Citations de Olivier Adam (2070)
On a passé tellement d’heures, de nuits, de jours entiers dans l’obscurité du sous-sol. On descendait des bières par packs entiers, on fumait du matin jusqu’au soir, nos yeux brillaient et nos cerveaux s’embrumaient, anesthésiés et oublieux. Luis amenait sa guitare, Alex sa basse, et avec Nicolas comme batteur, ils massacraient Smells like teen spirit, Come as you are ou Hey Joe. Lorette et Laetitia nous rejoignaient, on se planquait dans les coins sombres, on baisait à deux pas des autres et on faisait mine de ne pas s’en rendre compte. Lorette me suçait dans la poussière et je la prenais contre le ciment, ses cheveux mélangés aux toiles d’araignées. Le temps passait ainsi, on le tuait en le noyant d’alcool, en le saoulant de musique et de lumières, en le couvrant de sperme et de baisers.
On se ment beaucoup à soi-même.
"De toute manière, il a très peu de souvenirs de son enfance. Ce qui reste gravé, c'est la tendresse."
Qu'est-ce que tu leur reproches exactement, aux bobos ? De manger des sushis ? De voter à gauche ?D'être écolos ? D'avoir assez de fric pour se payer un voyage par an ? De lire Télérama ? De trier leur déchets? D'aller voir des films en VO ? De s'en battre les couilles de l'identité française ? De pas avoir peur des Noirs et des Arabes ? C'est quoi le problème ?
Mon père était mort et je venais de l'enterrer. Et à ce stade je ne savais pas comment j'allais bien pouvoir m'en remettre. À ce stade, « la vie continue » m'apparaissait comme la phrase la plus scandaleuse qui soit.
En définitive, s’il avait appris une chose de sa vie d’artiste, c’est que ça ne pouvait pas bien se passer avec les proches, en particulier la famille. Soit il inventait, tordait, réarrangeait, et on l’accusait de mensonge, exagération, manipulation, manque de respect, trouble à l’ordre public de la réputation et du qu’en-dira-t-on : pour qui nous fais-tu passer, que vont penser les voisins ? Soit il se cantonnait à la vérité et ça revenait au même : comment osait-il raconter tout ça, nous jeter en pâture et s’essuyer ainsi les pieds sur le respect de nos vies privées ?
Quitte à ne plus avancer, je voudrais tellement revenir en arrière. Retrouver l’insouciance de l’enfance. Quand tout allait de soi. Quand je trouvais tout super. Cette ville. La maison et le jardin. Le parc de loisirs où on allait tous les week-ends. La forêt où on se baladait à vélo. Les parties de foot avec mon père.
(page 29)
Elle était vendeuse à Carré Sénart pour une enseigne de fringues pas chères. Les mecs maximisaient les profits en faisant tout fabriquer pour pas un rond au Bangladesh. Visiblement les coûts étaient encore trop élevés pour eux. Ou ils en vendaient pas assez, de leurs merdes. Ils ont fini par fermer le point de vente. Pas assez rentable. Ils en ont gardé des tas d’autres à travers tout le pays mais pas celui-là.
Je pourrai marcher des heures ainsi, traquant un détail, un visage, fondue dans la ville, petite partie d'un tout, sans utilité, sans signification particulière. Atome silencieux. Un rôle qui me convient. Suffit à ma propre justification.
Je suis quelqu'un qu'on oublie facilement, je crois. Oui. C'est ça. Je ne suis pas quelqu'un d'inoubliable. Ni de remarquable. Je ne suis même pas sûr d'exister.
Je comprenais cela. Ce besoin de rompre. De faire place nette. De mener le saccage à son terme.
Le vieillissement frappait ainsi. Par à-coups. Au gré des épreuves, des maladies, des deuils. Ce n’était pas vrai qu’on vieillissait peu à peu. Non. On vieillissait subitement. Mais à plusieurs reprises. Par paliers.
(page 207)
Dans la boîte, tout le monde me trouvait performante à l’oral. On me répétait souvent que j’aurais pu vendre une côte de bœuf à un vegan.
(page 61)
Pour un peu ça ressemblerait à des vacances. Oui tout est si lourd, inextricable, douloureux, effrayant. Et si léger, lumineux à la fois.
(page 117)
Aller au bout de l’histoire. Chaque fois, je me dis que peut- être, au bout, lorsque tout aura été raconté, mâché et remâché, ravalé, ainsi qu’on ravale ses larmes, alors il se passera quelque chose. Les choses seront différentes.
La maison sentait le détergent, la lumière y entrait froide et crue, et le silence y faisait un bruit menaçant.
Est-ce qu'un jour on en a finit avec ça ? Est-ce qu'un jour on cesse de s'apitoyer sur son sort ?
Un jour je l’avais entendu citer je ne sais plus quelle autrice qui préconisait aux écrivains d’écrire leurs bouquins comme s’ils devaient être morts à leur parution. Comme s’ils n’auraient de compte à rendre à personne. Dans son esprit ça avait l’air de constituer une preuve de courage. La garantie de conserver sa complète liberté de créateur.
(page 58)
Où que j’aille, j’ai toujours l’impression qu’on me regarde de travers et qu’on me juge pour ce que je suis. Une loque d’à peine dix-huit ans, à moitié défoncée la plupart du temps, qui squatte chez ses parents en attendant la fin du monde. Un mec en chute libre. Même si je ne suis jamais monté bien haut. Il paraît qu’à dix onze ans, je suis devenu un gamin difficile. Je pétais les plombs pour rien.
(page 39)
Je poursuis jusqu'aux sables gris, la mer absorbe toute la lumière, se déploie lisse et brillante, sereine et sans blessure. J'aimerais me fondre en elle, la laisser couler en moi, j'aimerais tant en être capable, sentir en moi le sang ralentir et battre sans accroc. Je pense aux forêts, aux rivières, au temple, à ses jardins imperturbables, à son vieux pin, au camphrier frissonnant à la moindre brise, je pense à la lumière dans les branches, à la transparence de l'eau ruisselant sur mes poignets, à la douceur de la mousse au pied des arbres, couvrant leurs racines brunes, au balancement des fougères.