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Critiques de Olga Tokarczuk (575)
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Sur les ossements des morts

Enchanteresse Olga Tokarczuk. J’ai adoré ce sublime et fascinant roman assez inclassable mêlant savamment ésotérisme, mysticisme, écologie et réalisme magique sous fond de polar. L’autrice interroge avec une grande poésie notre rapport systémique à l’univers, à l’humanité, la nature et surtout aux animaux. Le roman s’ouvre sur le réveil brutal en pleine nuit, par un voisin affolé, de Janina Doucheyko enseignante et ancienne ingénieure vivant dans une contrée isolée de Pologne près de la Tchéquie. Il vient de faire une macabre découverte. Elle le suit dans la nuit glacée jusqu’à la maison de « Grand Pied » un braconnier misanthrope dont le cadavre gît dans la cuisine. D’autres morts suspectes vont suivre et intriguer la police. Dénominateur commun : toutes les victimes sont des hommes passionnés de chasse. Fait troublant sur les lieux du crime et sur certains corps on retrouve des traces animales. Une théorie germe alors dans l’esprit de Janina, dictée par son intuition : cette vieille marginale un peu « toquée », lunaire, extravagante mais aussi attachante, extralucide à ses heures, pense que tous ces crimes ont été perpétrés par des animaux pour se venger de leurs tortionnaires. Entre deux traductions des poèmes de W. Blake cette végétarienne férue d’astrologie étudie l’influence des planètes, les éphémérides et le thème astral des victimes cherchant la cause de leur mort dans la conjonction des étoiles persuadée que nos destins sont inscrits quelque part dans l’immensité des espaces interstellaires et corrélés à la configuration des planètes. Considérée comme une folle aux propos délirants par la police ses lettres de contestation contre la maltraitance des animaux sauvages et ses dépositions sur sa théorie demeurent lettre morte. Pessimiste elle voit le monde « à travers une vitre fumée ». Elle vit en symbiose avec les animaux si bien que chacune de leur mort est un deuil insupportable et chaque acte contre eux réveille en elle une colère presque divine. Elle recueille leurs restes, les rassemble et les enterre dans un cimetière près de chez elle ou les conserve dans des boites avec l’espoir qu’un jour ils pourront renaître grâce au clonage.

Connectée aux forces telluriques et célestes elle ressent le monde comme une « toile gigantesque » formant un tout où chaque être vivant est interdépendant et sous influence cosmique. Cet être authentique et hypersensible à la vie intérieure très riche nous embarque dans son étrange quotidien accompagnée de ses amis à la frontière du réel tous ses sens aux aguets dans un décor de congères sculptées par le vent glacial. Malmenée par des maux étranges et inexpliqués qui la saisissent à l’improviste elle poursuit malgré tout son enquête parallèle jusqu’au dévoilement de l’étonnante vérité. Ce plaidoyer vibrant pour la cause animale ponctué de réflexions métaphysiques servi par une écriture intense est un roman d’atmosphère nimbé de mystère, profond et envoûtant à lire absolument. Une pure merveille.

Je dois cette lecture à la superbe chronique de HordeduContrevent merci à elle

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Sur les ossements des morts

On ne va pas se mentir, je n'avais jamais entendu parler de Olga Tokarczuk jusqu'à l'obtention de son récent prix Nobel. Je me suis donc rendue chez mon libraire qui m'a conseillée d'entrer dans son univers par son roman le plus accessible, Sur les ossements de morts, donc.



Ce que je retiens avant tout de cette lecture vraiment surprenante, c'est d'abord son incroyable et personnage principal : Janina Doucheyko, ingénieure à la retraite, vivant esseulée dans un hameau de la région des Sudètes, au fin fond de la Pologne, à la frontière tchèque. Tout le monde la prend pour une vieille cinglée. Faut dire qu'elle est bourrue, facilement paranoïaque et complètement toquée d'astrologie, obsédée par l'idée que le thème astrologique d'une personne pourrait révéler la date de la mort. Et pour découvrir quelles planètes jouent le rôle des Moires, elle récolte, compulse des milliers de dates de naissance et de décès.



Surtout, elle propose une lecture très personnelle des étranges crimes qui frappent le hameau. Des braconniers, des chasseurs meurent mystérieusement, elle y voit un juste châtiment pour punir des êtres abjects, une vengeance de la part des biches qui se transformeraient en tueuses subtiles. Magnifique idée qui apporte une touche presque fantastique à ce faux polar, amplifiée par les descriptions poétiques d'une nature rude et par les apparitions des fantômes de la mère et de la grand-mère de Janina.



Le récit est très intelligemment menée, chaque détail compte, et l'écriture ciselée de Olga Tokarczuk plonge le lecteur dans une ambiance très singulière qui pousse à la réflexion. S'il y a bien un dénouement qui permet de résoudre brillamment l'enquête, la trame policière n'est en fait qu'une toile de fond prétexte à un portrait corrosif de la société polonaise des marges, et de façon plus universelle, à une fable sur notre rapport à la nature et aux animaux. On est clairement dans de la littérature engagée, mais sans lourdeur ou manichéisme, et surtout avec un sacré sens de l'humour, noir, forcément, comme en témoigne les toutes premières lignes :



« Je suis à présent à un âge et dans un état de santé tels que je devrais penser à me laver soigneusement les pieds avant d'aller me coucher, au cas où l'ambulance viendrait me chercher en pleine nuit. »



Une vraie découverte comme je les aime en littérature, déroutante et intelligente.
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Dieu, le temps, les hommes et les anges

"Antan est l'endroit situé au milieu de l'univers."

Antan le bled où le temps s'est réfugié (Titre original , « Prawiek, et autres temps »).

Antan , Prawiek dans l'édition originale, un village fictif dans la région de Kielce, ville située au centre de la Pologne, que pour une raison obscure, traduit ici en Antan

- Prawiek en polonais signifiant," depuis la nuits des temps” - , est le lieu où le prix Nobel de Littérature 2018 Olga Tokarczuk nous déploie sa fabuleuse fresque en miniature de notre monde intemporel . Un monde qu'on découvre «  de l'intérieur », une perception instinctive, corporelle , sensuelle et non nécessairement rationnelle. Dans le cadre insolite de ce village dont les quatre points cardinaux sont protégés par quatre archanges, Raphaël, Gabriel, Michel et Uriel, mais où la présence de Dieu est plus que douteuse , le temps d'une lecture, on va traverser un siècle entier avec deux guerres mondiales, en temps que témoins de toutes les facettes familières de la Vie, l'amour, le mariage, l'enfantement, la maladie, la joie ,la douleur, le délit, le désespoir, la vieillesse, la mort.....

Olga est une magicienne de l'écriture, sous fond de fable, le mystère et le surnaturel débouche chez elle, sur l'évident. Elle nous déroute constamment avec poésie et images époustouflantes couplées d'une imagination sans borne, où le réalisme magique a la place d'honneur, pour en arriver à des réflexions et des vérités intemporelles sur l'homme et la vie. le désir charnel entre la meunière et un gamin de dix-sept ans, la désillusion de la vie du châtelain d'Antan qui perd la foi et s'attache à un Jeu, la vie éternelle d'un moulin à café, le dialogue du curé avec Dieu pour régler ses affaires matérielles, l'icône de la Vierge de Jeszkotle qui sur demande surveille le chien de la folle du village et intervient avec un “Laisse ce chien ! “, lorsque le sacristain s'en mêle pour sauver ses paniers pascals ( j'adore!).....un univers qui prend son élan vital aussi bien du genre humain , surtout les femmes , ici aux premières loges, que des animaux, des plantes et même des choses ( le moulin à café). Ce livre est à son image, un grand puzzle constitué de petits chapitres révélant chacun un temps de la vie d'un personnage, d'un végétal, d'un animal ou d'une chose. En plus chaque chapitre ayant droit à une chute, comme une nouvelle, géniale ! Une épopée collective, où les histoires individuelles se croisent et inéluctablement influencent le destin des uns et des autres, articulant une avancée collective dans ce bled « au milieu de l'univers », après lequel, “il n'y a plus rien.”.



C'est mon troisième Tokarczuk, et celui que m'a plue le plus pour le moment. J'admire son intelligence, son imagination, son humour et sa lucidité pour nous parler des choses très sérieuses de l'existence sous forme de fable burlesque, mais toujours avec un pied bien ancré dans la réalité. C'est sérieux et pas sérieux , comme la Vie 😁!

"Huit de trèfles fusillé ", ajouta le châtelain d'Antan, phrase que vous risquez vous aussi d'ajouter, au cas où vous vous poseriez trop de questions existentielles 😁!



“Le mur du cimetière s'ornait d'une plaque où une main malhabile avait gravé :



Dieu nous voit

Et le temps fuit.

La mort nous poursuit,

L'éternité attend. “



"L'homme attelle le temps au char de sa souffrance. Il souffre à cause du passé et il projette sa souffrance dans l'avenir. de cette manière, il crée le désespoir."







