L'Homme de miel de
Olivier Martinelli
L’ambulance qui passe me prendre tous les matins est pleine de morts. Il n’y a pas moyen de leur échapper. Mon chauffeur me parle d’eux tout le temps. Chaque matin, en me conduisant à ma séance de radiothérapie, il évoque un client. Oui, les personnes qu’il transporte, mon chauffeur les appelle ses clients.
Il en choisit un au hasard et il me raconte son histoire. Chaque jour, une nouvelle. Toutes les histoires sont différentes. Mais la fin est toujours la même. Elle arrive, impitoyable, au moment où je commence à m’attacher au personnage. Quelquefois, je me prends à espérer que son nouveau récit se finira bien. Mais non, jamais personne ne survit au monologue de mon ambulancier.
J’ai fini par les voir, tous ces morts, autour de moi, dans la voiture. Quelquefois, je suis tenté de m’excuser quand je m’assois trop brusquement sur l’un d’eux.
Mon chauffeur a du talent. Ses descriptions sont précises. Elles grouillent de détails. Alors, ses clients, je les imagine, je vois leurs visages. Celui de la gamine de douze ans, si fraîche, si pleine de vie, jusqu’à celui du borgne acariâtre qui passe son temps à cracher des jurons. Quand le chauffeur me questionne, je reste évasif. Je lui en dis très peu sur moi. J’entretiens le mystère. Je ne veux pas devenir une histoire à raconter à ses prochains clients.
Mon ambulance est pleine de morts. Un jour, on va se faire arrêter. On est trop nombreux dans la voiture.
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