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Citations de Mori Ogai (20)


Ils descendirent à toute allure. L'humeur fiévreuse de la jeune fille semblait maintenant s'être communiquée à son frère.
Ils arrivèrent à l'endroit d'où jaillissait la source. Anju sortit le bol en bois de sa boite à provisions et puisa de l'eau claire.
- Échangeons une coupe pour célébrer ton départ.
Elle but une gorgée avant de passer le bol à son frère, qui le vida d'un trait.
- Au revoir, sœur chérie, je pars pour Nakayama. Personne ne me verra, ne t'en fais pas.
Il dévala la pente. En dix pas il fut sur la grand-route qui longeait le marais, et se hâtait déjà en direction du cours supérieur de l'Ôkumo.
Debout près de la source, Anju l'accompagna du regard, jusqu'à ce qu'il ne fut plus qu'une minuscule silhouette, escamotée et révélée tour à tour par les rangées de pins qui bordaient la route. Bien que le soleil approchât du zénith, elle ne donnait pas le moindre signe de vouloir remonter sur la colline. Par chance la montagne semblait déserte ce jour-là, il n'y eut pas un bûcheron pour s'étonner à la vue de cette enfant désœuvrée, debout au milieu du sentier.
Plus tard, au cours de la battue qu'ordonna l'Intendant pour retrouver ses deux serfs, quelqu'un ramassa, sur la berge du marais, une paire de petites sandales de paille : elles appartenaient à Anju.
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En l'écoutant, le visage d'Otama bleuissait jusqu'aux lèvres. Ensuite, pendant assez longtemps, elle resta sans rien dire. Dans son cœur de fille peu accoutumée au monde, des sentiments complexes s'agitaient en chaos. Elle était incapable d'en démêler les fils embrouillés, mais l'ensemble de ses sentiments désordonnés pesait d'un poids très lourd sur son cœur innocent comme celui d'une vierge qu'on aurait vendue : elle avait l'impression que tout le sang de son corps affluait à son cœur, et c'est ainsi que son visage perdait ses couleurs tandis que des sueurs froides lui coulaient le long du dos.
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Certains pédagogues conseillent aux jeunes gens de s'endormir dès qu'ils sont au lit et de ne pas rester couchés lorsqu'ils se réveillent, afin d'éviter toute pensée perverse. Car lorsqu'un jeune corps se trouve au chaud dans son lit, des pensées naissent en son esprit comme des plantes vénéneuses qui s'épanouissent à la chaleur. L'imagination d'Otama devenait parfois extrêmement dévergondée à ces moments-là. Une sorte de lumière naissait alors dans ses yeux et, comme si elle était ivre de saké, son visage rougissait des joues jusqu'aux paupières.
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La femme venait d'arriver devant la porte treillissée de la maison triste dont je viens de parler, et elle s'apprêtait à l'ouvrir. En entendant le bruit des geta d'Okada, sa main, posée sur le treillis, s'immobilisa soudain. Elle se retourna et son regard croisa celui du jeune homme.
Elle était vêtue d'un kimono sans doublure, de crêpe bleu marine, serré par un obi de satin noir doublé de soie marron de Hakata, et, dans sa fine main gauche, elle portait nonchalamment un panier de bambou artistement tressé, dans lequel étaient rangés une serviette, une boîte à savon, un petit sac de son de riz et une éponge. Elle s'était retournée, la main droite posée sur le treillis de la porte. Cette silhouette féminine, pourtant, ne fit aucune impression particulière sur Okada. Il remarqua toutefois que ses cheveux, qui venaient d'être coiffés en "feuille de ginkgo retournée", formaient derrière les tempes des ailes minces comme celles des cigales, et que son visage ovale un peu triste, au nez haut, donnait l'impression, sans que l'on sache trop pourquoi, d'être légèrement aplati depuis le front vers les joues. Ne l'ayant observée que pendant ce bref instant, il l'avait déjà complètement oubliée lorsqu'il parvint au bas de la Pente Muén.
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En fait, dans le dépit qu'elle ressentait, il y avait très peu de rancœur contre la société et les hommes. Si l'on avait cherché à déterminer la nature de cette rancœur, on aurait pu dire qu'elle s'exerçait contre son propre destin. Alors qu'elle n'avait rien fait de mal, elle se trouvait dans une situation qui lui valait d'être persécutée par les autres. Elle en ressentait comme une douleur. Son dépit, donc, s'adressait à cette douleur. Lorsqu'elle s'était aperçue qu'elle avait été trompée et rejetée, elle s'était dit pour la première fois : "C'est vexant !" Par la suite, quelque temps plus tard, quand elle s'est trouvée dans la situation de femme entretenue, elle s'était encore répété que c'était vexant. Et maintenant, apprenant qu'elle était non seulement entretenue, mais qu'elle l'était par un de ces usuriers détestés de tous, ce "C'est vexant", qui avait perdu ses angles, rongés jour après jour par la dent du temps, et décoloré, délavé par les eaux de la "résignation", reparut dans son esprit avec des contours nets et des couleurs franches. La vraie nature des choses qui étreignaient sa poitrine était probablement là, si l'on voulait trouver une explication logique.
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Vint le temps où les eaux se réchauffèrent, où l'herbe se remit à pousser. Un beau jour, il fut annoncé que les travaux extérieurs reprendraient le lendemain. Ce soir-là, à l'occasion d'une ronde à travers le domaine, Jirô se rendit à la cabane de la troisième porte.
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En ces années dix et quelques de Meiji, les usages en vigueur dans les maisons bourgeoises d'Edo avaient conservé toute leur force d'inertie ; il était donc d'usage que les employés logés chez leur patron ne soient guère autorisés à rentrer chez eux en dehors du Nouvel An et de la Fête des Morts, même si leur famille habitait la même ville.
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Lorsqu'elle prenait une assiette, elle la gardait dans ses mains pendant cinq longues minutes. Son visage brillait d'une légère rougeur pleine de vivacité et ses yeux regardaient le ciel.
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Au bout d'un certain temps de cette conversation, subitement prolixe, elle commençait à raconter une longue histoire. C'était tout au plus les petits heurts et malheurs de la vie qu'elle avait menée jusque-là, pendant des années, en la seule compagnie de son père. Suézo ne portait guère d'attention au contenu de son histoire, mais plutôt, comme s'il écoutait le chant d'un grillon en cage, il souriait inconsciemment en entendant ce joli gazouillis. Otama s'apercevait alors soudain qu'elle bavardait et, toute rougissante, elle achevait rapidement son histoire pour revenir au dialogue laconique du début. Toutes ces paroles, tous ses gestes, révélaient la plus grande innocence. Pour Suézo, qui en certains domaines avait l'habitude d'observer choses et gens d'un regard extrêmement pénétrant, elle représentait un lieu sans recoins obscurs, comme un bassin d'une eau parfaitement limpide. Ce genre de tête-à-tête lui donnait l'agréable impression d'être immobile dans un bain, juste à la bonne température, après un gros effort physique. La jouissance de ce plaisir était pour lui une expérience tout à fait nouvelle, et depuis qu'il avait commencé à venir dans cette maison, tout comme un fauve s'habitue à l'homme, il en recevait sans s'en rendre compte une sorte de culture*.