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Sur les ossements des morts

Quelle femme mais quelle femme cette Janina Doucheyko, personnage principal incroyable et haut en couleurs de ce livre "Sur les ossements des morts", femme à laquelle je me suis tant attachée. Je la quitte avec regret. J'ai aimé partager sa solitude dans sa maison isolée et rudimentaire dans la région des sudètes, j'ai aimé marcher à ses côtés dans cet hiver rude, j'ai parfois explosé de rire tant ses pensées sont pétillantes, étonnantes, sincères, voire philosophiques, j'ai parfois été émue aux larmes face à sa sensibilité et son amour pour les animaux qu'elle défend contre vents et marées. Une femme féministe à sa manière, sensible, drôle, engagée. Libre. Malgré son corps vieillissant, douloureux.



"J'ai parfois l'impression d'être tout entière composée de symptômes de la maladie – un fantôme fait de douleurs. Quand je n'arrive pas à m'apaiser, je m'imagine que mon ventre est doté d'une fermeture Éclair, depuis le cou jusqu'au périnée, et que je l'ouvre lentement du haut vers le bas. Je retire ensuite mes bras, mes jambes, je sors ma tête. Je quitte ainsi mon propre corps qui tombe à mes pieds comme un vieux vêtement. Je suis plus menue, plus délicate, presque diaphane. J'ai un corps de méduse, blanc, laiteux, phosphorescent. Cette petite fantaisie est encore en mesure de m'apporter du soulagement. Oui, elle me rend libre."



Bon libre certes, mais tout le monde la prend pour une folle, il faut avouer qu'elle est un peu bourrue, bien embêtante par moment car très insistante notamment auprès des autorités, elle dit ce qu'elle pense, ose exprimer sa colère, et est obsédée par l'astrologie et son influence sur la vie des gens. Elle collectionne ainsi les dates de naissance et de décès pour établir des schémas, trouver des explications. Elle est persuadée que le thème astrologique d'une personne permet de déterminer la cause de son décès à venir et même la date du décès. Elle insiste, explique à qui veut bien l'entendre, à la police surtout sa théorie à propos des morts mystérieux découverts dans le hameau, mais c'est peine perdue : « Quand on arrive à un certain âge, il faut accepter le fait que les gens se montrent constamment irrités par vous. Dans le passé, j'ignorais l'existence et la signification de certains gestes, comme acquiescer rapidement, fuir du regard, répéter « oui, oui » machinalement, telle une horloge. Ou bien encore vérifier sa montre ou se frotter le nez. Maintenant, je comprends bien ce petit manège qui, au fond, exprime une phrase toute simple : « Fiche-moi la paix, la vieille. » Il m'arrive parfois de me demander quel traitement on réserverait à un beau jeune homme qui dirait la même chose que moi. Ou à une jolie brunette bien roulée. » Personne ne veut croire sa théorie selon laquelle ces hommes ont été tués par les animaux qui se vengent d'eux, tous étant des tueurs d'animaux, chasseurs ou braconniers. Une juste vengeance. Des animaux qui se vengeraient…Une cinglée…



Pendant que ces hommes la prennent pour une folle, son regard est acéré, ses pensées sans pitié envers la gente masculine ou les ecclésiastiques (ce fameux curé Frou-frou), voyez plutôt : « Il se leva d'un geste décidé, et je vis alors son ventre proéminent que la ceinture en cuir de son uniforme avait du mal à contenir. Honteux, prêt à se cacher n'importe où, ce ventre glissait vers un endroit aussi inconfortable que délaissé, c'est-à-dire vers les parties génitales. » J'adore, j'adore ses réparties, son humour noir, c'est un régal…mon livre finit dans un piteux état, tout corné, tant ce livre est rempli de telles formules à la fois brillantes et qui invitent très souvent à la réflexion. L'écriture de Olga Tokarscuk est ciselée, fluide, pétillante à l'image de son personnage.





Janina est devenue presque une amie à la fin du livre et je ne devrais pas la nommer Janina, elle déteste son prénom, je devrais l'appeler disons La Rusée, elle en serait ravie, j'en suis certaine : « Quel manque d'invention, tous ces noms et prénoms officiels ! On ne s'en souvient jamais, tant ils sont banals, détachés de la personne qu'ils sont censés représenter et qu'ils ne représentent en rien. de plus, chaque génération obéit à ses modes, ce qui fait que soudain tout le monde s'appelle Margot ou Gabriel, ou encore – Dieu vous en préserve ! – Janina. C'est pourquoi j'essaie de ne plus employer les noms et les prénoms des gens, mais plutôt des qualificatifs, des épithètes, qui me viennent spontanément à l'esprit lorsque je vois une personne pour la première fois. Je reste persuadée que c'est la façon la plus adéquate d'utiliser une langue, au lieu d'agiter simplement un tas de mots dépourvus de sens. ». J'irais bien la retrouver en Tchéquie là où elle est désormais, la Rusée. Elle me ferait un de ces thés noirs, bien noirs, dont elle a le secret.



C'est le deuxième livre que je lis d'Olga Tokarczuk et je suis de nouveau émerveillée mais d'une toute autre façon…si les figures féminines de « Dieu, le temps, les anges et les hommes » m'avaient amenée dans un univers onirique et médiéval, un univers de conte de fées, cette fois cette figure féminine m'a touchée par sa proximité et son engagement, cette façon de dénoncer tout en nuance et sans lourdeur…et surtout n'est-ce pas la meilleure façon d'aborder la vieillesse que cette liberté, liberté de ton, liberté de mouvement, liberté de pensée ?…Je crois bien que je rêve de devenir une Janina Doucheyko, d'avoir sa force et son courage, sa beauté mue par une telle bonté, de connaitre ce rapport à la nature et aux animaux. Quelle merveilleuse fable, quel beau plaidoyer poétique …



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Le Banquet des Empouses

Dans le dernier Tokarczuk nous sommes en pays mysogine, au début du siècle dernier en Basse- Silésie, dans « une pension pour messieurs », dont les pensionnaires sont des tuberculeux. le personnage principal est Mieczyslaw Wojnicz , un jeune aspirant ingénieur venu se faire soigner au sanatorium de Görbersdorf (aujourd'hui Sokolowsko, en Pologne), dans la chaîne des Sudètes, au coeur de la Basse-Silésie, alors germanophone.

Bien que le contexte rappelle fortement celui de la Montagne Magique de Thomas Mann, Tokarczuk ici joue sur une autre corde , celle du réalisme magique sur le support d'une prose enchanteresse.

Dès les premières pages, la femme de Wilhelm Opitz, sinistre propriétaire de la « pension pour messieurs » où loge Wojnicz, meurt. Celui-ci l'aperçoit , morte, étalée sur la table de la salle à manger, où elle lui avait porté le petit déjeuner, le matin même . Une mort mystérieuse qu'alimentent des ragots de tout genre. Suit alors à un quart du livre, la révélation de l'identité du narrateur, qui renforce l'atmosphère gothique de l'histoire, « Quant à nous, qui sommes des spectatrices assidues, nous considérons que le plus intéressant reste toujours dans l'ombre, là où prévaut l'invisible. ».Ce « nous » sont les « Empouses », sorte de vampires femelles, de succubes, qui, dans la Grèce antique, constituaient le ­cortège d'Hécate, l'infernale déesse. Ces créatures qui ne manquent pas d'humour « Nous, les empouses, nous aimons regarder les chaussures », resterons discrètes tout au long du récit, tout en cassant la noirceur d'un contexte trop masculin et empâté. Avec leur mode d'observation fantaisiste , regardant les hommes par en dessous la table, suivant le mouvement d'une chaussure, d'une main , et observant espiègles , des détails physiques et vestimentaires plus révélatrices sur un personnage que ses paroles ou son comportement, elles nous font sourire .

Quand à notre héros Wojnicz bien qu'élevé dans une ambiance mysogine ,orphelin de mère dès sa naissance, « Oncle Emil, d'ordinaire poli, avec de bonnes manières, retirait sa cuillère du potage pour l'agiter au-dessus de l'assiette : – La femme, le diable et le crapaud sont trois enfants d'un même lit. », il est loin d'être à l'aise dans son nouvel environnement . Il peine à retrouver ses repères sexuelles parmi cette faune de mâles désoeuvrés qui se soûlent d'une liqueur bizarre, voir « diabolique »😈, qui porte le nom de Schwärmerei ( un terme qui chez Kant et les philosophes du XVIIIe siècle, désigne le fanatisme à combattre par la science), en s'emportant sur La femme, quelque soit le sujet discuté , même si celui-ci ne la touche que superficiellement.



