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Critiques de Olivier Le Cour Grandmaison (10)
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Ennemis mortels

Des représentations de l’islam et des musulmans ont été élaborées, de la fin du XIXe siècle jusqu’à la guerre d’Algérie, par les élites académiques, scientifiques, littéraires et politiques : religion « nuisible » selon Ernest Renan, sexualité prétendument débridée et « contre nature » de ses adeptes selon Maupassant, jugés rétifs au progrès, danger protéiforme et existentiel qui menace les bonne moeurs et la sécurité sanitaire, l’avenir de la nation et de la civilisation occidentale. Olivier Le Cour Grandmaison, enseignant en sciences politiques et philosophie politique à l’université Paris-Sarclay-Évry-Val d’Essonne, analyse « l’invention d’un Orient islamisé réputé par nature obscurantiste, hostile au progrès et ennemi d’un Occident pensé comme l’unique moteur de l’histoire universelle », qui affecte notre présent et alimente beaucoup d’obsessions islamophobes contemporaines.

(...)

Olivier Le Cour Grandmaison démontre comment l'islamophobie savante a été indispensable à l’avènement de la République impériale comme à sa défense. Elle n’a pu prospérer qu’en raison de la conception hiérarchisée du genre humain que partageaient nombre de ses concepteurs : pour jouir de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il faut être blanc et chrétien. Cette étude rétrospective extrêmement documenté est tout simplement édifiante.



Article (très) complet sur le blog :
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La République impériale : Politique et racisme ..

Après la polémique suscitée par son précédent essai sur la guerre coloniale Coloniser, exterminer (Fayard, 2005), Olivier Le Cour Grandmaison revient à la charge. En 400 pages très denses, d’une impressionnante érudition, empruntant à l’histoire des idées, à la philosophie politique, mais aussi au droit, à la sociologie voire à la psychologie, il expose une thèse simple sinon simpliste : à partir de 1885, la IIIe République est devenue impériale. Les historiens de la République comme ceux de la colonisation ont sous-estimé ce processus d’impérialisation des institutions et des mentalités : l’auteur cite l’ouvrage de référence de Pierre Rosanvallon L’État en France : de 1789 à nos jours (Le Seuil, 1990) qui passe sous silence l’histoire coloniale de la République. Pourtant, à partir de la conquête de l’Indochine et du ralliement de toute la classe politique à l’idée coloniale, l’outre-mer va prendre une place considérable dans l’État et dans la psyché des Français. Au lendemain de la Débâcle de 1870 et à la veille de la reconquête de l’Alsace-Lorraine, il constitue pour la métropole un facteur de fierté et de régénération.



La description de cet État impérial-républicain et de ses institutions surannées (le ministère des Colonies, l’École coloniale, l’Académie des sciences coloniales) est savoureuse. En revanche, O. Le Cour Grandmaison est beaucoup moins convaincant lorsqu’il expose les ressorts de ce processus. Sautant de 1870 à 1940 sans souci de la chronologie, il donne parfois au lecteur le vertige par la masse et par l’aridité de sa documentation. Il a certes le mérite de se plonger dans des sources négligées : les volumineux manuels de législation coloniale, les délires racistes du darwinisme social, l’exotisme frelaté du roman colonial dont l’immense succès au début du XXe siècle n’a d’égal que la profondeur de l’oubli dans lequel il est tombé aujourd’hui. Mais hélas la montagne accouche d’une souris : tous les livres, les articles, les discours qu’il sollicite révèle la banalité d’un racisme aujourd’hui inadmissible. Qu’il existât des races et qu’elles fussent hiérarchisées était alors tenu pour vérité scientifique. Considérer que les Blancs occupaient le plus haut degré de civilisation et les Noirs le tout dernier et que le rôle des premiers soit d’accompagner les seconds dans un lent et difficile processus de maturation n’était en rien raciste mais plutôt la marque d’un esprit libéral et philanthrope. Cela est certes affligeant, mais bien peu original.



O. Le Cour Grandmaison a le tort de se concentrer sur les concepts et les discours et de négliger les pratiques. Les expériences vécues des colonisés et des colons, leur évolution au fil du temps, les différences entre l’Indochine, le Maghreb et l’Afrique noire sont gommées. À la fin du chapitre II, O. Le Cour Grandmaison évoque trop brièvement les pratiques sociales en colonie. L’espace de quelques pages, son livre se met à vivre : s’animent les casques coloniaux, les dames en crinoline, les boys empressés… L’analyse du « langage colonial », notamment de ce tutoiement autoritaire et infantilisant dont les colons usaient – et usent parfois encore – avec les colonisés, est éclairante. Mais bien vite, l’auteur s’égare encore, notamment dans l’ultime chapitre où l’auteur conclut une analyse comparée de « l’espace vital » colonial et du Lebensraum national-socialiste par l’irréductibilité de ces deux concepts.



La lecture de ce savant ouvrage est frustrante. On ne parvient pas à se départir du sentiment que O. Le Cour Grandmaison a raté sa cible et à le regretter. La dénonciation du mythe d’un système colonial bienveillant, à laquelle il entendait porter sa pierre, est pourtant indispensable. Nombreux sont les universitaires qui, en France et aussi aux États-Unis, depuis la broncas provoquée par la loi du 23 février 2005, s’y sont déjà attelés avec succès.
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Ennemis mortels

L’islamophobie savante parée des atours de la recherche érudite



Février 1862, Collège de France, des caractérisations de l’Orient musulman et de l’islam, « Contribution significative, mais peu originale en fait, apportée par ce professeur à l’invention d’un Orient islamisé réputé par nature obscurantiste, hostile au progrès et ennemi d’un Occident pensé comme l’unique moteur de l’histoire universelle », l’apologie d’une civilisation et de sa supériorité qui « l’autorise à soumettre les peuples et les races arriérées pour les soustraire à leur stagnation multiséculaire »…



En lisant l’introduction, je me suis projeté dans le temps et les analyses de Johann Chapoutot sur le nazisme, la construction savante de la légitimité des crimes et de leur juste nécessité.