* en français dans le texte.
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Otama, qui jusque-là ne pouvait s'empêcher de se lever dès son réveil, en arrivait maintenant à rester au lit, enveloppée dans les futons, les jours où Umé lui disait : "Ce matin, il y a de la glace dans l'évier. Restez encore un peu au lit !" Certains pédagogues conseillent aux jeunes gens de s'endormir dès qu'ils sont au lit et de ne pas rester couchés lorsqu'ils se réveillent, afin d'éviter toute pensée perverse. Car lorsqu'un jeune corps se trouve au chaud dans son lit, des pensées naissent en son esprit comme des plantes vénéneuses qui s'épanouissent à la chaleur. L'imagination d'Otama devenait parfois extrêmement dévergondée à ces moments-là. Une sorte de lumière naissait alors dans ses yeux et, comme si elle était ivre de saké, son visage rougissait des joues jusqu'aux paupières.
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À un mètre au-dessus de la palissade, un laurier-rose étendait ses branches, entre lesquelles dansait une toile d'araignée toute emperlée de brillantes gouttes de rosée nocturne. Une hirondelle venue d'on ne sait où pénétra à tire d'aile dans le jardin.
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L'ombre vague d'un sourire passa sur son visage. Mais ce n'était pas l'expression cruelle d'une raillerie. J'ai réfléchi très profondément à ce que cela signifiait d'être un observateur détaché de naissance. Je n'ai pas de maladie incurable. Je suis un observateur détaché de naissance. Enfant, je jouais avec les autres et adulte, j'ai assisté à toutes sortes de représentations plus ou moins respectables pour des raisons sociales : quelle que soit l'animation de mon entourage, je ne me suis jamais senti dans le tourbillon et je n'en ai jamais joui au fond de moi. Il m'est arrivé d'être sur la scène du théâtre de la vie, mais je n'ai jamais tenu un rôle digne de ce nom. J'étais au mieux un figurant.