Bref une fois encore Tokarczuk nous entraîne dans son univers fantastique, dans une histoire en contrée inconnue où les femmes sont quasiment absentes, mais étrangement, continuellement présentes à travers les conversations des hommes qui semblent les connaître mieux que quiconque 😁, « Peu importe le sujet initial de leurs débats, ils finissent par parler…des femmes. » J'ai adoré ses captations cinématographiques des détails des personnages, dirigeant sa caméra de bas en haut , ses perspectives d'une nature quasi surnaturel , ses phrases inquiétantes dit avec un naturel tout aussi inquiétant. L'ensemble suscitant un suspens éloquent qui va crescendo, toujours accompagné de piques explicites à son pays , “Son père ne croyait pas que la Pologne retrouverait un jour son indépendance. Pourquoi est-ce que cela arriverait ? Seul ce qui est grand est puissant….”. Un livre intéressant, où l'auteure a choisi le négatif du féminisme radicale poussé à l'extrême à travers les conversations sans queue ni tête des machos pour souligner encore plus fort l'évolution de la place de la femme dans nos sociétés modernes.

Une lecture qui m'a cependant mise légèrement mal à l'aise avec cette compagnie de bonhommes mysogines à la sexualité douteuse, aux propos ambigus , mangeurs de “rubans blancs”😖, agrémentée de la présence de chaises avec des sangles aux accoudoirs et aux pieds qui semblent faire partie du mobilier local, et autres détails glauques . Mais ayant lu d'autres livres d'elle, tout ceci faisant partie de son univers , mon malaise s'est finalement estompé grâce à son écriture grandiose 😊et l'arrivée d'une surprise totale qui se dévoile vers la fin.

C'est une très grande écrivaine , ce dernier roman le prouve encore une fois. Si vous l'aimez, à ne pas manquer !



« Ne sont immortelles que les choses soit minuscules, soit immenses, répond-elle avec prudence. Les atomes sont immortels, les galaxies sont immortelles. Tout le mystère est là. La portée de la mort se trouve particulièrement définie, autant que celle d'une onde radio. »

“Quand une personne juge qu'elle est devenue parfaite, qu'elle s'est accomplie, elle devrait se tuer.”



Un grand merci aux éditions Noir sur Blanc et NetGalley France pour l'envoie de ce livre.

#Lebanquetdesempouses #NetGalleyFrance











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Les Pérégrins

“Dans l'Empire romain, les pérégrins sont des étrangers, hommes libres, habitant les provinces conquises par Rome, mais ne disposant pas de la citoyenneté romaine, ni du statut juridique des Latins.......”, définition de Wiki, et titre du livre d’Olga Tokarczuk, écrivaine polonaise, Prix Nobel de littérature 2018. Le même Wiki y est aussi consacré en un chapitre dans le livre 😊. Un roman patchwork, qui nous plonge dans un univers où le voyage est une pérégrination, intérieure et extérieure, à la rencontre de l’autre, l’autre étant d’une diversité infinie, “Le but de mes pérégrinations est toujours la rencontre d'un autre pérégrin.”

Mais, mais....bouger, c’est aussi ne pas avoir le temps pour des méditations stériles, comme la Mort ( “...pour les gens qui voyagent , tout semble neuf, pur et vierge et, en un sens, immortel.”).



Tokarczuk, d’un langage à la fois riche, précis et poétique, attentif aux détails, brouillant les évidences, mettant en doute des arguments donnés comme irréfutables, ne rentrant dans aucune polémique, et remettant en question la logique même des questions posées, mêlant le rationnel à l'irrationnel, nous ballade à travers un monde sans frontières, en mouvement perpétuel, sans point fixe, à la rencontre de personnages, dont les biographies et les caractères s'entremêlent .

Des mythes, des contes, des histoires inventées, son propre vécu.....

Elle nous pousse à réfléchir, à sortir de notre zone de confort, et à aller à l’encontre d’autres points de vue que ceux que nous pensons acquises. Son obsession pour le grotesque et les cabinets de curiosités, qu'elle décrit dans les moindres détails, est au cœur du livre, “le but des pérégrinations est d’aller à la rencontre d’un autre pérégrin. En l’occurrence en pièces détachées “. L’histoire rocambolesque du docteur Blau, expert en spécimens anatomiques, de corps plastinés, ou la collection de pièces anatomiques de Frederik Ruysch, le cœur de Chopin en bocal.....que des pièces détachées dont elle finit même par nous en donner la recette de conservation, ont légèrement fini par me donner la nausée. Faut dire qu’Olga aime ça vu l’enthousiasme avec lequel elle en parle 😊, moi un peu moins.



Que vous soyez voyageur, voyageuse ou non, importe peu. Il vous suffit d’y mettre votre cœur et votre esprit pour savourer ce puzzle géant, constitué des snapshots ( instantanés) de ses pérégrinations. En fin de voyage vous quitterez probablement ( suis pas sûr 😊)à regret ce scrapbook de voyage, le “Wunderkammer” ( Cabinet de Curiosités ) d’une écrivaine spéciale , qui vient d’ailleurs d’en être mondialement reconnue; et probablement lu ou non lu, vous vous procurerez vite le Moby Dick de Melville, le guide de voyage préféré de Tokarczuk. Ce livre n’est pas pour tous les goûts, il risque d’être déroutant. Mais pour qui a des goûts littéraires éclectiques, un défi de lecture très intéressant, voir amusant.



“–Laisse tout cela, et une fois que tu auras fermé les yeux, change ta manière de voir pour une autre et réveille cette vision que tout le monde possède, mais dont peu font usage.”



Deux Snapshots ,



“Instructions de montage



J’ai rêvé que je feuilletais un catalogue américain avec des photos de bassins et de piscines. Je regardais avec intérêt des schémas et des plans, m’attardant sur chaque détail. Les différents éléments y étaient repérés par des lettres a, b, c… et accompagnés d’une description précise. Avec le plus grand intérêt, j’ai commencé à lire un chapitre au titre étincelant : « Construire un océan. Instructions de montage. “



“Même



Sur les bords de la route, je vois défiler d’immenses panneaux publicitaires qui proclament noir sur blanc : « Jesus loves even you. » Un soutien si inattendu me redonne du courage ; la seule chose qui m’inquiète, c’est cet “even”. “
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Sur les ossements des morts

Se pourrait-il que les animaux se vengent des hommes qui les chassent ?



C'est en tout cas ce qu'il se passe alentour de ce petit village polonais des Sudètes, en bordure de la Tchéquie, où les morts se succèdent avec exubérance.



C'est là que vit Madame Doucheyko, la narratrice végétarienne, ingénieure des ponts retraitée, puis professeure d'anglais et de travaux manuels à l'école du village.



Madame Doucheyko déteste son prénom, comme ceux des autres qu'elle affuble de sobriquets (Grand Pied, Bonne Nouvelle, Glaviot, Froufrou, Manteau noir). Elle est férue d'astrologie et fait de savants calculs pour prédire la date et les circonstances de la mort. Il lui arrive aussi de voir sa mère et sa grand-mère, défuntes depuis des lustres, errer dans la cave. On pourrait croire qu'il s'agit de délires et de théories (nombreuses) d'une vieille dame qui communique (déjà) avec l'au-delà.



PAS DU TOUT. Elle a les pieds bien ancrés et d'ailleurs, les pieds, c'est très important. Il convient qu'ils soient toujours propres au cas où elle serait emmenée d'urgence à l'hôpital.



Passionnée par le poète inspiré, William Blake, elle tente de traduire son oeuvre avec un de ses anciens élèves. Et puis, au plus dur des mois d'hiver, elle fait l'inspection quotidienne des maisons que les habitants du village délaissent jusqu'au printemps, et elle déambule inlassablement dans la nature environnante.



Rien de bien alarmant dans cette vie rude. Jusqu'à la mort de ses chiens qui demeurent introuvables. Son chagrin est à la hauteur de son amour pour les animaux, énorme. Lorsqu'un de ses voisins, braconnier aussi bourru qu'elle, meurt étouffé par un os de biche, elle émet l'hypothèse qu'il pourrait s'agir d'une vengeance des animaux. Elle évoque les nombreux procès animaliers qui se sont succédé à travers les siècles (drôlissimes et authentiques) dont le plus célèbre (1521) concerne des rats faisant des ravages dans la population, qui obtinrent un non-lieu grâce à un avocat commis d'office. Seule la moquerie répond aux évocations rigoureuses et aux déductions de la brave dame.



Quelques mois plus tard, c'est au tour du commandant de police de se retrouver cul par-dessus tête dans un vieux puits, avec pour seules traces celles de sabots de biches. Peu après, c'est le tour d'un éleveur de renards blancs, retrouvé pourri, puis celle du curé, membre actif du Cercle de chasseurs local, ainsi que celle de son président aux affaires louches. Pour chacun, des traces d'animaux et les explications logiques mais improbables de Madame Doucheyko, qui n'arrivent pas à convaincre les policiers.



Excellent roman, que dis-je, polar, mené tambour battant d'une écriture enlevée, précise et pleine d'humour. le polar ne fait pourtant pas partie de ma bibliothèque mais la critique récente et intrigante d'Orzech m'a décidée à lire ce livre. Bien m'en a pris et je remercie cette Babéliote qui m'a fait découvrir un genre quasi inconnu pour moi. J'ai passé d'excellents moments.