« Depuis que la religion musulmane, en raison de l’actualité nationale et internationale, est pensée par beaucoup comme un problème majeur posé à la France, à l’Europe et à l’Occident, les thèses d’Ernest Renan sont fréquemment invoquées ». Dans son introduction, Olivier Le Cour Grandmaison aborde, entre autres, l’islam, l’islamisme, l’islamophobie, l’essence supposée « de leur religion et de leur civilisation », les orientations coloniales, les dispositions d’exception, les représentations, « l’objet de ce livre n’est pas l’islam, comme civilisation et religion, son histoire et celle des musulmans vivant dans les possessions françaises à l’époque coloniale. Il s’agit d’étudier les représentations savantes, communes parfois aussi, qui ont été élaborées au cour de cette période », des écrits de spécialistes « scientifiques », de politiques et de représentants de l’appareil d’Etat, d’écrivains connus, « Les représentations d’origine diverses, qui font de l’islam une religion inférieure et dangereuse, ont ainsi favorisé l’avènement d’un « régime de vérité » puissant et longtemps persistant puisqu’il a perduré dans des disciplines comme la psychologie ethnique et la démographie, jusqu’aux années 1960 ».



Je souligne que ces dignitaires, encore largement célébrés, ne pensent qu’en termes d’unité fantasmée, sans histoire et sans contradiction, à la fois la religion aux multiples facettes et préceptes et les différentes et variées populations s’y référant sous le terme nivelant de mahométan…



« Quelles furent la genèse de ce « régime de vérité », les évolutions de celles et ceux qui ont contribué à sa construction comme à sa pérennité, et leur influence sur les politiques « musulmanes » de la France ? Telles sont quelques-unes des questions auxquelles nous entendons répondre ». Olivier Le Cour Grandmaison poursuit avec Ernest Renan, « Pour la raison humaine, l’islamisme n’a été que nuisible », la hiérarchisation des cultures, l’autorité d’un membre du Collège de France, « Remarquable expression de la force des préjugés à l’endroit des musulmans, de leur religion, de leur civilisation et de leur histoire, constitutifs d’une islamophobie savante parée des atours de la recherche érudite ? ». Mais quelques voix discordances se sont élevées, sans effets notoire sur les travaux des savants colonialistes. Il ne faut pas oublier qu’entre 1881 et 1912, « les Républicains ont fait de l’hexagone la deuxième puissance impériale du monde »…



La construction de l’empire, les mutations académiques, l’évolution de disciplines… L’auteur parle de « convertir des connaissances académiques ou jugées telles en savoirs experts et, in fine, en pouvoir, d’autant plus légitimes que leurs producteurs appartiennent au champ universitaire ou sont des acteurs importants de l’administrations coloniale, connus pour le sérieux de leurs travaux et leur longue expérience ».



Olivier Le Cour Grandmaison aborde aussi, les « politiques musulmanes », le service « des intérêts coloniaux et internationaux du pays », celles et ceux qui sont jugé·es « inférieurs et dangereux pour la stabilité de la domination française », la psychologie « ethnique », les portraits dressés de « l’« arabe musulman » en barbare », celles et ceux qui sont relégué·es « au plus bas de la hiérarchie du genre humain », l’altérisation radicale, « Altérisés de façon radicale, c’est-à-dire anéantis en tant que semblables égaux en droit comme en dignité, puis infériorisés, les musulmans se voient imputer une dangerosité polymorphe d’autant plus inquiétante qu’elle affecte, à cause de cela, tous les registres de la vie », un déterminisme qui subjuguerait et façonnerait irrémédiablement, « l’islamophobie savante de la fin du XIXe siècle et ses avatars ultérieurs peuvent s’analyser comme une forme spécifique de racisme différentialiste et inégalitaire qui essentialise et éternise les traits réels ou supposés imputés aux musulmans », l’intensité de l’exécration, la hantise du péril vénérien et de la « corruption des sangs », la surveillance spécifique, les dispositions et pratiques d’exception…







Table des matières



Introduction



Islam, islamisme, islamophobie



« Pour la raison humaine, l’islamisme n’a été que nuisible »



La France en terre d’islam



Quelle « politique musulmane » ?



Petit portait de l’« Arabe musulman » en barbare



1. La République impériale : « une grande puissance musulmane »

Des millions de « sujets » et de « protégés musulmans »

La France en Afrique du Nord : poursuivre l’expansion

Colonisation et islamisation de l’Afrique française

L’islam : la religion des races et des peuples inférieurs

Remarque 1. De l’islamophobie savante à l’époque coloniale à l’islamophobie contemporaine

2. Victoires coloniales et « péril » islamiste

Fonder une science pratique de la religion et des sociétés musulmanes

Les politiques musulmanes à l’épreuve

3. Morale musulmane et arriération

Fatalisme et pauvreté

L’« influence déprimante de l’islam »

4. Islam : « sensualisme » et sexualités coupables des musulman·e·s

Polygamie, hypersexualité et criminalité indigènes

Inversion, perversions et conquête de « la musulmane »

Remarque 2. Du mythe orientaliste du « musulman » et de « la musulmane » au mythe contemporain de « la beurette »



5. Islamophobie, gouvernement des « musulmans » et droit colonial

« La force, telle est notre raison d’être »

La Mecque : le « sanctuaire du fanatisme »

Islamophobie et dispositions d’exception

Conclusion



J’ai fait le choix de n’aborder que l’introduction. Il faut lire et discuter de ce livre, prendre en compte les différentes déclinaisons de l’islamophobie, son histoire profonde, souligner le rôle des savants et intellectuels dans la construction d’une soi-disant supériorité d’une civilisation et d’une hiérarchie des populations, revenir sur la consubstantialité de la république française avec l’impérialisme et le colonialisme, comprendre les liens entre le passé et l’obsession islamophobe d’aujourd’hui… Sans oublier la littérature et les récits racistes et sexistes d’écrivains toujours valorisés.



