Des mots magnifiques. Faits par elles, Madelaine et Marie. Deux chemins de Vie, un même verbe : Vivre. Chemin d’enfance, de mémoire. Acte de résilience. Prendre terre, puiser, plonger, marcher, sentir, ressentir. Comprendre ce que l’argile et le feu modèlent, fabriquent en nous, entre nous, autour de nous. Ombres et lumières. Vides et pleins.
Partir pour entrer en matières. Prendre terre pour prendre soin. Juste l’éclat d’un émail de cendres, comme l’éclat d’un regard ,d’une vision. Accepter d’être Voyant, mettre des mots, faire sa pelote de rêves, laisser revenir les souvenirs , accueillir des fantômes d’images, puiser au plus profond la force de reprendre la route. Faire chemin.
Faire route. Fouiller, observer.
Des bris de mémoire comme les tessons d’une poterie oubliée.
Roman poétique, initiatique.
Il y a la terre, le Berry, l’argile noire, Le Nord , cet appartement blanc, ce chemin jaune ,au Sud, cette garrigue. Il y a la forêt, le feu, cette boussole solaire, il y a les silences, ces présences. Il y a ce cahier blanc, ce cahier rouge.
Ce feu qui transmute, cette mémoire qu’on transporte...
Écrits, faits, modelés, transmis, créés, partagés...Pas à pas.
Tout prend racines au choeur d’un même rêve.
La demeure d’un voyage. D’argile et de feu, : tout simplement : vital !
Découvrez l’univers d’Océane Madelaine : https://www.oceanemadelaine.fr/
Astrid Shriqui Garain
Commenter  J’apprécie         151
Vita. Vita des Ombres. Vita de Favitas. C’est cela le pouvoir de l’écriture. Donner corps et âme bien plus que donner vie. Vita porte les ombres. C’est son destin. Sa mission. Elle porte, elle, dont « la pierre » prend « ton son poids sur son dos de bonne pierre. ». « Seule face au monde », « dans le rugueux et le tiède », pareille à cette île, pareille à cette pierre qui la porte. Pleine de « drailles et de ruines » , de « veines et de failles ». Seule, dans sa robe de lin noir .
« Qu’est-ce donc que quelques années encore de vie, quand on est riche de tant de pertes ? », nous le rappelle l’auteure à travers les mots de Pierre Michon.
Vita de Favitas. Celle qui porte les absents, celle qui modèle un bol d’argile rouge pour recueillir la parole des morts.
« On est au bout du monde, et ils m’emmerdent à dire ça puisque c’est aussi le centre du monde si je veux, et je le veux, je l’ai toujours voulu ».
Vita, un phare, une veilleuse, celle qui conte ses sept vies.
Elle porte les ombres. Elle veille sur l’anse des coquelicots, qui ne sera jamais cimetière. Gardienne silencieuse et souveraine. Une île, le dernier îlot face à un monde de guerre, de folie. Vita ne connaît pas la perte, elle sait le poids de l’absence. Les morts, c’est : « mon peuple à moi, l’autre troupeau qui suit les chèvres dans la garrigue, puise que j’ai jamais été fichue de vivre avec les vivants ». Elle est immense, Vita, face à l’océan, immense de présence pour ceux qui connaissent la perte de l’Autre. Elle accompagne, protège, soigne. Parle peu, mais porte, porte le poids pour ceux qui doivent vivre.Elle accueille et recueille.
C’est cela le pouvoir de l’écriture. Modeler un monde, comme on modèle la terre. On creuse, on déverse, on vide, on enflamme, on recueille. Et puis Vita se dresse, on sait que l’île existe, on sait que Vita veille, on sait que quelque part au centre du monde il existe, et existera à tout jamais au creux du lecteur, une richesse. Celle d’une parole, pour laquelle Vita a modelé un bol d’argile rouge.
C’est un roman d’une beauté minérale, océane.
Astrid Shriqui Garain
Commenter  J’apprécie         110
N°992– Novembre 2015
D'ARGILE ET DE FEU – Océane Madelaine- Éditions des Busclats.
Étrange récit que celui-ci qui se décline alternativement sur deux cahiers, le blanc où la narratrice, Marie, évoque son enfance dans la garrigue, ses parents morts, sa peur du feu qui les tua, la pension chez les sœurs, Pierre, son compagnon qu'elle suivit dans cette ville du nord, son travail d'enseignante puis son départ sans raison, seule, vers le sud, à pied avec chaussures de marche et ampoules douloureuses et pour seule boussole son envie de vivre autrement, de tourner le dos à sa vie d'avant, de changer pour l'inconnu, le hasard, l'inconfort... Sur le cahier rouge elle épelle la vie d'une autre Marie, qu'on nommait aussi Jeanne, la bâtarde, femme de terre et de feu qui a vécu au XIX° siècle et a choisi un métier réservé aux hommes dans lequel elle s'est imposée. Elle a jeté ses poupées pour modeler des écuelles, des pots, des pichets, préféré malgré son jeune âge les tours, la sculpture et l'émail au point d'imposer plus tard son style et d'apposer sa marque personnelle sur chaque pièce réalisée [« fait par moi, Marie Prat »]. Parce qu'elle a laissé des traces, elle la rencontre par hasard, à mi-parcours de son périple, se réfugie dans une cabane en planches et choisit de s'y fixer à cause de la couleur et des vertus de cette terre. Elle ne le sait pas encore mais ce terroir sera un jalon dans son voyage, peut-être aussi un but à cause de ce géomètre taiseux et énigmatique qu'elle rencontre là ou de ce rendez-vous imprévisible avec l'histoire de cette femme et aussi avec son destin personnel. Elle sera potière comme elle, un peu comme si, malgré toutes ces années, elle lui passait le relais. Elle apprend donc, s’approprie cet art populaire et quasiment brut dont elle ignorait tout, parvient à dominer sa peur du feu parce que les habitants du lieu l'incitent à reprendre l'usage du four laissé par Marie Prat. Ainsi le feu assassin devient-il pour la jeune femme, fécond, bénéfique, apaisant. Elle façonnera et cuira la glaise, ajoutant des mots pour que la complicité avec l'autre Marie soit complète, pour que l'hommage soit authentique .