C'est aussi la découverte d'Olga Tokarczuk que je vais m'empresser de poursuivre. Erudite, inattendue, observatrice du moindre détail, cette auteure contemporaine possède certainement l'art du récit. Car, il n'est pas seulement question de morts bizarres et non élucidées mais aussi de la vie dans un petit village, avec ses cueilleurs de champignons, ses ouvriers forestiers « tous moustachus », sa nature foisonnante et merveilleuse, les directives étranges de la Commission européenne sur la protection et la conservation des espèces locales, le bal annuel, les petits trafics entre amis, et aussi les écueils nombreux rencontrés dans les essais de traduction des poésies de William Blake. Ce livre est source multiple d'intérêts et de questionnements.



A recommander chaleureusement.



Le nom de l'auteure est difficile à retenir mais gagne à être connu et diffusé le plus possible.





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Les enfants verts

Il s’appelle William Davisson, il est écossais. Il a longtemps vécu en France comme botaniste du roi, et arrive en Pologne en 1656 comme invité de l’épouse du roi de Pologne pour soigner ce dernier. Dans un pays en guerre et un roi souffreteux, il l’accompagne lors de ses voyages, au cours de l’un duquel , les soldats capturent deux petits enfants chétifs, sauvages, étranges dans tous les sens du terme. A travers ces enfants verts de peau et de cheveux, Davisson et nous lecteurs, allons découvrir le peuple vert, une communauté qui vit en symbiose avec la nature, loin de tous les soucis du monde.....

Un petit conte philosophique où le Prix Nobel de littérature 2018, probablement s’inspirant d’un conte médiéval anglais, « Les enfants verts de Woolpit », nous parle de l’inconnu, l’étranger, l’autre qui nous fait peur. Tout ce qui sort de notre zone de confort , tout ce qui ne prend pas immédiatement du sens et s’organise en un ensemble cohérent et facile à interpréter, nous dérange, comme ce livre 😊.



C’est très court, concis, intéressant.
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Sur les ossements des morts

"Je suis à présent à un âge et dans un état de santé tel que je devrais penser à me laver soigneusement les pieds avant d'aller me coucher, au cas où une ambulance viendrait me chercher en pleine nuit." C'est par cette confidence pleine de bon sens que s'ouvre ce roman insolite, Sur les ossements des morts, écrit par Olga Tokarczuk, auteure polonaise, dont c'est le premier ouvrage que je lis d'elle.

Janina Doucheyko, la narratrice, est végétarienne. Jadis, ingénieure elle construisait des ponts à travers le monde entier.

Désormais elle est en retraite, son corps se fatigue, elle s'est retirée dans ce hameau perdu au bord d'une forêt immense qui est son havre de paix. En hiver, elle rend quelques services auprès de certains voisins absents jusqu'au printemps, elle surveille leurs maisons en leur absence.

Ici nous sommes au fin fond de la Pologne, dans cette région perdue des Sudètes, près de la frontière avec la République tchèque. Le téléphone portable passe difficilement et à quelques mètres près, le réseau peut basculer sur l'opérateur tchèque, ce qui crée parfois de désagréables surprises dans les factures.

Dans cette région froide et rude de l'hiver, totalement isolée, c'est l'amour de la nature, des chênes et des tourbières qui anime le cœur de Janina Doucheyko, celui des animaux aussi qui peuplent cette forêt primaire toute proche.

La narratrice donne aussi quelques cours d'anglais et de travaux manuels dans une école du village toute proche.

Janina Doucheyko a deux passions : l'astrologie et la poésie de William Blake qu'elle cherche à traduire avec l'aide d'un ancien élève. Des vers du poète britannique d'ailleurs ouvrent chacun des chapitres du roman.

C'est une vie sereine, loin du bruit du monde. Tout semble paisible jusqu'au jour où ses deux chiennes disparaissent.

Puis un de ses voisins est découvert mort chez lui, mystérieusement étouffé par un os de biche. Dès lors les morts vont s'enchaîner.

Il y a des traces d'animaux sur les scènes de crime. Non seulement des traces d'animaux, mais Janina Doucheyko est convaincue par certains indices que des animaux étaient présents non loin des lieux, à chaque fois. Un groupe de biches, un chevreuil, des lièvres, des renards... Un grand nombre de sabots sur la neige, tout près de là...

Et si les animaux avaient un rapport avec ces morts suspectes et brutales ?

La police locale piétine. D'ailleurs, ces victimes ont-elles été assassinées ? La police n'y croit guère par moments.

Janina Doucheyko tente alors de mettre sa passion d'astrologue au service de l'enquête. Elle croit ici à la conjonction des planètes. Dressant le thème astral des victimes, elle voit bien qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.

Ainsi, ce roman apparaît à première vue ressembler de très près à un polar. Mais cette histoire est bien autre chose et il serait trop simple de la qualifier ainsi. Et peut-être décevant en définitive, car tous les codes classiques du roman policier ne sont pas forcément ici au rendez-vous...

Il y a en effet quelque chose de tout autre dans ce récit, quelque chose de poétique.

Il y a quelque chose de malicieux aussi. Janina Doucheyko, la narratrice a la réputation d'être un peu originale, excentrique même. Elle pose son regard ironique et lucide sur le monde et ses contemporains. Elle est délicieusement espiègle et désobéissante, mais c'est pour mieux se jouer des mesquineries et de la vacuité de l'ordre établi.

Le roman est prétexte à nous faire goutter l'atmosphère insolite, au travers des yeux de la narratrice, ses états d'âme lorsqu'elle pense au désir, à la mort... Nous côtoyons aussi des personnages pittoresques ou grotesques que la narratrice affuble de sobriquets. Ici viennent se mêler à ce récit étrange quelques touches d'humour. Ainsi j'ai adoré le père Froufrou et ses grandes prêches cynégétiques ! Il y a aussi l'évocation de ces comptes-rendus judiciaires sortis tout droit de l'histoire, lorsque la justice des hommes, ne craignant pas le ridicule, poursuivait parfois avec cruauté des animaux. On apprend ainsi qu'au Moyen-âge un essaim d'abeilles fut condamné à l'ex-communion pour avoir perturbé la quiétude d'un notable. Ici elles s'en sortirent plutôt bien... Ou qu'une poule en 1471 à Bâle fut accusée d'avoir pondu des œufs aux couleurs anormalement vives ! Celle-là fut brûlée vive...

Est-ce un signe, une vengeance des animaux à cause de ce foutu dérèglement climatique ?

Des chasseurs se prennent les pieds dans les propres pièges qu'ils posent.

La police commet des erreurs, tâtonne dans la neige, efface peut-être des traces. Au fond on dirait que l'enquête policière passe presque au second plan.

La forêt est bien présente au coeur du roman, sombre et mystérieuse comme si elle recélait la clef de l'énigme à elle seule. Par moments, au bord de ses ramures indécises, on frôle le fantastique.

Le rythme est prenant, le dénouement est inattendu.

Et si les animaux détenaient ici le rôle principal ?

Le récit tient aussi de l'engagement écologique, sorte de plaidoyer poétique et romanesque pour la cause animale.

C'est pour moi une bien belle découverte.
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Histoires bizarroïdes

« Les émotions sont toujours authentiques, leur cause peut ne pas l'être ».



Olga Tokarczuk est une auteure enchanteresse, une conteuse envoutante, qui a coutume de nous amener, toujours de jolie façon, à la frontière, poreuse, entre rêve et réalité. Elle a pris ici le bizarre, l'étrange, l'insolite et s'est amusée à le découper au scalpel en dix lamelles, selon différentes formes, différentes épaisseurs, différents degrés de transparence. Elle nous a concocté de sa plume ensorcelante ainsi dix histoires dont la chute infuse longtemps en nous, bien après leur lecture, tel un poison étrange mais délicieux.

Je dois d'ailleurs vous faire une petite confidence : après avoir lu les deux premières nouvelles le soir assez tard, je me suis réveillée en sursaut le lendemain en étant persuadée que quelqu'un se tenait en plein milieu de la chambre et m'observait…c'était effrayant et je suis persuadée que ce cauchemar éveillé est consécutif à cette lecture, en lien avec le premier texte notamment qui évoque l'histoire d'un cauchemar récurrent dont la chute m'a fait forte impression et m'a fait penser aux histoires d'Edgar Allan Poe…

C'est dire comme les nouvelles ont un réel pouvoir, l'air de rien, avec peu de mots, de transmettre beaucoup. Lorsqu'elles sont réussies, comme c'est le cas ici, une vraie profondeur donnant lieu à de multiples interprétations en émerge de troublante façon…vous vous surprenez à repenser à ces nouvelles et à comprendre des choses qui n'étaient pas apparues en première lecture. Elles vous habitent, vous hantent, vous en relisez certaines…rarement des nouvelles auront eu cette effet sur moi qui suis plutôt hermétique à ce format.