Je souligne quelques éléments de la conclusion. Olivier Le Cour Grandmaison revient sur le contexte « scientifique, académique et politique », des formes d’islamophobie – savante et élitaire, populaire ou souhaitée telle -, des dispositions discriminatoires, la construction du roman national, l’oubli ou la marginalisation « des discours et des textes critiques de l’époque alors que leurs auteurs furent souvent célèbres et que certains d’entre eux demeurent des figures exemplaires du régime républicain », la réalisation obstinée et souvent meurtrière de la République impériale, les doctrines relatives à l’inégalité des races, les conceptions hiérarchisées du genre humain, le sinistre relativisme « qui est principe d’une conception purement instrumentale et illibérale du droit colonial », la réduction blanche et chrétienne de la citoyenneté et de la capacité à jouir des droits humains fondamentaux.



« Sordidement racistes, sordidement islamophobes, aussi, sont ces conceptions qui ont longtemps fait florès. Islam ? O phobie ! »



Au panthéon des intellectuels, sur des statues équestres ou non, dans une toponymie coloniale des noms de rues… des assassins, des criminels, des sabreurs et leurs idéologues… L’infamie se poursuit aussi sur les frontons d’écoles et lycées. La glorification de la colonisation nous entoure et nous enserre encore et encore…
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L'Empire des hygiénistes: Faire vivre aux col..

Voilà donc un troisième (et dernier ?) volume de l'auteur sur les aspects peu connus ou esquivés de la colonisation française. Cette fois-ci, il s'appuie sur un corpus négligé : les ouvrages de médecine, les manuels universitaires, les débats politiques tout au long de la période… Un ouvrage, comme les précédents, qui prend et noue les tripes, car à travers tout ce qu'il présente comme faits et discours, comme références, sont les preuves irréfutables et monstrueuses de ce qu'ont subi comme souffrances les peuples colonisés.



Au départ, la France, deuxième puissance coloniale au lendemain de la Commune de Paris ! A la conquête succède l'exploitation des colonies… Les sciences dites «coloniales» prospèrent, sur fond de racisme (inégalités des races, caractères physiques et biologiques différents…). Une conception hiérarchisée du genre humain qui se traduit par la séparation stricte (ségrégation) entre Européens et «indigènes» en vertu de considérations hygiénistes : pratique courante du travail forcé, par des quartiers différents et éloignés les uns des autres, «séparés complètement» (recommandation, en 1905, de la section médicale du Congrès colonial français), maintien de l'esclavage domestique malgré son abolition en 1848, etc.



L'ouvrage embrasse presque toutes les colonies, ainsi d'ailleurs que d'autres pays colonisateurs (Belgique au Congo, Allemagne en Namibie, Grande-Bretagne en Inde, Afrique du Sud…) et presque partout, la médecine et l'hygiène (tropicales) sont des sciences pratiques au service de l' «empire», au service des «émigrés » et de leurs familles. L'arme sanitaire est d'emblée conçue par les praticiens comme une arme impériale «qui doit favoriser la pacification, la domination, puis l'exploitation des populations locales». Des exploités par millions, des morts au sein de la «masse d'exécution» par centaines de milliers dans des travaux presque pharaoniques sous surveillance (seulement) des Blancs. Par la suite, l' «assistance médicale indigène» vint… mais tardivement et au compte-gouttes avec, entre autres, Lyautey qui l'avait placée au cœur de sa stratégie et de ses pratiques. Il fallait bien entretenir et «conserver» en bon état, ladite «masse d'exécution»… dont la mort ne suscite aucune compassion. De «purs moyens et traités en conséquence», des êtres inférieurs dont l'exploitation est jugée nécessaire à la réalisation de l'«œuvre coloniale», «pour une plus grande France».



L'Algérie n'est pas oubliée. Le même calvaire ! Pis encore, des pratiques similaires à celles mises en œuvre en colonie sont importées sur le territoire métropolitain (France) afin de «gérer «les «immigrés» (22.000 en 1946, près de 300.000 en 1954). Des «allochtones»… à la religion qui, déjà, dérange et est jugée menaçante pour l'ordre et la sécurité. Un «village arabe» (masures en bois recouvertes de papier goudronné) est signalé à Genevilliers en 1931 dans une thèse de droit. La tuberculose fait des ravages. Du personnel français arrivé d'Algérie encadre et surveille cette main-d'œuvre. En 1954, les Nord-Africains sont rangés au neuvième rang de sympathie parmi dix nationalités. Ils sont en France, mais pas de France.



L'Auteur : Né à Paris en septembre 1960. Universitaire (français), politologue, spécialiste des questions de citoyenneté et des questions ayant trait à l'histoire coloniale. Il a critiqué la loi de 2005 sur la colonisation et il a été également un militant engagé pour la régularisation des immigrés clandestins. Auteur de deux essais à succès : en 2005, «Coloniser, exterminer : sur la guerre et l'Etat colonial», et en 2009, «La République impériale. Politique et Racisme d'Etat», les deux édités en arabe en Algérie.



Certains historiens français (dont Gilbert Meynier et Pierre Vidal-Nacquet) lui ont reproché d'assimiler le système colonial au 3ème Reich.



Avis : Une œuvre incontournable pour qui s'intéresse à l'histoire de la colonisation et à la naissance de l'impérialisme. Ainsi que pour tous ceux qui s'intéressent à la médecine et à l'hygiène
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De l'indigénat : Anatomie d'un

Olivier Le Cour Grandmaison est un chercheur engagé. A cheval sur les sciences politiques, l’histoire, la sociologie, le droit, son oeuvre se lit comme une déconstruction de l’aventure coloniale dont il montre que le caractère impérial et violent continue à imprégner nos sociétés. Son dernier ouvrage, publié chez Zones, un label des éditions La découverte lancé en 2007 qui se présente comme un « espace de résistance éditoriale », est la prolongation de ses précédents essais : Coloniser, exterminer (Fayard, 2005), La République impériale (Fayard, 2009).

