Odette et Jean-Louis Bernezat Part1. C'est toute une vie que ce livre raconte. Une vie de guide, qui après la montagne, découvre d'autres immensités. De la neige au sable, "Bernouze" transmet le bonheur des grandes explorations.
C'est le dernier soir de l'année, mais ici, en plein cœur du Hoggar, ça ne veut rien dire. On s'en fiche. On est venu pour ça justement, parce qu'on s'en fiche.
On est venu s'isoler dans le vide du désert pour oublier l'exubérance de mon supermarché, Viv'l'vent, viv'l'vent d'hiver. Pour échapper aux papillotes, aux cadeaux, à Petit Papa Noël, à Doû-oûce nuit et aux pétards de minuit. Je n'ai dans mon groupe que des randonneurs qui veulent fuir l'excitation des fêtes de fin d'année. Ce ne sont pas forcément des gens seuls dans la vie, sans famille ou SDF de parentèle ; ce sont des gens qui veulent tout simplement être tranquilles.
Pour être tranquilles, nous sommes les rois ! Voilà dix jours que nous nomadisons sans but précis apparent, d'oued en oued et de col en col, grimpant ce que nous voulons à notre façon. Liberté totale. Non seulement on a oublié les flonflons de la fête, mais aussi les interdictions, les convenances et ce que pensera Tata si on ne lui rend pas visite le 1er janvier...
Ramrane, le guide, avait vu tous les soirs les Américains se serrer virilement la pogne, en se disant sans doute bonne nuit ou à demain... Il entreprit donc, lui aussi, par pure gentillesse, de faire le tour du groupe en serrant chaque main, chaque soir.
"Ar toufat !" disait très cérémonieusement Ramrane à chacun, ce qui veut dire tout simplement "À demain", "toufat" étant à la fois demain et le matin. Au bout de quelques jours, les Américains confièrent à l'interprète qu'ils ne comprenaient pas pourquoi Ramrane leur faisait le reproche d'être trop gras − "You are too fat" −, alors qu'il n'y avait aucune raison qu'on les juge trop gros ou trop gras. Il s'ensuivit une bonne explication pour laquelle l'interprète décupla son pouvoir de persuasion et son talent de médiateur.
Mettez un seul homme au milieu de dix femmes et vous verrez l'ambiance se transformer. Mettez trois hommes porteurs de nouvelles fraîches au sein d'un petit groupe de bergères célibataires, et vous ne reconnaîtrez plus aucune d'entre elles.
Je dois me méfier des mots, y compris ceux des pancartes. On m'a raconté qu'une apprentie randonneuse avait refusé de franchir un pas délicat parce que, au niveau d'un panneau, et juste à ce moment-là, un avion traversait le ciel au-dessus de sa tête... "Danger. Passage aérien !" signalait le panneau.
je dois emmener zou à la montagne. En douceur . Ellle a 17 ans et sa référence est le mont ST/ michel
Je suis couchée sur l’horizon et je regarde frémir l’herbe courte contre le ciel de l’aube blanche. Il s’est vidé de toute étoile ; le vent juste levé a chassé la dernière sans doute…
La fraîcheur du matin me rend consciente de la tiédeur douillette de mes couvertures et je souhaite presque qu’un frisson vienne conter moi… Je me blottirais plus profondément dans la douceur de mon bivouac.
Secrètement, s’élève du sol une silhouette qui s’étire sans bruit, hormis le frémissement des herbes alentours. Elle est grise, haute et longue : c’est Moussa. Il étire ses bras jusqu’au sommet du ciel et, lentement, face à l’Est, refait son chèche. Murmure. Maintenant, Moussa prie et sa prière passe furtivement comme le vent. Le simulacre de sa toilette devant Dieu ( visage et mains), ce simulacre, je le devine bien que je ne voie de Moussa que le dos, porte sombre sur le ciel ouvert. Tandis que me parviennent quelques mots doux et monotones, sa silhouette se courbe sur l’horizon, puis s’évanouit à hauteur des tiges de fenouil. Dans sa prière, le front de Moussa baise la terre, cette terre froide que ne touche pas encore la lumière du plein jour.
Un souffle de vent qui court à ras de terre ferme mes paupières. J’ai droit à un sursis d’immobilité avant que s’achève, ce matin comme chaque matin, la première prière du jour. Je suis habituée au rythme des prières quotidiennes étalées du lever du jour à l’heure du sommeil ; j’aime le calme et l’immobilité que requiert chacune d’elles ; je goûte pleinement ces paisibles parenthèses, vite ouvertes et closes, dans notre train de vie bruyant. La pureté de ces moments me met en grâce, même si Kader m’assure qu’il a prié pour moi mais que je n’ai pas beaucoup de chance d’aller ailleurs qu’en Enfer !