Conte fantastique, récit d'un réalisme décalé, mais aussi science-fiction, chacune des nouvelles a sa singularité avec quelques thématiques récurrentes : le rapport de l'homme à la nature, à la technologie, le rôle de la religion pour soumettre les hommes, l'emprise du temps et la mort sont des thématiques très présentes.



L'acmé de la relation entre l'Homme et la faune et la flore se trouve dans deux nouvelles : le récit intitulé Les enfants verts, conte se déroulant au 17ème siècle, dans lequel l'auteure invente des personnages imaginaires, des enfants sylvestres et sauvages, tellement en symbiose avec la nature qu'ils en ont pris certains apparats : cheveux sentant la mousse des bois mélangés à des lichens, peau végétale aux tâches vertes. Et celle intitulée le transfugium relatant le départ volontaire d'une femme vers le monde sauvage (et à quel prix…). Ces deux nouvelles sont fascinantes, la première en prenant l'aspect d'un conte et la seconde en développant une ambiance étrange et oppressante dont on ne comprend la signification qu'à la toute fin…Ce sont sont mes préférées. Les deux portent en elles des germes d'espoir jaillissant dans notre rapport revisité avec la nature, si tant est que cela soit encore possible. Elles permettent de prendre conscience de l'importance de l'interaction entre les humains et leur environnement.



« le monde sauvage. Sans êtres humains. Nous ne pouvons pas le voir car nous sommes des humains. Nous avons choisi de nous en distancier et, désormais, pour y revenir, nous devons changer. On ne peut pas voir ce dont on est exclu. Nous sommes prisonniers de nous-mêmes. C'est un paradoxe. Une perspective de recherche intéressante, mais également une erreur fatale de l'évolution : l'homme ne voit jamais que lui-même ».



Le rapport au temps et la présence subtile de la mort, ou plutôt des morts, se retrouvent dans de multiples nouvelles d'un réalisme décalé dégageant une ambiance particulière, nostalgique, très mélancolique, parfois désuète : dans celle, fascinante, des bocaux dans laquelle nous nous demandons si une mère ne s'est pas vengée de façon posthume de son fils qui n'a eu aucun respect pour elle de son vivant ; ou encore dans celle des coutures dans laquelle un homme, après la mort de sa femme, découvre que le monde a changé de façon absurde : les chaussettes ont toutes une couture partant de la pointe du pied au talon, les timbres sont ronds…La nouvelle intitulée Le cœur nous montre l'histoire d'un couple de retraités à la vie toujours rythmée de la même manière mais dont la routine va rencontrer des accros lorsque le mari va se faire greffer un cœur et ressentir des sensations très étranges et se poser des questions existentielles.



La nouvelle La montagne de tous les saints est surprenante : pendant toute sa lecture, je ne savais pas où voulait en venir l'auteure jusqu'à la chute éclairant d'une belle lumière l'ensemble. Nous y voyons une scientifique âgée et malade, mondialement connue pour la mise au point d'un test psychologique, le Test des Tendances Évolutives, permettant de prédire le futur, qui est ici amenée à l'appliquer sur des enfants adoptés, à la demande d'un Institut suisse. Nous découvrons à la toute fin la véritable raison de l'étude menée. Personnellement, je n'ai rien vu venir…C'est là encore le signe d'une nouvelle réussie !



« La prieure me racontait tout cela en me montrant les divers recoins du couvent. Je la suivais, sensible à l'odeur dégagée par son habit – il sentait ces armoires où de petits sachets de lavande sont accrochés depuis des années. Dans un agréable sentiment de sécurité, j'étais prête à la laisser me convaincre de passer ici le temps qu'il me restait à vivre, au lieu de poser des électrodes sur les têtes des gosses. Il me semblait que, autour d'elle, l'air vibrait comme si elle était nimbée d'une auréole de chaleur ».



Enfin, mentionnons quelques nouvelles plus futuristes : La visite qui met en valeur la vie en « famille » de quatre femmes strictement identiques -nous devinons qu'elles sont clonées - qui peuvent être débranchées une fois leur mission accomplie au sein du collectif, collectif appelé un egoton, et qui sont étrangement perturbées par la visite d'un voisin venant en duo...Ou encore le calendrier des fêtes humaines où nous découvrons une ère future post-plastique dans laquelle l'âge de fer est revenu. Dans les deux cas c'est un futur glaçant, sombre et très inquiétant.



La plume d'Olga Tokarczuk est un ravissement et enveloppe de beauté délicate les multiples réflexions auxquelles mènent ces différentes nouvelles.



« le soleil s'incline vers le couchant et elle voir alors un spectacle inouï : les frondaisons de la forêt du nord, inondées d'une lumière orange, semblent de gigantesques candélabres se reflétant dans l'eau. La nuit arrive. Elle voit la pénombre sourdre des racines des arbres, des pierres du sous-bois, émerger des profondeurs du lac. Les formes aiguisent soudain leurs arêtes, comme si les choses voulaient prendre encore une fois conscience de leur propre existence avant de s'évanouir dans les ténèbres. Les bougies des arbres s'éteignent et, d'on ne sait où, arrive un air froid qui annonce la nuit ».





L'auteure polonaise, Prix Nobel de littérature, nous offre avec ce recueil un bouquet d'histoires où le bizarroïde est décliné de diverses façons, mélancolie et noirceur imprégnant chaque pétale d'une senteur bien particulière et d'une beauté étrange, veloutée, permise grâce à une plume renversante de beauté…



« Sous nos pas, le parquet grinçait, nos mains frôlaient les courbures lisses des rampes et des poignées de porte qui, au fil des siècles, étaient devenues le complément du creux de la main ».











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Dieu, le temps, les hommes et les anges

Le livre est de prime abord étrange et dégage, avant même de l'ouvrir, une odeur de conte, de nature enchantée, de magie…une senteur de rêves…la couverture, au charme suranné, le titre merveilleux, l'origine polonaise de l'auteure, oui je sens que je vais entrer dans un univers différent des livres que je lis en ce moment. Et qu'il s'agira d'une nouvelle expérience.



Et en effet, il me faut lire tout d'abord deux fois le premier chapitre pour plonger dans cet univers. L'histoire se déroule dans un petit village polonais, Antan, et le premier chapitre précisément nous détaille Antan, « situé au milieu de l'univers », entouré de frontières gardées chacune par un archange. Antan c'est ici et c'est nulle part à la fois. Nous sommes en 1914 au début de l'histoire mais je ne cessais de penser à une période bien plus ancienne tant la féérie qui se dégage semble médiévale. le nom du village amplifie certainement cet effet. Nous avons l'impression de voir ce village à travers une carte moyenâgeuse, sur laquelle les repères sont les rivières (la Noire et la Blanche, avec tout le symbolisme qu'il y a derrière), la butte aux hannetons, les prés, la forêt, le moulin, la place centrale boueuse ; et les personnages qui y vivent, des figures emblématiques, le plus souvent associées à leur métier ou leur fonction : la Glaneuse, la meunière, le mauvais bougre, le couvreur, le châtelain, ; les éléments naturels sont également des personnages bien vivants : le noyeur, maître des brouillards, le verger, le mycélium…mais aussi l'ange gardien, les morts, la statue de la vierge de l'église, la lune…Seule l'arrivée des allemands et leurs exactions vont permettre de dater ce récit, ainsi que l'arrivée du communisme suite à la Guerre.



Il est question de la vie des habitants d'Antan, de leurs difficultés et de leurs faiblesses, de leurs passions et de leurs jalousies, mais aussi de leurs amours et de leurs amitiés. Chaque chapitre, assez court, est consacré à une de ses figures (un chapitre est même consacré à une chose : un moulin à café, l'auteur considérant que les choses durent et que « cette durée relève plus de la vie que quoi que ce soit d'autre » ; il aura d'ailleurs le dernier mot dans le livre) avec pour titre « le temps de… ». le temps de l'ange gardien, le temps de la Glaneuse, le temps de Misia, le temps du merveilleux Isidor…le temps du moulin à café donc. Un temps de conte et de féérie leur est accordé, une petite histoire magique ou tragique si agréable à lire que nous enchainons ainsi avec délice les chapitres les uns après les autres, pénétrant de plus en plus sans même s'en apercevoir dans ce monde hors du temps, presque primitif, où l'extrême pauvreté et les instincts les plus vils et les plus primaires côtoient richesse, grandeur et bonté d'âme. Ce sur trois décennies. Nous voyons évoluer les personnages, grandir ou vieillir, mourir. Sachant que Dieu est là, dans le mouvement…



Il est question en effet de Dieu comme nous pouvons le deviner, du destin, du temps. de questions existentielles : « vers où allons-nous ? ». le Jeu que reçoit le châtelain de la part d'un rabbin est central et donne des clés de compréhension. Comme si le châtelain « jouait à Dieu » avec moult figurines et coups de dés. Est-ce ainsi que Dieu, en créant ses mondes, préside à la destinée des hommes ? Ou est-ce les lois de la Nature qui dominent à l'image du mycélium (merveilleux chapitre consacré au mycélium) ? Sommes-nous, fragiles humains, comme pris dans les engrenages d'un moulin à café, broyés en poussière ? le destin et ses lois sont en effet des thèmes centraux qu'Olga Tokarczuk distille avec subtilité, l'air de rien sous ses allures de conteuse pour enfant. J'ai hâte de découvrir un peu plus son univers et mon prochain livre d'elle sera sans aucun doute les Pérégrins.