Ce livre a le mérite de nous faire (re)découvrir une matière tombée dans l’oubli : le droit colonial. Les historiens du droit la dédaignent, les historiens l’ignorent. Si Laure Blévis lui a consacré une thèse de sciences politiques, encore inédite , la majorité des politistes s’en désintéresse. Les textes, dont l’accès à l’époque était déjà rendu difficile par leurs incessantes modifications, sont aujourd’hui inaccessibles. Olivier Le Cour Grandmaison nous entraîne dans les arcanes de cet « immense continent englouti » (p. 28) dont il reprend les commentaires qu’en faisait la doctrine de l’époque . Il commente longuement le « code de l’indigénat », dont la première version fut adopté en 1875 en Algérie, et sa cohorte de sanctions administratives que les gouverneurs généraux – qu’Amadou Hampâte Bâ surnommait « les dieux de la brousse » – pouvaient infliger aux « indigènes », en violation du principe de la séparation des pouvoirs : l’internement administratif, la déportation, l’amende collective, contraire au principe de l’individualité des peines, la mise sous séquestre, le travail forcé, la restriction des libertés d’expression, de réunion, d’association …. Il révèle ainsi un système structurellement inégalitaire, dans lequel les impératifs de la colonisation justifiaient que soient appliqués aux « indigènes » un état d’exception permanent.

Si Le Cour Grandmaison passe tant de temps dans l’exégèse de ces textes oubliés, c’est parce qu’ils révèlent de façon éclatante les contradictions du projet colonial. Menée au nom des Lumières, s’auto-justifiant comme un acte désintéressé de civilisation, la conquête coloniale s’avère n’être qu’une entreprise impériale et dominatrice. La France, patrie des Droits de l’Homme, a violé les principes universels de la Révolution dans ses colonies. Et elle l’a fait en toute connaissance de cause, nous dit l’auteur qui prend un malin plaisir à révéler chez les plus grands républicains (Ferry, Sarraut, Doumer …) un relativisme juridique aujourd’hui inadmissible. Mêmes ceux qui s’élevaient contre cet arbitraire restaient prisonniers d’une conception inégalitaire et raciste. Certes, cet ordre était en théorie transitoire, ne valant que le temps que les « indigènes » atteignent aux progrès de la civilisation. Mais, dans les faits et surtout dans les esprits, cet horizon était si lointain que l’assujettissement des « sujets » de l’Empire semblait devoir durer toujours.

L’auteur est hélas moins convaincant quand, troquant l’habit de l’historien pour la robe du procureur, il jette des ponts entre la législation coloniale et le droit contemporain sur l’entrée et le séjour des étrangers et se lance, dans une conclusions aussi virulente qu’hors sujet, dans une violente diatribe contre le refus sarkozyste de toute repentance coloniale.
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Coloniser, Exterminer : Sur la guerre et l'..

Olivier Le Cour Grandmaison s’est engagé dans une « démarche et une exigence rebelles à l’ordre des savoirs récemment utilisé », et nous livre un texte très dense, illustré de multiples et longues citations de personnalités civiles (en particulier Tocqueville « Je crois que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays et nous devons le faire soit en détruisant les moissons à l’époque de la récolte, soit dans tous les temps en faisant de ces incursions rapides qu’on nomme razzias et qui ont pour objet de s’emparer des hommes et des troupeaux » et militaires. Les termes employés, la négation de l’autre, la violence non dissimulée, nous montre une société du milieu du XIXème siècle consciente de ces faits et gestes et les revendiquant ouvertement au nom du progrès et de la civilisation. Nous sommes loin du maquillage de l’histoire dans une narration mythique et reconstruite à l’abri des oublis.



Dès l’introduction, l’auteur nous précise que certains mots peuvent être polysémiques (nommant des actes jugés, aujourd’hui, fort éloignés les uns des autres) et qu’il est impératif pour lire les textes cités de s’affranchir de leurs acceptations récentes forgées après Auschwitz. Un exemple frappant en est le mot « exterminer » présent dans le titre de son livre.



Le livre est accablant sur les méthodes employées par l’armée française dans les territoires algériens et sur les justifications développées par les hommes politiques.



Il est éprouvant de lire la description des enfumades, des massacres de prisonniers, des razzias, des destructions de village ; entendre et ressentir les mots de « hordes arabes », « races inférieures », « vies sans valeur », découvrir et penser les développements de notion comme « espace vital » et de « responsabilité collective », de suivre les spoliations légales, le code de l’indigénat et l’internement administratif.



Olivier Le Cour Grandmaison ordonne les actions, les forces matérielles et les idées sous-jacentes en faisant ressortir les logiques propres et totalisantes de l’action coloniale.



Comment ne pas penser ces temps oubliés et cachés, à l’aune de temps plus modernes, plus proches, plus commémorés ?



A de multiples reprises, la narration sera soutenue par des remarques méthodologiques précises, pour permettre à l’historien-philosophe, et à nous lectrices ou lecteurs, de parcourir d’autres lieux et époques. Ces allers et retours, éclairent des liens, des ressemblances, de possibles projections ou extensions, d’un regard pertinent comme sur « le statut des juifs sous Vichy » ou sur « les camps d’extermination » sans en nier les différences fondamentales et leur objet irréductible à la violence coloniale.



L’ultime chapitre étend le champ de la réflexion. La guerre « coloniale » se poursuivait dans et contre la « sociale ». Des liens structurants, des croisements dans l’histoire des classes et des populations sont mis à nu avec une force démonstrative toujours ancrée dans de riches sources documentaires.



Ce livre est une invitation à la mémoire, à la connaissance et à la nécessaire réflexion sur la colonisation.