Pourtant son voyage n'est pas terminé et un peu malgré elle doit aller plus loin, vers son enfance et ses souvenirs, comme un devoir de mémoire personnel, comme une manière de se retrouver elle-même, une chanson espagnole pleine de soleil au coin des lèvres pour adoucir cet hiver rude, emportant avec elle l'esprit et l'exemple de cette Marie Prat.
J'ai lu certains passages à haute voix pour apprécier toute la musique poétique de ce beau livre fort bien écrit, alternant les passages sensuels et bucoliques.
Je le redis ici, dans le climat délétère qui nous entoure, lire est apaisant
Commenter  J’apprécie         103
Magnifique premier roman, écrit dans un style exquis, des mots merveilleusement bien choisis. Un vrai bonheur.
Marie fuit depuis plus de quinze ans le drame qui a mis fin à l’insouciance de l’enfance, en s’enfermant dans une petite vie froide et bien rôdée, à un millier de kilomètre du lieu du drame. Mais un jour, elle obéit à ses pieds qui la ramènent vers le Sud. Sur son chemin, elle fera la rencontre d’une autre Marie, une potière, qui lui apprendra à surmonter ses souvenirs, à dépasser sa blessure et à accepter ce que la vie lui offre, pour enfin devenir adulte, libre, vivante et emplie de désir.
C’est très beau, des phrases tout simples mais tellement puissantes, tout en laissant une large part d’imagination au lecteur. Les descriptions du feu (« à chaque fois, les bûches se défont lentement, attaquées par les flammes et la braise, et ne reste qu’un os charbonneux ou écarlate. Mais le mystère tient à la métamorphose, chaque fois différente, se faisant par la houle orangée, l’entêtement hargneux d’une braise lente, le crépitement. Et chaque fois je m’étonne : il y a quelque chose d’absolument neuf dans la manière qu’a le feu de se répandre »), de la terre, qui n’est pas ici ce qui nous enlise et nous retient à dans notre animalité mais bien ce matériau qui nous permettra de dépasser nos souffrances et nos entraves, sont des vrais bijoux. Je le conseille à tous les amoureux des mots, aux amateurs de poésie, et à tous ceux qui veulent passer un excellent moment, …
Commenter  J’apprécie         100
L’argile génère la poterie qui a besoin de feu pour la cuisson. Le feu hante aussi Marie, la narratrice.
Céramiste de profession, Océane Madelaine signe ici son premier roman. Une réussite puisqu’il obtient le Prix Première RTBF 2015.
Il y a Marie, la narratrice, qui s’en va vers le sud et, plus d’un siècle auparavant, Marie ou Jeanne, la potière. L’errance de la narratrice Marie la mène vers une cabane abandonnée et ses pieds s’apaisent au contact de l’argile noire qui façonne la poterie. C’est au musée qu’elle découvre les œuvres de Marie, une des premières potières de France. Marie la potière a connu une vie rude, âpre comme l’autre Marie qui a aussi beaucoup souffert.
Deux parties qui se chevauchent graduellement, au fil de l’intrigue : le carnet rouge qui relate la vie de Marie ou Jeanne et le carnet blanc où se retrouvent les émotions ressenties par la narratrice. Présentation originale qui ne manque pas d’intérêt.
Commenter  J’apprécie         50
Elle marche vers le Sud, rejoindre la garrigue qu'elle a fui lorsqu'elle avait 12 ans et que ses pères et mère sont morts dans l'incendie de la garrigue. Depuis, le feu est une obsession pour elle, sous toutes ses formes. Elle le fuit. Elle a vécu quelques années avec Pierre qui l'a sauvée. Elle vient de le quitter, sans explications. Elle marche, vers le Sud. Il avait toujours su qu'elle partirait. Elle est partie.
Elle marche. Dans la forêt elle s'installe dans une cabane abandonnée qui a appartenu à un potier qui a eu une bâtarde, Jeanne ou Marie. Cela elle l'apprendra d'un géomètre venu travailler dans la zone. Elle s'attachera à lui mais rien ne se passera. Il lui raconte Jeanne qui a pris le nom de Marie, devenue potière elle aussi, alors que de ce temps c'était un métier réservé aux hommes. Elle était admirée pour ses œuvres très personnalisées, qu'elle signe "Fait par moi, Marie Prat".
L'héroïne (a-t-elle un nom ?) est potière aussi, a 32 ans, s'identifie à Marie.
Elle arrivera à surmonter les angoisses que lui cause le feu, en retournant dans sa garrigue.
C'est assez poétique, lent. Je me suis laissé porter par le rythme de l'écriture et j'ai aimé ce petit livre plein de charme alors que je partais avec un a priori un peu défavorable.
C'est un premier roman qui a reçu en 2015 le Prix Première lors de la Foire du Livre de Bruxelles.
Commenter  J’apprécie         50