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Dieu, le temps, les hommes et les anges

Le temps d'Olga Tokarczuk n'est pas celui de la banalité. Avec elle le temps prend au gré de personnages étonnants toutes les formes. le temps de naître, de grandir, d'aimer, de vieillir, le temps de la guerre, et évidemment celui de mourir sont autant de moments de la vie des habitants d'Antan, un village polonais situé au coeur de l'univers. Des hommes et des femmes, riches comme pauvres, éduqués comme incultes, beaux comme vilains qui s'interrogent, ou pas, sur l'existence de Dieu, sur sa bienveillance, sur son intervention ou non dans leur destin. Même si certains sont convaincus que Dieu n'a rien à voir dans l'ordre du monde et pensent qu'il est des endroits où la matière se crée toute seule à partir de rien, que la nature est le centre de tout. Il en est ainsi de la Glaneuse qui a élu domicile dans les bois et du Mauvais Bougre, un paysan ordinaire qu'un crime a transformé en bête sauvage de la forêt. Ou encore du jeune Paul Divin, le bien nommé, qui pour conduire sa vie ne s'en remet pas à Dieu mais à sa capacité à devenir ce qu'il veut être...

On ne peut qu'être fasciné par le monde étrange, merveilleux, inédit qui naît sous la plume poétique et envoûtante d'Olga Tokarczuk. Un monde où des hommes bien réels sont traversés par des interrogations qui ne le sont pas moins. Un monde où hommes, choses, animaux, végétaux interagissent dans un équilibre impalpable à la réalité pourtant irréfragable.
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Les livres de Jakob

Apres Satan a Goray je replonge avec ce livre dans une autre histoire de messie. Grand plongeon cette fois: un millier de pages. Ca fait beaucoup et a mon avis l'auteur (auteur ou auteure? Qu'est-ce qui est le plus juste?) aurait pu en couper une petite flopee, mais elles restent pour la plupart interessantes et meme agreables a lire.



Un millier de pages pour raconter en long en large et en travers un messie, Jakob Frank, un mouvement messianique, le frankisme; ses antecedents et son devenir; comment il est accueilli, embrasse par les uns et combattu par les autres; les idees qui l'enfantent et les divagations qui le tuent, ou le contraire; un messianisme juif qui se rapproche du christianisme, jusqu'a pousser ses suiveurs a la conversion: vrai acte de foi ou supercherie? Et beaucoup de pages pour la reaction, et les actions, de la curie locale, c.a.d. la polonaise, et des juifs qui chassent le mouvement. Tous manipulent, tous sont manipules. Mais ce n'est pas tout.



Un millier de pages pour raconter en details les periples du messie et ceux de ses suiveurs, qui s'entrecoupent, s'eloignent et se rapprochent, divergent et confluent. Des routes et des paysages de Turquie, De Grece, de Pologne, d'Ukraine, de Roumanie, d'Allemagne. Des arrets en de grandes villes, Smyrne, Lwow, Varsovie, Vienne, en de moyennes comme Brunn ( la Brno d'aujourd'hui), Czestochowa, et en beaucoup de toutes petites bourgades, aux noms et aux marches exotiques, Rohatyn, Busk, Lanckorun, Podhajce, Glinna, et j'en passe et pas des moindres (ah! Miedzyboz! Miedzyboz!).



Un millier de pages pour expliquer le chemin qui mene d'idees, de croyances plus ou moins esoteriques a des pratiques scandaleuses. L'auteur essayera de nous faire comprendre le raisonnement de penseurs comme Issakhar (Isohar dans ce livre) de Smyrne ou Rabbi Nahman Ben Samuel Levi de Busk. Et les decisions doctrinales du messie, de Frank, qui transgressent toute morale traditionnelle. La transgression est le pain de tous les jours dans ce messianisme, puisqu'avec l'arrivee du messie on passe d'une ancienne ere a une nouvelle, ou il n'y a plus de frontieres entre le bien et le mal, ou la notion de peche est obsolete.



Beaucoup de pages pour cerner le charisme de ce rustre mal degrossi qu'etait Frank. Parce qu'il a ete suivi par de nombreux lettres, qui avaient frequente les meilleures ecoles, les plus grandes yeshivot polonaises, pas seulement par une foule simple et pauvre.



Et surprise (pour moi en tous cas), beaucoup de pages pour nous raconter l'ecriture d'un recueil, encyclopedique bien que naif, rassemblant des savoirs grappilles un peu partout sans aucune verification ni discussion, et nous presenter son auteur, le pere Chmielowski, qui anticipe et annonce les Lumieres en Pologne. Un homme admirable, perdu parmi des hommes d'eglise qui ne recherchent que pouvoir et honneurs.



Et j'allais oublier de dire que l'auteur (auteure? Je vais utiliser son nom, ce sera plus simple: Olga Tokarczuk) a fait un travail de recherche assez pousse. Les noms sont des noms de personnages reels; l'histoire qu'elle raconte suit la vraie histoire, mais elle ecrit un roman, alors elle y mele des elements fantastiques, comme une aieule qui n'arrive pas a mourir, qui ne peut pas mourir, meme quand on l'ensevelit dans une grotte cachee, inexploree, et qui suit, en survolant les temps et les lieux, les peripeties de tous ses descendants. Cela donne un roman historique aureole de mystere, de merveilleux, et cela sied tres bien au sujet.



Tocarczuk a ecrit un livre etonnant, developpant des themes fascinants. Quel est le terreau (historique, sociologique) propice a l'apparition d'un messie, d'un sauveur aux dons divins, magiques, qui est cense apporter paix et bonheur a tous, et qui finit, quand il reussit, ou quand ses suiveurs reussissent, a n'apporter que des reformes, une nouvelle religion ou une nouvelle secte? Comment expliquer l'acharnement contre l'ancienne religion ou societe que le mouvement messianique voudrait changer, ou plutot remplacer, heriter? Comment expliquer par exemple que les franquistes renouvellent - au 18e. siecle! - les accusations contre les juifs de meurtre rituel, alors que les hierarchies chretiennes n' y croient plus depuis longtemps et les recusent? Est-ce que le frankisme est en fait un essai d'emanciper les juifs? J'ai eu l'impression que Tokarczuk pousse un peu dans cette direction, et que c'est pour appuyer ce qui peut etre vu comme un premier vecteur vers une modernite juive qu'elle y mele cet autre essai de modernisation, l'ecriture d'une premiere, hesitante, encyclopedie polonaise. Qu'elle mele au parcours de Frank celui, beaucoup moins controversial, de Chmielowski. Quant a moi je crois que Frank et son mouvement n'etaient qu'une version du passe, des querelles et des solutions d'antan, pas la revelation d'un possible futur. Pour moi, Frank symbolise l'esprit ancien du shtetl, et en ce qu'il s'y revele de moins bon, meme quand il en sort. le futur est porte a la meme epoque par un philosophe, Moses Mendelssohn, qui lui, annonce l'Aufklarung, les Lumieres, et s'y trempe corps et ame tout en restant juif.



Olga Tokarczuk a ecrit un livre ardu, mais accessible quand meme. Et quand on s'accroche, le melange de realisme et de prodigieux devient fascinant. Fascinante aussi sa facon de ventiler des dilemmes, de susciter moult sujets de reflexion. Un long livre, un gros pave, qui commence par se meriter et finit par devenir impossible a lacher.



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Sur les ossements des morts

Avez-vous lu “Les Peregrins"? Il me semble que son auteure (devoiler son identite? On verra…) aime bien, elle-meme, peregriner. En litterature. Passer d'un genre a un autre a chaque livre. Subrepticement, vu que nombreux de ses livres sont ancres en Pologne et que souvent elle y verse quelques gouttes de potion magique (de realisme, de realisme!… que vient faire ici Goscinny? Ce n'est pas lui…qu'allez-vous penser…).



Ce livre-ci se deguise en polar. Mais derriere cet accoutrement, assez bien confectionne d'ailleurs, on reconnait vite le manifeste (zut, elle n’aimera pas ce mot… ni plaidoyer…surtout pas harangue…discours tout simplement?) pour la sauvegarde de la nature et des animaux sauvages.