Si les faits d’alors ne tissent pas une toile où s’épanouiraient, en les relativisant, les crimes du XXème siècle, les expériences concrètes et les modelages de la société qu‘ils ont engendré, ont favorisé cependant des espaces fertiles à de nouvelles atrocités.



« Nous n’avons pas fini de prendre la mesure de la terrible fécondité de cette histoire et de ses conséquences désastreuse pour le siècle des “extrêmes” et des génocides. Il n’aurait pas été ce qu’il fut sans le « siècle de fer » et de sang imposé par les Européens aux “races inférieures” d’Afrique et d’ailleurs. »



PS



a) Sur Tocqueville, apôtre de la colonisation, l’historien rappelle aux chantres néolibéraux de l’auteur de la « Démocratie en Amérique » que celui-ci fût un partisan des destructions, des massacres et déportations en Algérie, dans un bel article dans le n° 82 de Aôut-septembre de Manière de Voir intitulé « Pages d’Histoire occultées ». A lire aussi dans ce riche numéro un article de D. Bensaid sur « La révolution française refoulée »



b) Dans la Remarque n°1, Engels et Marx : le colonialisme au service de l’histoire « universelle » Olivier Le Cour Grandmaison revient sur le caractère unidimensionnel des analyses centrées sur le seul rôle « émancipateur du capitalisme », négligeant les conséquences sociales des processus dans une série de pays dominés et devrait aussi nous inciter à plus de vigilance dans l’exposition des faits rarement unilatéraux.



c) La remarque N°2 sur le livre de Joseph Conrad « Au cœur des ténèbres» aurait mérité un développement sur son adaptation cinématographique actualisé à la guerre du Vietnam par Coppola dans « Apocalypse Now ».
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L'Empire des hygiénistes: Faire vivre aux col..

L’extraordinaire violence ordinaire de l’exploitation coloniale

En introduction, Olivier Le Cour Grandmaison revient sur la réthorique impériale-républicaine, la place de l’anthropologie et de la géographie médicale, l’écriture d’une « histoire édifiante », les récits apologiques des dirigeants de la Troisième République (et pas qu’eux) qui « ont fait disparaître ces événements, incompatibles avec le grand roman national et impérial qu’ils ont élaboré, puis diffusé avec constance ». Il s’agit bien d’un « passé reconstruit ».



L’auteur parle des savoirs médicaux, du conservatisme de la hiérarchie miliaire sourde aux interpellations des médecins, des morts de la conquête coloniale, « par la faute de ceux qui la conduisent »…



Il introduit sur cette « hygiène tropicale », science pratique au service de l’empire, des dispositions hygiénistes « à la hauteur » des ambitions coloniales, des médecins contribuant « à transformer les armées en campagne en force de protection ». Deux faces d’une même entreprise, « colonisation-conquête », « colonisation-civilisation ». L’auteur souligne les rôles importants du médecin à coté de ceux de l’instituteur dans la présence française et les discours sur l’amélioration du sort des « indigènes »…



Il parle de sexualité, de corruption des mœurs, de peur du métissage, de hantise de l’indigénisation, d’ordre moral et racial, de « politisation remarquable de la sexualité, des questions matrimoniales et familiales, qui subvertit les frontières entre l’intime et les affaires publiques », d’hygiénisme et de moralisme, d’hygiénisation de la vie quotidienne et des espaces… L’hygiène comme science pratique et totale, « Totale, elle l’est aussi en raison de ses finalités, puisqu’il s’agit d’étendre ses prescriptions à l’ensemble de la société coloniale, conçue comme un corps physique, sexuel, économique, social, urbain et politique ».



Olivier Le Cour Grandmaison poursuit avec la ségrégation, « les autochtones doivent être physiquement séparés des Blancs afin que leurs relations avec eux soient limitées aux seules nécessités du travail », la défense de l’ordre public colonial, la politisation « remarquable » de l’urbanisme et de l’architecture, « Les villes, les villages et les maisons deviennent donc coloniaux », les conceptions hiérarchisées du genre humain…



Travail, travail forcé, corvées, violences extrêmes, châtiments corporels, brimades… « Jointes aux dispositions mentionnées, ces spécificités aident à saisir les singularités de l’exploitation coloniale, qu’aggravent les prérogatives exorbitantes des gouverneurs généraux et de leurs subordonnés sur le terrain, l’oppression particulière liée aux règlements autoritaires des pouvoirs publics (interdiction du droit de grève, des syndicats et des partis) et l’ampleur des bouleversements provoqués par la « mise en valeur » des colonies ».



Olivier Le Cour Grandmaison souligne le lien avec deux de ces précédents ouvrages Coloniser Exterminer. Sur la guerre et l’État colonial et La République impériale. Politique et racisme d’État (voir en fin de note) : « Si ces trois ouvrages peuvent être lus isolément, ils n’en forment pas moins un triptyque. Leurs parties se complètent, s’éclairent mutuellement et composent un ensemble cohérent, quant bien même il ne saurait être exhaustif. Les violences des guerres de conquête et des opérations militaires destinées à rétablir l’ordre imposé par la métropole, celles de l’exploitation, le rôle des sciences coloniales, le statut des « indigènes », le droit appliqué outre-mer y sont étudiés sur la longue durée afin d’en suivre les évolutions, les transformations significatives ou, au contraire, la permanence. Je n’ignore pas les facteurs économiques, sociaux et politiques, qu’ils soient nationaux ou internationaux, ni l’influence prépondérante d’autres disciplines, comme la psychologie ethnique. Des pages nombreuses lui sont d’ailleurs consacrées, puisqu’elle a joué dans l’entre-deux-guerre et après 1945 un rôle majeur dans la définition de l’autochtone comme mineur soumis à la puissance de ses instincts et de son affectivité, rétif au travail et dangereux pour l’ordre et la moralité publics »



Sommaire :



Chapitre I : Pathologie exotique, médecine et hygiène coloniales



Chapitre II : Savoir vivre sous les tropiques



Chapitre III : Villes coloniales et races dangereuses



Chapitre IV : Hygiène coloniale, travail et « mentalité primitive »



