Olivier Loubes

Il entrait dans le temps. Par cette formule prononcée lors des cérémonies des 40 ans de la mort de Jean Zay en 1984, Roger-Gérard Schwartzenberg nous plonge dans la question du devenir de la mémoire de Jean Zay dès le lendemain de son assassinat. Or, à rebours de son affirmation, l’oubli, partiel mais puissant, de son action est un des traits majeurs de la postérité de l’ancien ministre du Front populaire. On l’a déjà noté, sa mémoire reste durablement diffractée. À qui veut donner à lire et à comprendre son parcours, il faut en passer par là : comment Jean Zay est-il entré dans le temps de l’écriture de son histoire ? En s’inscrivant dans quel Panthéon moral de la République ?

De promouvoir aussi des films antifrançais comme l'invraisemblable Sans laisser de trace - Verwehte Spuren en allemand - qui raconte la dissimulation de preuves par les autorités françaises de la mort de la mère de l'héroïne, victime de la peste pendant l'Exposition universelle de 1867. La peste à Paris en 1867, tuant une mère allemande, il fallait oser ! Ce film exploite un filon hygiéniste raciste, xénophobe et antidémocrate extrêmement cher aux nazis.

Sans surprise Joseph Goebbels est très attentif au cinéma comme agent de force politique et économique allemande, comme support de la propagande nazie en direction de l'étranger. Adolf Hitler et tous les hommes politiques de leur génération le sont aussi, et plus particulièrement les dictateurs qui sont soucieux des médias de masse.

« L'ouverture du Festival international du cinéma qui devait avoir lieu à Cannes le 1er septembre est ajournée et sera reportée au 10 septembre si les circonstances le permettent. »

Communiqué du Ministère de l'Éducation nationale et des Beaux-Arts, 29 août 1939.

Il faut dire d'emblée que prévu pour débuter le 1er septembre, Cannes 39 fut arrêté par le déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale, à la toute fin du mois d'août. Jean Zay, son président, qui devait être emprisonné par Vichy dès 1940 puis assassiné par les miliciens en 1944, a bien raison de souligner de sa cellule en 1942 le destin tragique de ce Festival d'un seul mot incise : hélas.
Il a bien raison aussi de souligner qu'il s'agissait de concurrencer la Mostra de Venise, devenue fasciste. Cannes 1939 devait être le Festival des démocraties contre les dictatures. Il devait incarner « le miracle éternel des nations libres » comme l'écrivait dans son éditorial du 30 août 1939, le rédacteur en chef de Cinémonde, Maurice Bessy, futur Délégué Général du Festival de 1971 à 1977. Or il semble ne rien rester ou presque dans notre mémoire de ce tout premier Festival qui n'a pas eu le temps, premier vaincu de la guerre.

Le problème en 1939 est que la majorité de ses acteurs professionnels et politiques ne voient pas leur contradiction à revendiquer la liberté de l'art et de la pensée, et aller à Venise, même si c'est dans l'Italie de la dictature. Le fascisme italien ne pose pas de problème à Jean Renoir venu glaner les lauriers de La Grande Illusion en recevant une coupe Mussolini en 1937. Cela ne pose pas non plus de problème au gouvernement français qui donne ses recommandations pour la sélection officielle des films français en 1938 au Délégué de la France, René Jeanne.

Depuis la décision définitive de l'organisation Hays de ne plus nourrir de liens commerciaux avec l'Italie fasciste, les Américains sont convaincus qu'il faut une autre manifestation internationale : Venise a perdu.

Cette entente maintenue entre les milieux du cinéma français et la Mostra reflète une compatibilité plus large encore. On organise sans problème des tournages en pays de dictature.

Nous fûmes prêts à l'heure dite. Le nom du Festival brillait déjà en lettres de néon au fronton du Casino quand la folie des homme éteignit les lumières.

Philippe Erlanger

Au total, le Japon, l'Italie et l'Allemagne déclinent l'invitation. C'est donc bien qu'ils ont été invités. Mais personne n'est dupe, cette invitation était diplomatique. La participation a été proposée à tous, y compris aux dictatures. Il s'agissait de démontrer que ce sont les dictatures qui ne jouent pas le jeu. Il s'agissait de ne pas déclarer la guerre, de ne pas en être responsable.