourde tâche consistant à illuminer mon esprit enténébré. Thoreau, lui aussi, ferait beaucoup pour élargir ma perception du monde. Il m'incombe désormais d'achever cette tâche, ainsi que chacun doit le faire, et je suis loin d'en avoir fini. (...)
En outre, si le lecteur veut bien me pardonner, je tiens à affirmer que je ne dois à personne d'avoir retrouvé ce qui aurait dû rester mien depuis la naissance. (p. 17)
Ils ne s'exprimaient pas toujours comme des transcendantalistes ou des littérateurs. Ils discutaient parfois de choses banales, en hommes ordinaires. C'est une remarque qui semble tomber sous le sens, mais la plupart d'entre nous s'attendent à ce que les grands hommes séjournent en permanence dans des sphères élevées, dont ils ne redescendent jamais. (p. 33)
"Je suis ici avec M. Emerson, dis-je enfin. Je l'aide à porter ses paquets."Les paquets étaient les miens et je compris avec un serrement de coeur que je m'étais encore une fois mis dans le rôle de l'esclave. (p. 64)
Personne n'est plus arrogant qu'un homme convaincu de la justesse de sa cause.
-Je sais qui vous êtes, monsieur Long. Waldo Emerson vous considère comme son..."
Le mot qu'il aurait pu utiliser pour définir ma relation au célèbre homme de lettres-"employé", "garçon de courses", "protégé" ou "ami"- ne fut pas prononcé.
"Oui", répondis-je, désireux à cet instant d'être qualifié par le nom, quel qu'il fût, auquel penserait Henry. Les habitudes de la servilité persistent longtemps après que les chaînes ont été brisées. (p. 21)
"Que lisez-vous donc, Samuel ?" me demanda-t-il
Je le lui dis et, à ma grande surprise, il se leva de son écritoire, m'arracha le tract des mains et le jeta dans le poêle.
"C'était mon bien! " m'écriai-je.
Je trouvai bizarre de m'entendre revendiquer un bien quelconque, quand jusqu'à une date récente j'avais moi-même appartenu à un autre. (p. 35)