Lentement la nuit
Extrait 8
Le temps se défait
de tes bruits.
La pluie tombe. Sans souvenir
le soir qui vient,
la pluie jetée dans l’eau du soir.
L’étau se desserre,
lentement la nuit.
fils III / H
Dans les yeux de mon père ce n’est plus lui que je voyais. Jamais
il ne quittait sa détresse pour la mienne. Les instants sans lien.
Chaleur d’été sans issue. Comme l’intuition d’une patience qui
n’est pas celle d’un enfant.
je tire sur un fil sans commencement ni fin
je tire sur un fil sans commencement ni fin
nulle place assignée
ni bords ni noyau
ne pouvoir vivre rien
…
Aucune trace de ma propre image, comme si je n’existais pas.
"Est-ce assez
qu'on se souvienne,
de la pluie tombée des toits,
des nuages défaits?"
fils III / D
Le véhicule s’éloigne. La maison, derrière nous, rapetisse dans
la nuit, éclairée de sa seule fenêtre. Lui, sur le siège passager, ne
laisse rien paraître. En une seconde, grosse de terreur, je vois la
nuque suintante, la figure difforme se retourner au carreau et me
voir, savoir que c’est moi. Il m’était impossible de le quitter. J’ai
compris qu’il était en moi. Le matin ne filtrait pas encore à travers
les lames du volet.
fils III / C
Le passé prend corps à mesure que je déroule ma propre solitude,
que je gravis le chemin abrupt. Je sens l’aggravation des ombres,
le vertige. Il n’est plus temps de rebrousser chemin et à peine
possible de me retourner. Le vide est passé en moi. Quelques mots
dérisoires pour le combler, des gestes ou des prières. Je ne peux
guère que deviner là où rien ne se donne. Main sur la pierre, les
yeux clos.
Le temps comme une peau…
Le temps comme une peau.
quelques reflets sur le meuble.
Je n’ai pas osé te regarder,
recomposer la mémoire.
En moi le noyau pleure patiemment.
fils III / E
Dans le jardin, le jeu n’était qu’une attente de plus. Les murs
blancs, silencieux, des soupirs dont on exige qu’ils portent tout le
poids et se contiennent. L’ombre est lourde des fruits qui n’ont pas
mûri. Du cri ancré en moi, comme si tout devait encore être vécu.
Les terreurs laissées pour morte, les pensées niées arrachées à ce
que je vivais. Enfant, je ne pouvais les fuir, ni fuir en elles.
Lentement la nuit
Extrait 2
Assieds-toi. J’aime que tu sois là.
Il y a des fruits ouverts sur la table,
les arbres par moments sont de passage.
Nous n’avons plus l’un et l’autre
qu’à attendre, sans nous voir,
que le silence qui couvre tout
sorte de nos bouches,
fatigue la langue.
Ce sera notre façon d’être là,
un silence pour les choses,
quand tout l’espace crie
de ta chaise vide.
"Nulle part
ne commence
ni ne finit le silence."