Chapitre V : Exploitation coloniale : travail forcé et esclavage domestique



Olivier Le Cour Grandmaison en conclusion revient, entre autres, sur l’extraordinaire violence ordinaire de l’exploitation coloniale, « Dramatique banalisation des violences et des comportements extrêmes, lesquels perdurent à cause de cette banalisation même », des massacres administratifs, des multiples obligations juridiques aux quelles sont soumis les « autochtones ». Il argumente autour du livre de Conrad Joseph « Coeur des ténèbres ». L’auteur indique que « la signification de la paix outre-mer se découvre : elle n’est que le nom avantageux donné à la stabilité de l’oppression et de l’exploitation » et termine par : « L’exploitation coloniale : le vrai visage du capitalisme ? Non, l’un des plus terribles »



Une livre prenant et nécessaire. Le rôle des savants, ces scientifiques de l’ordre établi, ne sera jamais assez souligné, hier comme aujourd’hui. Leur prétention à dire la vérité doit en permanence être interrogé de manière critique, en particulier leur soit-disant neutralité politique. Si les expertises, des sciences dites sociales, peuvent donner des éclairages, souligner des points invisibilisés, ouvrir des perspectives élargies de compréhension, etc., elles ne sauraient cependant se substituer aux débats politiques…



Après la lecture de ces ouvrages, j’espère un autre livre restituant les paroles, les analyses des « autochtones » et les « rares » analyses anticolonialistes en phase avec les combats des populations colonisées.



Et peut être aussi, un ouvrage pluridisciplinaire, mettant en relation les constructions savantes de la soumission, de l’inégalité, de l’ordre établi, les universitaires édifices des incapacités des femmes, des ouvrier-e-s, des non-blanc-he-s, des autres…




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La République impériale : Politique et racisme ..

« Le concept d’état impérial-républicain oblige à penser ensemble des réalités qui sont trop souvent dissociées, ce qui autorise certains à traiter de la Troisième République en omettant, ou en tenant pour secondaire, son caractère impérial, justement, ou, à l’inverse, à prendre pour objet la constitution de la ”Plus Grande France” sans s’intéresser véritablement à ses nombreuses conséquences institutionnelles et juridiques en métropole par l’avènement de l’empire. »



Olivier Le Cour Grandmaison interroge les instruments politiques, administratifs, juridiques et scientifiques qui ont permis ou facilité l’extraordinaire expansion des possessions française en outre-mer et les orientations, assimilation ou association, choisies pour gérer des dizaines de millions d’indigènes de la « Plus Grande France ».



A l’heure de la glorification de la colonisation, il est important de lire et d’analyser ce que furent les débats des républicains, leur basculement dans le racisme « Racisme de la législation et des conceptions qui la soutiennent, racisme de l’État français aussi, puisque, inassimilable, l’indigène ne peut-être traité comme un égal endroit et en dignité, cependant que les représentations qui légitime son statut d’assujetti dans les colonies affectent également sa situation lorsqu’il réside en métropole. Immigré désormais, considéré comme tel, du moins, alors qu’il ne vient pas d’un pays étranger, il est pensé comme une menace grave pour la société au sein de laquelle il vit sans pouvoir s’y intégrer en raison de ses caractéristiques raciales, culturelles et cultuelles » et son organisation par la République, la construction hégémonique de ”l’espace vital” jugé indispensable au développement de la métropole et à la vie de ses habitants. L’auteur souligne le rôle des institutions, des sciences et de leur représentant dans l’enseignement.« Triomphe de l’opinion parée des atours d’une parole et/ou d’une écriture d’autant plus autorisées et doctement dispensées qu’elles apparaissent scientifiquement fondées ; spectaculaire défaite de la réflexion. »



Loin des visions angéliques, des récits mythologiques, de la ”glorieuse tradition” des droits de l’homme, l’auteur nous dévoile un pan, pas encore acceptée, de la frauduleuse république démocratique. Comprendre cette histoire, c’est pouvoir appréhender ce qui perdure, même sous une autre forme, dans la société française actuelle. C’est aussi comprendre le présent d’un passé qui ne passe pas pour des millions de français-e-s et d’autres dont des ”racines” réelles, symboliques, mémorielles ou imaginaires sont induites par la colonisation.



Loin de le déclaration du 26 août 1789 et d’une certaine tradition cosmopolite et révolutionnaire, l’expansion géographique de la république et son patriotisme étroitement national, prospéra « grâce à l’emploi des armes et à l’asservissement des contrées et des ”peuplades” vaincues au nom de la supériorité de la ”race blanche” et de ses prétendus devoirs. »



Quatre parties au livre : « La République impériale », « De l’assimilation à la ”politique d’association” », « ”Lutte pour l’existence”, empire et défense de l’Europe » et « L’empire : ”le salut et l’avenir de la patrie” »



Olivier Le Cour Grandmaison termine son ouvrage en montrant les ancrages, les similitudes entre la colonisation et les politiques génocidaires en Allemagne nazie, au Cambodge pour ne citer que ces deux exemples.« A cette époque, l’espace vital impérial, qu’il soit français, allemand, britannique ou belge, repose fondamentalement sur une logique d’exploitation des races inférieures, et non sur une logique de destruction. »



«Impossible d’analyser l’émergence, la formation et parfois même le fonctionnement précis de l’espace vital national-socialiste en faisant abstraction de l’espace vital impérial qui le précède, celui-là même dont l’importance est trop souvent sous estimée, voire ignorée, par les études qui arrachent les conceptions hitlériennes à l’époque au sein de laquelle elles ont vu le jour. »



Et il en souligne les dissemblances « Continuité relative d’un labeur servant à des fins d’anéantissement et dont l’invention semble antérieure à l’émergence de cette forme inédite de domination ; discontinuité évidente de ses usages, liée au saut qualitatif engendré par les spécificités de ces régimes et par leur radicalisation criminelle où le travail-destruction est conçu comme un moyen supplémentaire de produire des cadavres par millions et de terroriser les vivants », l’irréductibilité des politiques d’anéantissement « Dès lors, l’espace vital national-socialiste, pour ceux qui sont identifiés comme Juifs, change de nature et bascule du côté d’une politique d’extermination radicale qui s’émancipe de toute considération économique et militaire, puisque le génocide anéantit des hommes et des femmes en âge de travailler, alors que l’Allemagne est confrontée depuis longtemps déjà à une pénurie de main-d’œuvre toujours plus grave ».



