La librairie Point Virgule brouille les genres cette semaine en présentant trois livres en poche qui jouent à la fois sur le tableau du réalisme et sur celui de l'imaginaire :
- Les roses fauves, Carole Martinez, collection Folio, Gallimard, 8,20
- Le Dit du Mistral, Olivier Mak-Bouchard, Le Tripode, 10
- Blackwater, L'épique saga de la famille Caskey, tome 1 - La Crue (série en 6 tomes), Michael McDowell, Monsieur Toussaint Louverture, 8,40
« Bbbaaahhh, ça schlingue là-dedans, ai-je dis en me bouchant le nez. Ça-ça pue la mort, t-tu veux dire. Là- là-dedans, y a un ca-ca, ca-ca… » essayait de dire Jean-Jean. Il était tout rouge, tout excité, je ne l'avais jamais vu comme ça. « Y a un caca dans la cabane ? » l’ai-je coupé pour arriver à lui faire cracher le morceau. (Avec lui, hein faut pas être pressé, vous m'avez compris). C'était dégueulasse, y a vraiment des malpolis partout. Non seulement les gens n'avaient pas le droit de rentrer dans la cabane super secrète, mais ils avaient encore moins le droit d'y faire la grosse commission. Elle est où, hein, la politesse ?!
« N-non, y a un ca-cadavre là-dedans », il a répondu avec des yeux grands ouverts et des étoiles dedans. Quand je vous ai dit qu'il finirait policier, j'ai pas exagéré.
« Le cadavre de quelqu'un qui est mort ? »
Pendant un moment, on s'est regardés sans rien dire. Un mort, c'est pas rien.
(p.75)
Si le lecteur veut comprendre le fin mot de ces trois histoires, il faut tout d'abord le mettre au courant d'une vieille légende.
Selon les croyances, un chat a la capacité d'absorber la malchance qui s'abat sur son maître. Quand le mauvais sort vous conduit à la mort, votre chat pourra renoncer à l'une de ses sept vies pour vous sauver.
Si votre chat vient à mourir, cela signifie qu'il aura déjà sauvé sept vies au cours de son existence et qu'il se sacrifie une dernière fois pour vous protéger.
Un homme sans défauts est une montagne sans crevasses.
René Char
C’est la réalité des photos qui sont sur mon cœur
que je veux
Cette réalité seule, elle seule, et rien d'autre
Mon cœur le répète sans cesse comme une bouche
d'orateur et le redit
A chaque battement
Toutes les autres images du monde sont fausses
Elles n'ont pas d'autre apparence que celle des fantômes
Guillaume Apollinaire
(p.215)
"Ce vent n'est pas un vent comme les autres, c'est le mistral, c'est le Maître-Vent", dit enfin une voix anonyme qui n'est déjà plus là.
J'ai pris mon vélo et direction Saint Saturnin, un bâton de réglisse entre les dents, histoire de faire comme Lucky Luke sur Jolly Jumper. Entre la serviette du Grand Bleu qui n'arrêtait pas de frotter contre la roue arrière, la passoire qui me tombait sur les yeux et mon glaive gaulois qui faisait dérailler la chaîne, ça n'a pas été de la tarte, mais bon. En plus, à la fin pour arriver au village, il y a une sacrée montée, ça fait les mollets. (p.49)
Si les temps revenaient, les temps qui sont venus !
- Car l'Homme a fini ! l'Homme a joué tous les rôles !
Au grand jour, fatigué de briser des idoles
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux !
Extrait de Soleil et Chair
Arthur Rimbaud, 24 mai 1870
Jean-Jean m’a demandé si je voulais un long ou un court, avec ou sans sucre. À vrai dire, ce n'est pas vraiment lui qui posait ces questions, c'était plutôt la machine à café, et Jean-Jean ne faisait que lire les instructions qui s'affichaient. Je me suis dit que ce n'était pas le moment de faire des simagrées, qu'il fallait prendre du café comme les Grandes Personnes. J'ai répondu un long, avec du sucre : ça aiderait à le faire passer.
Malheureusement, la machine a répondu qu'il n'y en avait plus : « T-tant pis, il va f-falloir faire sans » a grommelé Jean-Jean. Il s'est servi à son tour, et on est restés silencieux pendant un moment en touillant dans nos gobelets.
C'était complètement inutile, puisqu'il n'y avait pas de sucre : autant jouer au mikado avec les mains de Mickey Mouse. Mais bon, on touillait.
(p.275)
Le plus dur, c'est de revoir toutes les contraintes et toutes les absurdités avec lesquelles vous avez appris à composer pendant toutes ces années. Le plus dur est de voir à quel point c'est stupide, mal branlé, et surtout que vous avez accepté tout cela sans broncher pendant tout ce temps. Vous sentez dans la nuque un petit picotis : c'est votre ego de personne douée de raison qui s'offusque.
J'étais parti un petit peu en avance, histoire d'être sûr de ne pas arriver en retard. Résultat des courses, j'étais seul à table. À chacun de ses passages, le serveur ne regardait. « Le gros benêt, il va se prendre un lapin dans la vue, je te dis que ça », devait-il expliquer au cuistot, à chacun de ses retours en cuisine.
Je vous vois à nouveau en train de sourire, bien caché derrière votre marque-page : « Il a craqué, il a rappelé Marianne ». Et vous n'auriez pas tort : oui, j'avais craqué. Une pression savamment appliquée à tour de rôle par Tartempion et Doumé avait eu raison de mes états d'âme. On s'était mis d'accord pour ce soir, vingt heures, à la crêperie de la rue des Marchands.
(p.62)