"Cent contes"
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Il est vrai que lorsqu'un homme concentre toute son énergie sur un seul but, il n'y a probablement plus rien d'impossible pour lui.
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Les sentiments sont une chose, le devoir en est une autre. Matashichirô en conclut qu'il avait un rôle à jouer dans l'affaire. Au beau milieu de la nuit, il ouvrit à la dérobée la porte de derrière donnant dans son jardin envahi d'obscurité, et sectionna toutes les cordes liant les bambous de la haie qui le séparait du jardin des Abe. Il rentra alors et se mit en tenue de combat, saisit sa lance suspendue à une poutre, la tira du fourreau marqué d'un blason en ailes de faucon, et attendit l'aube.
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Mais quelle que soit l'analyse que je propose ici de mon passé, je suis, au fond, resté le même, poursuivant l'illusion de l'avenir aux dépens de la réalité présente. Ma vie est déjà sur la pente descendante et quelle est l'ombre que je traque?
" Comment peut-on se connaître soi-même? Jamais par la contemplation, mais par l'action. Cherche à accomplir ton devoir, et tu sauras aussitôt ce que tu vaux.
"Mais quel est ton devoir? Les exigences de la journée." Ce sont les mots de Goethe.
Faire des exigences de la journée son devoir et l'accomplir. C'est le contraire même de mépriser les faits du présent. Mais pourquoi suis-je incapable de me mettre dans une telle disposition?


"Chimères"
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Le fusuma derrière moi s'ouvrit doucement, et une femme parut et se tint près de la lampe en papier. Comme les courtisanes de grande classe que l'on voit au théâtre, sa chevelure était relevée en un haut chignon orné de grands peignes et d'épingles à cheveux, et le bas de sa robe presque entièrement rouge, dépassait de son kimono et traînait par terre. Sans proférer une parole, la courtisane me regarda en souriant. Je ne soufflai mot non plus et, l'air grave, la dévisageai à mon tour.
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Pour éviter la destruction, l'insecte a recours au mimétisme. La femme a recours au mensonge.
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Des images extrêmement optimistes se succédaient dans sa tête. En général, avant de se décider, une femme hésite en tout, au point d'inspirer la pitié, et sa pensée tourne en rond, mais une fois qu'elle est décidée, elle ne s'occupe plus des réactions de son entourage comme le ferait un homme : elle se précipite comme un cheval auquel on aurait mis des oeillères* ; regardant uniquement droit devant. Et si sur son chemin se dresse un obstacle propre à inspirer de la crainte à tout homme de bon sens, la femme ne s'en préoccupe pas davantage que s'il s'agissait d'une poussière sans conséquence. Ainsi lui arrive-t-il parfois d'oser faire ce qu'aucun homme n'oserait même tenter, et de réussir contre toute attente.

* en français dans le texte.
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Le soleil, qui avait déjà largement dépassé la colline d'Ueno, brillait de tous ses feux et teignait de rouge le temple Benten sur Naka-no-shima, mais Otama marchait sans même ouvrir la petite ombrelle qu'elle portait.
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Près de trois semaines s'étaient écoulées depuis qu'il lui avait rendu visite. Quand il était assis chez lui, ou même en pleine rue, son image lui revenait souvent à l'esprit. Comparés à l'époque où il lui était d'être emporté par un désir sans objet, les caprices de son imagination étaient plus fréquents, plus intenses, et lui faisaient éprouver un tourment jusqu'alors inconnu de lui.
C'était un de ces soirs où le brouillard est si enveloppant qu'on a l'impression qu'il s'introduit par le col, les manches, la bouche ; pourtant, Junichi avait la peau brûlante. La redoutable "impulsion aveugle" qui recouvrait la lumière de la raison suscita l'idée suivante dans l'esprit du jeune homme :"J'ai envie de me précipiter chez elle et de sonner à sa porte. Comme moi qui suis entrain de penser à elle en haut de cette colline, elle aussi, sous une courte-pointe blanche, à la pâle clarté d'une lampe, ne pense-t-elle pas à moi en ce instant ?"
Immédiatement, Junichi eut la chair de poule. Et il eut terriblement honte de ce bref instant de chimère.
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