Une femme qui s'approche de la vieillesse sert de narratrice. Une solitaire, qui vit dans un hameau perdu au sud de la Pologne. Une douzaine de maisons, qui se vident pratiquement toutes pendant l'hiver et qu'elle est alors chargee d'inspecter chaque jour, pour avertir les proprietaires si quelque chose se deteriore, ou effectuer elle-meme de petites reparations a l'occasion. Elle avait ete ingenieure de ponts, puis professeur d'anglais, et elle donne encore une fois par semaine des cours dans la petite ville proche. Mais ce qui l'interesse surtout c'est l'astrologie; elle excelle a dechiffrer les cartes astrales: donnez lui votre date de naissance et la date de votre deces et elle vous dira qui vous a tue.



Une solitaire, qui n'aime pas quitter son hameau meme pendant les plus rudes hivers, mais qui est elle aussi, en un certain sens, une peregrine. A cheval entre la Pologne et la Tchequie (ou elle achete des livres), entre le polonais et l'anglais (elle aide un ancien eleve a traduire Blake), entre l'interpretation de cartes astrologiques et la realite de ce qui se passe autour d'elle.



Ce qui se passe? Des meurtres pardi (n'ai-je pas ecrit: polar?)! Des meurtres bizarres, et elle est convaincue qu’ils sont accomplis par des animaux. Les animaux vengent le mauvais traitements et les “crimes" accomplis envers eux par certains hommes, et les tuent. On la prend pour folle, mais l'est-elle vraiment? Et qui est, ou qui sont, sinon, le ou les meurtriers? Vous le saurez en lisant le livre (je suis paye par la maison d'edition).



Je peux devoiler quand meme que l'auteure est Olga Tokarczuk. Vous l'auriez reconnue de toutes facons a sa manie (pas uniquement celle de la narratrice) d’affubler tout le monde de surnoms: Grand-pied, Bonne-nouvelle, La Cendree, Oeil de loup (c'est le garde forestier), Mme Follebaguette, Glaviot, Manteau noir (le procureur). Sa voiture c'est Samourai, le pretre c'est le Pere Frou Frou. Vous l'auriez reconnue a son humanisation des animaux (les chiennes de la narratrice sont ses petites filles et les biches sont des demoiselles) et a sa bestialisation de certains humains (a quelques bouteilles de vodka pres). Vous l'auriez reconnue a son humour, tantot cynique, tantot bon enfant. Vous l'auriez reconnue surtout a sa prose, qui pousse des embellies au plus profond de l'hiver. Vous l'auriez reconnue bien qu'elle s’amuse a changer de genre comme je change de chemise.



Vous l'aurez certainement reconnue si vous avez deja lu quelque chose d'elle. Vous n'avez encore rien lu? Commencez par ce livre, il vous plaira surement.





N.B. De tous les livres de Tokarczuk que j'ai lu jusque la, celui-ci est le plus accessible, a mon avis (celui que je tiens pour son chef d'oeuvre, “Les livres de Jakob”, est un pave plus ardu). C'est un polar. Ou une simulation de polar. Celuicelle qui le jugera uniquement en tant que tel risque d'etre decu. Et ce sera dommage…

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Maison de jour, maison de nuit

Le deuxième livre est toujours une étape importante. Pour l'auteur, qui doit confirmer les espoirs placés en lui après un premier succès ou inverser la tendance si le premier livre n'a pas trouvé son public. Mais également pour le lecteur, qui se lance dans l'aventure de relire un auteur qui soit lui a beaucoup plu (au risque de découvrir que ce n'était qu'un heureux hasard) soit lui a déplu mais à qui il souhaite donner une seconde chance (au risque de vivre une deuxième désillusion et d'enterrer ainsi définitivement l'écrivain en le sortant de toutes ses PAL).



Ce livre est le troisième roman de la prix Nobel polonaise Olga Tokarczuk... mais le deuxième traduit en français. Son premier roman n'a en effet pas eu les honneurs de la traduction... alors qu'ironiquement le lieu de l'action est la France du 17ème siècle. Avis aux éditeurs français qui pourraient avoir intérêt à commander une traduction, avec en plus le bandeau "Lauréate du Prix Nobel" toujours garantie de vente.



Ce livre est ma deuxième lecture... après celle du premier roman, je fais dans la lecture chronologique mais totalement par hasard puisque j'ai choisi ce livre uniquement parce qu'il était disponible dans ma bibliothèque. Mais tant mieux cela sera l'occasion de voir en quoi l'écriture de Tokarczuk évolue et en quoi elle se ressemble en avançant.



J'avais vraiment adoré Dieu, le temps, les hommes et les anges. Et quand on entame une deuxième lecture d'un auteur qu'on a fortement apprécié, on voit s'ouvrir plusieurs chemins: soit l'auteur restera dans la veine de ce qu'elle a écrit, soit l'auteur changera totalement de style, de genre, de narration. La première solution est à la fois rassurante et frustrante : l'auteure ne risque-t-elle pas de se répéter, de faire moins bien de la même façon et donc se révéler décevante ? La seconde solution serait inquiétante et excitante : va-t-elle déployer son talent d'écriture dans un nouveau format ou se perdre en cherchant à innover ?



Cette deuxième lecture prend le premier chemin. Tokarczuk reprend le format de son deuxième roman dans le troisième. Le récit est organisé autour d'un cadre mais laisse se déployer plusieurs histoires en son sein. Là ou Dieu, le temps... se positionnait dans le village fictif d'Antan qui lui permettait ainsi d'explorer plusieurs périodes de l'histoire polonaise, elle pose son histoire dans un hameau proche de la ville de Nowa Ruda, en Silésie, à deux pas de la frontière tchèque. Dans cette région au carrefour des influences entre Allemagne, République Tchèque et Pologne en fonction des vicissitudes de l'Histoire et des déplacements de population, l'auteure peut ainsi encore nous promener dans le temps pour nous raconter un territoire, cette fois-ci réel, à travers le prisme des époques différentes.



Là où elle avait joué avec la fantasy en créant un monde à part entière dans son deuxième roman, elle prend ici comme fil rouge les rêves, ce qui lui permet aussi de garder une vraie liberté dans le récit, puisque rien n'est réellement impossible dans les rêves. L'auteur semble se sentir à l'étroit dans la réalité pure et froide et elle cherche à s'affranchir de ces limites et le biais du rêve est particulièrement bien choisi puisqu'elle l'utilise comme grille d'analyse de plusieurs phénomènes (religion, divination, et même lycanthropie cannibale à un moment).



Au delà des rêves, ces différents récits bénéficient également d'une histoire cadre avec une narratrice mystérieuse au mari seulement initialé (le taiseux R.) et ressemblant particulièrement par beaucoup d'aspects à l'auteure elle-même. En visite dans la région, acquéreurs d'une maison de vacances ô combien originale (traversée par une rivière, pas idéal pour l'humidité, mais avouez-le très poétique), ils nous permettent ainsi de rencontrer la galerie de personnages pittoresques, la voisine perruquière Marta, les bûcherons occasionnels Bidule Machin et Marek Marek. D'autres personnes ne sont que croisés mais cela ne les empêche pas de devenir les protagonistes principaux d'histoires plus développées, plus originales les unes que les autres, d'un cadavre trop proche de la frontière pour avoir une mort tranquille à un moine en questionnement sur son genre, en passant par une femme amoureuse d'un rêve.



La connaissance de la région et l'amour pour celle-ci se sentent parfaitement dans les mots de Tokarczuk. Elle s'est installée à Walbrzych, toute proche de Nowa Ruda, au début de sa carrière de psychothérapeute et a du sillonner ces chemins vallonnées, admirer ces paysages enneigés dans sa jeunesse. Son amour des champignons , déjà très présent dans le deuxième roman, s'exprime ici tout au long du récit, s'épanouissant même dans plusieurs recettes bien détaillées. Cet amour va même jusqu'à remettre en cause la classification de vénéneux, préférant tester par soi-même si le caractère comestible ne dépend pas autant de la femme qui le mange que du champignon lui-même... On ne conseille pas forcément de suivre ces conseils !



Avec tous ces ingrédients, vous devez vous dire que me voilà conquis et ravi... Et bien pas totalement ! J'ai beaucoup moins trouvé mon compte dans cette lecture que dans la première. Est-ce dû à la perte de la surprise de la découverte ou à une organisation qui m'a semblé moins ciselée ? Je me suis à certains moments perdu dans l'entremêlement d'histoires pourtant toutes très intéressantes. Peut-être que le récit cadre plus terre à terre m'a moins emporté que le village d'Antan si féérique dans sa normalité apparente.



Cela reste néanmoins une lecture très agréable, pleine de questions originales que je ne m'étais jamais posée, comme celle que j'ai relevée en citation : pourquoi ne change-t-on pas de nom lorsque la vie fait de nous des personnes parfois tellement différentes de celles que nous étions à la naissance ? Je vous laisse sur cette question, le temps de programmer pour dans quelques temps ma prochaine lecture de Tokarczuk, Les Pérégrins sans doute si je suis l'ordre chronologique que le hasard m'a créé !
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Dieu, le temps, les hommes et les anges

Il y a un temps pour tout, disait le plus desabuse des sages, L Ecclesiaste. Un temps pour naitre et un temps pour mourir; un temps pour planter et un temps pour deraciner; un temps pour batir et un temps pour demolir; un temps pour pleurer et un temps pour rire; un temps pour aimer et un temps pour hair; un temps pour la guerre et un temps pour la paix.

