"Redon/Mallarmé : une amitié en poésie".
Une conférence prononcée le 15 juin 2011 au Grand Palais par Par Bertrand Marchal, professeur de littérature à luniversité de Paris IV - Paris-Sorbonne, responsable de la nouvelle édition des uvres complètes de Mallarmé dans la Bibliothèque de la Pléiade.
Il ne peut y avoir une lumière extérieure que s'il y a une lumière intérieure.
L'artiste vient à la vie pour un accomplissement qui est mystérieux. Il est un accident. Rien ne l'attend dans le monde social. Il nait tout nu sur la paille sans qu'une mère ait préparé ses langes. Dès qu'il donne, jeune ou vieux, la fleur rare de l'originalité - qui est et doit être une fleur unique- le parfum de cette fleur inconnue troublera les têtes et tout le monde s'en écartera. De là , pour l'artiste un isolement fatal, tragique même; de là, l'irrémédiable et triste solitude qui enveloppe sa jeunesse et même son enfance et qui le rend farouche quelquefois jusqu'au jour où il trouvera par affinité des êtres qui le comprendront.
Il faut respecter le noir. Rien ne le prostitue. Il ne plaît pas aux yeux et n'éveille aucune sensualité. Il est agent de l'esprit bien plus que la belle couleur de la palette ou du prisme.
Les grandes œuvres traversent le temps, rayonnantes et paisibles ; autour d’elles, lentement, la vérité s’élabore à travers les obstacles mis par l’actualité autour de leur puissance, et malgré les maigres propos de l’erreur ou de la sottise, elles durent, elles vivent, elles triomphent et s’imposent.
(cité en exergue dans l'ouvrage "Bonjour Monsieur Courbet" de Maurice Choury)
Etre d'un parti, c'est se mettre à plusieurs pour contraindre la liberté des autres, et se contraindre soi-même.
Or il faut aimer pour croire, et il faut croire pour agir : le meilleur enseignement sera donc reçu de celui qui aura déjà touché l'apprenti d'une sorte de révélation créatrice, issue de la beauté de ses propres oeuvres.
... Je crois à un enseignement fructueux par communication naturelle, à côté d'un maître de notre choix, et même dans son intimité si possible, tel qu'il se pratiquait naguère.
Je n'ai vraiment aimé la peinture et mon art que lorsque --- le pli étant fait, --- après des efforts en plusieurs sens, j'ai senti, je ne dis pas la virtuosité, mais tout ce que me donnaient d'imprévu et de surprises mes propres inventions : comme si leur résultat eût dépassé mes espérances. J'ai lu quelque part que le pouvoir de mettre ainsi dans un ouvrage plus de signification qu'on désirait soi-même et de surpasser en quelque sorte son propre désir par l'imprévu du résultat, n'est donné qu'aux êtres de sincérité et de loyauté entières, à ceux qui portent dans leur âme autre chose que leur art même. Je le croirais aussi: il leur faut le souci de la vérité, peut-être le don de pitié, ou d'en souffrir
Quel plaisir de lire dans une chambre tranquille avec la fenêtre ouverte sur la forêt. J'ai ouvert le vieux Dante, il ne me quitte plus. Nous allons vers une amitié sérieuse.
... mais la lecture seule ne suffit pas à former un esprit complet, pouvant fonctionner sainement et fortement. L'oeil est indispensable à l'absorption des éléments qui le nourrisse, ainsi que notre âme, et quiconque n'a pas, dans une certaine mesure, la faculté de voir, de voir juste, de voir vrai, n'aura qu'une intelligence incomplète.
Voir, c'est saisir spontanément les rapports des choses.
Juger n'est pas comprendre.
Tout comprendre, c'est tout aimer.
Il faut aimer naturellement, indolemment, pour la joie, pour celle que nous recevrons un jour, comme une grâce. Et c'est proclamer la nécessité du loisir.
Le loisir n'est pas un privilège ; il n'est pas une faveur ; il n'est pas une injustice sociale : il est la nécessité bienfaisante par quoi se façonnent l'esprit, le goût, le discernement de soi-même.