How To Write A Crime Novel | Nuala Ellwood
Je voudrais lui jeter à la figure l'héritage empoisonné qu'il nous a légué, cette gangue de culpabilité et de souffrance, mais il n'y a pas d'exécutoire à ma colère: mon adversaire me fixe de ses orbites vides. Les morts ne peuvent pas répondre.
Et, comme avec la plupart des monstres, dès qu'on se dresse devant eux, on comprend qu'ils ne sont pas aussi effrayants qu'on le croyait.
Je sors de chez elle en vacillant, oppressée, mon sac collé sur ma poitrine comme un bouclier.Je veux m'éloigner au plus vite de ma soeur et de ses propos venimeux, l'effacer de mon esprit, penser à des sujets agréables. Mais sa phrase tourne en boucle, de plus en plus fort, au point que j'ai l'impression que ma tête va exploser : Kate n'aurait pas laissé un enfant mourir.p.102
L’interne des urgences exténué qui m’a tendu un flacon de comprimés comme si c’étaient des bonbons. Ensuite, allongée sur le lit, l’étrange sensation d’apesanteur en attendant qu’ils agissent. Leurs effets secondaires étaient pires que la pire des hallucinations, que le pire des cauchemars : j’étais incapable de réfléchir, je pouvais à peine formuler une phrase, encore moins rédiger un article ou mener une interview. En deux semaines, je suis devenue une loque. Je n’avais qu’une envie : dormir, manger et ne penser à rien. J’ai fini par les jeter dans les toilettes.
Devant les rangées de pavillons jumelés, avec leurs jardinets proprets et leurs bordures de buis, je me dis que c'est ça, la vie. Ce n'est ni la guerre, ni les épidémies, ni les hôtels incendiés ; ce sont des hommes et des femmes dans leur petite boîte, avec leurs enfants, leur machine à café et leurs congés payés. Voilà à quoi devrait ressembler la vraie vie - à quoi ressemble celle de Chris.
Moi, je suis sur la touche, un fantôme sans racines. Je referme la porte de la maison lugubre de ma mère. J'ai l'impression d'être le dernier être humain de la planète.
Je vais à la fenêtre. La voûte céleste est dégagée, si différente du ciel pollué que je contemple chaque nuit à Londres. J'observe la lune et les étoiles clignotantes en pensant à la Syrie. Chris avait l'habitude de dire que, là-bas, la nuit tombait aussi vite qu'une guillotine. J'ai l'impression de me déconnecter : la Syrie, Londres, Chris appartiennent à une autre vie. La seule qui soit réelle, c'est cette vie-là, dans cette station balnéaire. Je ne suis plus journaliste risque-tout, je suis une adolescente terrorisée, tapie derrière les rideaux, effrayée par les cauchemars qui surgissent dès qu'elle s'endort.
- Avec les enfants, c'est différent, poursuit-elle. Ils sont plus vulnérables que les adultes et doivent être protégés.
...
- Vous mettez beaucoup l'accent sur eux dans vos reportages.
- Oui.
- Pour quelle raison ?
- Parce qu'ils sont des victimes innocentes. Au contact d'enfants qui ont connu la guerre, on comprend à quel point tout cela est dérisoire. Ils se moquent des frontières et des dissenssions, ne sont tenus ni par des liens tribaux ni par des enjeux politiques. Ils désirent simplement jouer, aller à l'école, être en sécurité.
La voix perçante de mon père s'insinue à travers la poche d'air qui relie le passé au présent. Un présent déformé, une succession infinie de moments que je revis nuit après nuit. Je voudrais lui jeter à la figure l'héritage empoisonné qu'il nous a légué, cette gangue de culpabilité et de souffrance, mais il n'y a pas d'exutoire à ma colère : mon adversaire me fixe de ses orbites vides. Les morts ne peuvent pas répondre.
A partir de maintenant, ma vie va se résumer à un long cauchemar entrecoupé de voix et de cris.P128
Je monte à l'étage. Sur le palier, je m'arrête, la gorge serrée, devant la porte de la chambre de ma mère. L'entaille dans le panneau du bas est toujours là. Je me mets à trembler comme si, en une seconde, j'étais ramenée trente ans en arrière. Pourquoi ne l'a-t-elle jamais réparée ? J'ai beau me répéter que je ne dois pas entrer, que je ferais mieux d'attendre demain matin, c'est plus fort que moi : je pousse le battant, le souffle court. La fureur de mon père est encore palpable ; j'ai l'impression qu'il va se ruer sur moi d'une seconde à l'autre pour me demander pourquoi je fouine partout.