A ces temps d'actions et d'emotions Olga Tokarckzuk ajoute un temps particulier pour chaque homme et chaque femme, un temps pour les morts, un temps pour leurs ames, un temps pour chaque animal, un temps pour les anges, des temps pour la nature (pour la riviere, le verger, les tilleuls), un temps pour les saintes icones, des temps pour les choses (un moulin a café), un temps pour un jeu (mais a-t-il un temps, ce jeu, ou en fait comprend-il, definit-il tous les temps?). Et tous ces temps melanges tissent la legende d'un hameau, Antan, qui est le centre de l'univers. Comme beaucoup d'autres hameaux en d'autres lieux. Et tous ces temps enchevetres tissent la legende des siecles d'Antan, et plus specifiquement la legende d'un siecle d'Antan, la legende du dernier siecle europeen.





Chaque temps particulier, que ce soit celui d'un personnage, d'un animal ou d'une chose, s'inscrit dans des cycles plus larges, les cycles des jours et des semaines, des saisons, des semailles et des moissons, des naissances et des morts; des cycles de croissance alternant avec d'autres d'atrophie, des cycles eveilleurs d'espoir coupes d'autres hantes d'apprehension, des cycles d'ordre et des cycles de turbulences. Chacun de ces cycles est un monde en soi, different, tous crees par Dieu. Dieu est un, mais il est sujet a differentes humeurs, chacune d'elles creant un autre monde, alterant ainsi le temps ou les temps des gens, des animaux et des choses. Cette connaissance de Dieu et de ses creations sera leguee au chatelain d'Antan par un vieux rabbin juif, avant de disparaitre, comme tous ses coreligionnaires abattus en masse dans les forets des alentours.





Tous ces temps d'Antan sont traites par Tokarczuk comme de petites legendes, qui m'ont rappele d'un cote des legendes hassidiques et d'un autre certaines oeuvres du realisme magique, des legendes qui, juxtaposees, hissent Antan au rang de mythe. Un mythe accole a de plus anciens, bibliques, par les noms de famille adoptes (Seraphin, Cherubin, Divin, Celeste, et quand une femme n'a pas de nom de famille, on l'appellera La glaneuse et elle aura pour fille Ruth). Un mythe ou les adultes se comportent comme des enfants et les enfants comme des adultes; les hommes comme des animaux et les animaux comme des hommes; les morts comme des vivants et les vivants comme des morts; les choses comme des humains et les humains comme des choses. le mythe de la grandeur et misere de l'homme, ses ambitions, ses reves et ses chimeres. Le mythe des heurs et malheurs du 20e siecle.





Tokarczuk nous offre la un livre fastueux. Different des autres que j'ai lus d'elle, avec peut-etre le souffle qui caracterisait Les livres de Jakob, bien qu'il ait ete ecrit longtemps avant. C'est un livre que je pourrai relire, sur que chaque relecture sera differente. Ce sera le septieme livre que je tirerai de la malle qui a echoue dans mon ile deserte, car, pour paraphraser L Ecclesiaste: Vanite des vanites, a dit Kohelet, vanite des vanites; tout est vanite! […] Une generation s'en va, une autre generation lui succede, et Antan subsistera perpetuellement.

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Histoires bizarroïdes

Elle se dit obsessionnelle, écologiste et féministe, végétarienne et de gauche. Elle est d'une grande culture et affectionne les voyages. Justement il s'agit bien dans ces Histoires bizarroïdes de voyages, entre réalité et imagination, dans l'univers très particulier du prix Nobel de littérature Olga Tokarczuk.



Dix nouvelles pour voguer (il est beaucoup question d'eau) entre deux mondes dont le centre serait le rapport de la nature à l'homme —« Toute dévastation fait que la nature reprend ce que l'homme lui avait confisqué, non sans chercher par ailleurs à s'emparer avec audace des êtres humains pour les ramener à leur état originel. » — la défense de la condition animale ; le transhumanisme ; les interrogations sur Dieu, la vieillesse, la mort et le désir d'immortalité...



Bien que souvent obscur, un splendide tableau écrit dans un langage riche et pur, où magnétique et poétique Olga Tokarczuk, avec une manière bien à elle d'aborder les nouvelles réalités de l'humanité, nous atteint au plus profond sans qu'on sache vraiment pourquoi. Ou peut-être si. Parce qu'avec Olga Tokarczuk : « En voyageant vers les profondeurs, on avance vers l'incommensurable et l'idéal. »
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Sur les ossements des morts

Dès sa parution, ce livre m'avait intrigué et j'avais envie de le découvrir. J'avais toutefois une petite appréhension, craignant vaguement d'avoir à lire une sorte de manifeste écolo-féministe.



Drôle d'idée me direz-vous peut-être, mais dans le contexte actuel d'hystérisation des débats, où les invectives et les anathèmes volent (très) bas, le pire est à craindre et, pourquoi une auteure récompensée par un prix Nobel échapperait-elle à ces travers de notre époque ?



Et bien, mes craintes n'étaient pas fondées, d'écologie il est certes question, de féminisme un peu aussi, mais ce qui ressort surtout du roman, ce sont les personnages et en particulier la narratrice, vieille dame amoureuse de la nature, de la poésie de Blake et de l'astrologie.



Madame Doucheyko (elle n'aime pas son prénom) est un personnage attachant comme on en rencontre finalement peu dans un roman.



"Sur les ossements des morts", est de ces livres rares qui vous happent et ne vous lâchent qu'à la dernière page et encore, car il laisse en vous un écho durable...

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Les enfants verts

Après avoir fait partie du public lors d'une conférence d'Olga Tokarczuk je me devais (quand même) de lire un de ses ouvrages, mais le Livre de Jakob me semblait trop engageant.



Cette courte nouvelle a tout pour séduire les amateurs d'Histoire (le divertissement est aussi prétexte à un peu d'érudition). Par exemple, j'ignorais tout de la plique polonaise (rassurons-nous, malgré la charmante extravagance de ses coiffes, l'écrivaine n'en est bien sûr pas atteinte…).



La romancière polonaise, Prix Nobel de Littérature, recrée une atmosphère particulière au moyen de la culture encyclopédique qui est la sienne, au sens des Lumières, par la curiosité, la variété des touches historiques qui composent le tableau d'ensemble.



Avec un héros écossais, médecin du roi de France et désormais au service de celui de Pologne assiégé par les Suédois, les Tatares et les Moscovites, Takarczuk aime à nous montrer un continent en mouvement, où les échanges, les mythes et les particularismes régionaux ont façonné un destin européen commun qui ne date pas d'hier.



Si le décor est merveilleusement planté, la promesse d'une intrigue à la hauteur de la culture yourcenarienne de l'écrivaine polonaise n'est pas véritablement tenue, l'histoire de ces enfants verts n'étant (subjectivement) pas véritablement accrocheuse.



Qu'en pensez-vous ?
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Sur les ossements des morts

Au coeur de l’hiver, dans un environnement particulièrement triste et rude, Janina est réveillée en pleine nuit par son voisin, qui lui demande de le suivre, pour se rendre dans une maison voisine, où git un cadavre. Celui de l’homme qu’elle appelait Grand Pied. Sans tenir compte des connaissances de base que tout amateur de séries policières n’ignore plus, ils s’arrangent pour que l’homme ait une allure décente lorsqu’il sera découvert. De toute façon, l’origine de la mort est claire : il s’est étranglé avec une petit bout d’os. Pour Janina cependant, ceci est la preuve que les animaux sauvages, traqués par les chasseurs, se sont vengés.



Bien entendu, la police ne prête pas attention aux élucubrations d’une vieille folle. De même lorsque l’on découvre un autre chasseur, tombé dans un puits, avec des traces de coups sur le crâne;



Il faudra une troisième mort pour que les autorités locales finissent par douter de la thèse d’une coïncidence.



C’est en premier lieu une profonde sympathie que suscite ce personnage fantasque mais déterminé qu’est Janina. Elle a de nombreux points communs avec une de mes héroïnes cultes, qu’est Maud, du roman adapté en film Harold et Maud. Irrévérencieuse et suffisamment aguerrie par la vie, rien ne lui fait peur et elle ne manque pas de faire part à qui veut l’entendre de ses soupçons de complot animalier.



C’est un roman remarquable, pour l’histoire (même si on se doute assez rapidement de ce qui s’est passé, et peu importe, la résolution de l’énigme n’est pas le principal), pour les personnages et surtout celui de la narratrice et pour cette belle écriture d’une autrice Prix Nobel et reconnue à juste titre dans son pays.


Lien : https://kittylamouette.blogs..
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