(Un aparté : la qualification juridique et moderne de crime contre l’humanité, de crime de guerre, de génocide, de massacre, ne vise pas à compter le nombre de mort-e-s ou à classifier suivant leur ”gravité” des exactions des groupes humains, mais plutôt au delà des similitudes d’essayer de faire ressortir les spécificités. Est-il besoin ici rappeler qu’un-e mort-e est un-e mort-e et qu’un-e assassiné-e est un-e assassiné-e.)



Il faut aussi souligner, que nul-le ne peut s’abriter derrière un relativisme temporel pour méjuger, pour re-qualifier ou ignorer ; « Défaite de l’universel, triomphe éclatant et durable d’un relativisme juridique, politique et moral, qui repose désormais sur des fondements d’autant plus sûrs qu’ils paraissent scientifiquement établis, en même temps que ce dernier ne légitime un ordre colonial inégalitaire, discriminatoire et illégal ; nul ne l’ignore alors. »



Un complément au passionnant « Coloniser Exterminer. Sur la guerre et l’État colonial » paru chez le même éditeur en 2005.
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De l'indigénat : Anatomie d'un

« Nous savions le régime des colonies autoritaire ou dictatorial, on le découvre arbitraire et cette seconde caractéristique est liée non à l’absence de législation, comme la tradition de la philosophie classique et moderne nous l’apprend, mais à sa prolifération sous la forme des règlements. »



L’État français ne se serait pas comporté comme les autres impérialismes dans les colonies, telle serait l’histoire, les contes ou les légendes, encore fortement présents au pays des Droits de l’homme.



Olivier Le Cour Grandmaison va, texte après texte, démonter le « régime du bon tyran », le statut des ”indigènes” qui furent sujets français mais non citoyens, la justice coloniale comme justice d’exception ou le(s) code(s) de l’indigénat « code(s) matraque(s) ».



L’auteur analysera aussi l’internement administratif, les amendes collectives et les séquestres, les libertés publiques dans les colonies ou le « travail forcé et esclavage de case », avant de conclure sur ”l’œuvre coloniale” et la mythologie nationale.



Avec l’auteur il convient de souligner que tou(te)s n’ont pas partagé les arguments et les pratiques racialisantes et/ou racistes « Pour avoir été longtemps dominantes, ces différentes conceptions n’en ont pas moins suscité de vives critiques formulées par des contemporains venus d’horizons politiques divers. Envers et contre toutes les théories racistes et les pratiques discriminatoires soutenues par leurs pairs, ils ont défendu un projet universaliste fondé sur les principes des droits de l’homme et sur ceux du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. » Les responsabilités des dirigeants politiques, militaires et intellectuels ne sauraient, en effet être oubliées, en regard des résistances des peuples et de certain-e-s qui n’ont jamais accepté la double lecture du droit ici et des non droits là bas.



« C’est clair, précis et concis : deux ordres politico-juridiques radicalement différents ont presque toujours été établis et ils peuvent continuer à s’épanouir en toute légalité sous la loi fondamentale du 4 novembre 1848. » et « Ce dernier n’est pas dérogatoire aux principes républicains et aux dispositions nationales de façon marginale et superficielle, ou en vertu d’une conjoncture exceptionnelle aux effets limités dans l’espace et le temps, et pour des individus concernés. Dérogatoire et discriminatoire, le droit colonial l’est au contraire par essence puisqu’il est systématiquement soustrait au principe de la déclaration du 26 aout 1789 relatif à la généralité de la loi sans laquelle il n’est plus d’égalité. »



Mais n’oublions pas aussi 1936 et même la sortie de la seconde guerre mondiale sans libération pour les peuples colonisés « Voila qui éclaire d’un jour particulier les principes défendus et les orientations mises en œuvre par certains qui luttaient dans les rangs de la Résistance. »



L’auteur a parfaitement raison lorsqu’il souligne, comme dans ces précédents ouvrages, le rôle des intellectuels institutionnels, ceux de la faculté, leur capacité à propager des âneries, à justifier les discriminations et les crimes sans autres (ir)responsabilités que celle de la « science » et la négation en permanence de la démocratie, du droit des sans à parler et être.



En ces temps de retour aux « valeurs républicaines » ou « pacte républicain », il convient de souligner l’ensemble des réalités de cette république impériale et colonisatrice « Oh ! Les beaux jours de la mythologie nationale ! », ou pour le dire, dans un autre registre, comme Pierre Zarka : « Ce qui est vain, c’est de vouloir réactualiser des ressorts qui fondaient la dépossession et l’aliénation. » (Omos : Désir individuel Conscience collective, Syllepse, Paris 2010).



Un complément érudit aux passionnants : Coloniser Exterminer. Sur la guerre et l’État colonial (Fayard, Paris 2005) et La République impériale. Politique et racisme d’État (Fayard, Paris 2009)
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Douce France : Rafles, rétentions, expulsions

Le réseau éducation sans frontières (RESF) a cinq ans. « Notre indignation est intacte, notre détermination inchangée, notre souci de toujours poser le problème politique global constant. On continue ! » Puissent les textes publiés dans cet ouvrage, éclairer sur la « Douce France », son indigne ministère de l’identité nationale et ses politiques xénophobes de traques, de rafles et d’expulsions.



Comme le rappelle Olivier Le Cour Grandmaison dans son introduction, il convient d’assumer « la justesse des vocables usités pour qualifier et penser, de façon aussi précise que possible, ce dont nous sommes témoins. En effet, mal nommer les réalités quelles qu’elles soient, c’est ajouter l’approximation et la confusion à leur complexité, et affaiblir nos capacités à en rendre compte. » Il s’agit donc bien ici de xénophobie d’État, de racialisation des positions défendues par la droite institutionnelle.



Des quatre textes de la première partie « Traquer, interner, expulser », je m’attarde plus subjectivement sur les deux premiers.



Marc Bernardot analyse les « Rafles et internement des étrangers : les nouvelles guerres de captures ». L’auteur décortique les procédures d’internement, en prenant des repères tant dans l’histoire coloniale que dans l’histoire métropolitaine. Il souligne aussi que « l’internement se distingue fondamentalement de la détention par son caractère non judiciaire collectif, préventif ou rétroactif, et sans durée préétablie ».



Les rafles d’étrangers sont des pratiques anciennes, mais ce type d’intervention policière pose problème « dans un cadre démocratique par son caractère préventif et collectif ». Pour l’auteur il s’agit « d’insécuriser, voire d’empêcher toute installation collective qui rendrait visibles les sans. »



Marc Bernardot met en relief la gestion de l’étranger « au centre d’une nouvelle configuration politique ». Il y a d’un coté une « radicalisation concrète des frontières » et de l’autre, comme deux faces d’une même carte « une promotion discursive de la diversité ».



Dans le même temps la « nouvelle souveraineté postcoloniale » indique une mutation de l’état-nation, participant à la guerre aux migrants et « constituant une réserve de travailleurs sans droits ». L’auteur conclut que le repli de l’État sur ces missions régaliennes fondamentales confirme « la simultanéité entre processus de pacification de l’espace public et brutalisation potentielle de certaines catégories de populations civiles. »



Je souligne particulièrement le texte d’Alain Brossat « »L’État, c’est lui ». Le préfet, homme orchestre de la persécution des sans papiers »



A juste titre, l’auteur parle d’infamies en citant des propos de préfets. Mais dénoncer se saurait suffire, il convient de « politiser le sentiment de l’injustice éprouvée ». Il n’ y a ni abus, ni dérives, ni bavures « puisqu’elles sont au contraire routinières, programmées et couvertes par l’autorité politique ». L’auteur poursuit son analyse des actions en « volonté de l’État », sous « couvert de l’État » et particulièrement du rôle et des actions des préfets. Je partage son analyse des machines administratives, de la banalité du mal, ou de l’autre face des régimes démocratiques. Il faut savoir quelque fois donner plus de poids aux mots, de les arroser d’histoire. Je reproduits deux passages illustrant les propos de l’auteur.



« Ce constat est essentiel, car il montre sur un mode rétrospectif que si les régimes totalitaires sont bien, en un sens, l’autre, le tout autre des régimes démocratiques, relevant d’une autre matrice de pouvoir et d’un autre programme en matière de domination et de relations entre l’État et la société, ils n’en réalisent pas moins, d’un autre coté, dans des conditions singulières, des potentialités qui sont celles de la modernité, notamment celles de l’État moderne, des formes propres à nos sociétés d’intrication de la violence à la loi, de l’abus de pourvoir au gouvernement légitime, etc. » et « La machine administrative – machinerie humaine mise au service de programmes de discrimination, de ségrégation, d’exclusion, d’accroissement des inégalités – tend à y reproduire, sur un mode non exterminateur mais néanmoins destructeur et brutal, les formes et les figures de la barbarie civilisée dont l’émergence a scandé les grandes catastrophes européennes du XXe siècle. »



Il n’y a ici ni abus de sens, ni assimilation abusive de formes, mais bien mise en perspective des différences irréductibles et des continuités des machineries étatiques.



Et pour celles et ceux qui pensent qu’être né-e du bon coté des « frontières » est une garantie suffisante, l’histoire montre qu’accepter un peu de ces banales infamies, non seulement dégrade l’individu-e mais participe de l’aggravation générale des situations. L’autre est aussi et toujours un autre soi.



Cette partie comporte aussi un texte d’Armando Cote « Les victimes de tortures et de violences politiques » et d’une analyse de Jérome Valluy « L’empire du rejet : xénophobie de gouvernement et politiques antimigratoires entre Europe et Afrique ».



La deuxième partie du livre « Les droits et les libertés mis à mal » comporte des analyses sur les impacts de la politiques sur (contre précisément) les couples mixtes (Nicolas Ferran), la singulière justice appliquée aux étrangers (Serge Portelli), les poursuites contre les tiers (Seloua Luste Boulbina) ou la gestion de l’inquiétude en Europe avec l’exemple de la circulaire retour (Claire Rodier).



Je souligne le rappel : « La pénalisation du statut des étrangers a été un choix délibéré opéré en 1981 lorsque l’infraction de séjour irrégulière est devenue, non plus la simple contravention, ce qu’elle était depuis 1945, mais un délit » Cette loi fut signé de François Mitterrand et d’illustres ministres de la gauche….



Sans oublier le texte de Serge Slama : La »race des porteurs de cocardes » », son analyse de l’immigration familiale, du ministère de l’immigration, de l’intégration et de l’identité nationale, des politiques d’assignations identitaires, de l’obsession de origines des migrants, ou de la double racialisation des couples mixtes.



Le rappel de la citation (Georges Brassens) de fin de cet article, me semble tout à fait illustratif des inclinaisons cocardières « le crottin fait par (nos) chevaux même en bois rend jaloux tout le monde ».



Entre les chapitres, de courts témoignages. Nous ne pouvons ni ne pourrons dire nous ne savions pas ! A l’instar de David Rousset cité par le préfacier « En certaines circonstances, la vérité impose que l’on se dresse contre sa classe, contre son parti, contre son État » Ou pour le dire comme Gunther Anders cité par Alain Brossat « Nous allons périr sous un déluge d’innocence ».
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