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4/5 (sur 61 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Czereïa , le 28/05/1977
Mort(e) à : Fontainebleau , le 02/03/1939
Biographie :

Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz, dit O. V. de L. Milosz est un écrivain français d'origine lituanienne.

Il naît à Czereïa, en "Lituanie historique", aujourd’hui la Biélorussie, où les Lubicz-Milosz possèdent trente mille hectares de terres. Issu d'une très ancienne famille de la vieille aristocratie lituanienne, ce poète porte dans son cœur les images du vieux pays d'enfance, mélancolique et tourmenté.

Il arrive à Paris comme interne au Lycée Janson-de-Sailly. Il poursuivra ses études à l’École du Louvre (1889-1896) et l'École des Langues Orientales (1896-1899). Ses premiers poèmes paraissent dans le recueil du "Poème des Décadences" en 1899.

Désormais, il ne cessera plus d’écrire : poésie, roman, théâtre, traductions, essais politiques et métaphysiques.

Ruiné par la révolution russe de 1917, Milosz travaillera à la Légation de Lituanie. Il apprend le lituanien, transcrit les contes et daïnos (poésie ou chanson populaire des pays baltes), se passionne pour la culture de son pays et se dépense sans compter pour le faire connaître.

En 1919, Milosz devient le premier représentant à Paris de la Lituanie ayant retrouvé son indépendance. En 1921, il devient Chargé d'Affaires de Lituanie à Bruxelles jusqu'en 1925. Ses contributions lui valent en 1927 d'être fait membre de l'Académie Diplomatique Internationale. En 1931, il reçoit la Légion d’honneur et en mai de cette même année, il prend la nationalité française.

Certains chercheurs émettent l'hypothèse selon laquelle entre 1917 et 1921, Milosz aurait intégré la Société de la Fraternité des Veilleurs, une société secrète à caractère ésotérique. L'œuvre de Milosz est également traversé de maints symboles rosicruciens (en plus d'alchimique, kabbalistique et maçonnique).

Auteur de poèmes d'inspiration élégiaque et mystique ("Les Sept Solitudes", 1906 ; "Les Éléments", 1911 ; "La Confession de Lemuel", 1922), de drames ("Miguel Mañara", 1911-1912) et d'œuvres métaphysiques ("Ars magna", 1924 ; "Les Arcanes", 1926), il révèle au public occidental le folklore lituanien ("Contes et fabliaux de la vieille Lituanie", 1930).
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O. V. de MILOSZ – Le chant du feu nocturne (France Culture, 2002) Émission "Surpris par la nuit" diffusée, le 6 mars 2002, sur France Culture. Jean Pietri, accompagné des lectures réalisées par Emmanuel Lemire, s'entretenait avec Alexandra Charbonnier, Jean Bellemin-Noël, Jean-Baptiste Para, Laurent Terzieff, André Silvaire, Krzysztof Yezewski et Czeslaw Milosz.


Citations et extraits (146) Voir plus Ajouter une citation
Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz
La Lune à la Terre

Comme un pâle main se pose avec amour
Sur un beau front en proie à l’amère pensée
Permets que je caresse, ô ma sœur délaissée
Ton visage attristé par la fuite du jour.
Ce n'est point le soleil disparu que tu pleures :
Il brûle seulement d'un éclat emprunté ;
Tu soupires, ma sœur, vers les hautes demeures
De celui-là qui luit de sa propre clarté.
Comme toutes nos sœurs dans la nuit dispersées
Nous cherchons le sentier qui nous saurait enfin
Conduire à ce suprême objet de nos pensées ;
Car nous devons un jour nous fondre dans le sein
De celui qui saura des songes que nous fûmes
Refaire d'un seul mot une réalité
Et de nos corps longtemps dispersés dans les brumes
Rétablir à jamais la mystique unité.
Si, baigné dans tes eaux, le reflet de ma face
Plaît aux yeux des songeurs et des initiés
Quel chant d'amour s'élève au profond de ma face
Plaît aux yeux des songeraient des initiés
Quel chant d'amour s'élève du profond de l'espace
Lorsque tu m'apparais au-dessus des glaciers !
– Ne lève point vers moi ton beau regard d'eau tendre,
Car ne m'apercevant si pâle de sommeil
Tu t’imaginerais ne voir là que la cendre
De ce qui fut tantôt la flamme du soleil ;
L’inquiète pâleur de ma prime lumière
Te viendrait d’aussi loin que la faible chanson
Qu'on écoute à travers une porte de verre
Et qui ne passe pas le seuil de la maison.
L'instant n'est point venu. Sur tes blanches rivières
Et sur tes lacs aimant, berceaux des nymphéas
Laisse encore dormir tes brumeuses paupières ;
Ferme tes chastes fleurs ; car je ne voudrais pas
De tous ses yeux d'amour, avant l'heure, être vue ;
Non, je veux apparaître à l'horizon de Juin
Dans le rayonnement d'une gloire inconnue
Au miroir de tes mers, comme un regard humain !
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En attendant les clefs
— Il les cherche sans doute
Parmi les vêtements
De Thècle morte il y a trente ans —
Écoutez, Madame, écoutez le vieux, le sourd murmure
Nocturne de l'allée…
Si petite et si faible, deux fois enveloppée dans mon manteau
Je te porterai à travers les ronces et l’ortie des ruines jusqu’à la haute et noire porte
Du château.
C’est ainsi que l’aïeul, jadis, revint
De Vercelli avec la morte.
Quelle maison muette et méfiante et noire
Pour mon enfant !
Vous le savez déjà, Madame, c’est une triste histoire.
Ils dorment dispersés dans les pays lointains.
Depuis cent ans
Leur place les attend
Au cœur de la colline.
Avec moi leur race s'éteint.
Ô Dame de ces ruines !
Nous allons voir la belle chambre de l’enfance : là,
La profondeur surnaturelle du silence
Est la voix des portraits obscurs.
Ramassé sur ma couche, la nuit,
J’entendais comme au creux d'une armure,
Dans le bruit du dégel derrière le mur,
Battre leur cœur.
Pour mon enfant peureux quelle patrie sauvage !
La lanterne s'éteint, la lune s’est voilée,
L’effraie appelle ses filles dans le bocage.
En attendant les clefs
Dormez un peu, Madame. — Dors, mon pauvre enfant, dors
Tout pâle, la tête sur mon épaule.
Tu verras comme l’anxieuse forêt
Est belle dans ses insomnies de juin, parée
De fleurs, ô mon enfant, comme la fille préférée
De la reine folle.
Enveloppez-vous dans mon manteau de voyage :
La grande neige d’automne fond sur votre visage
Et vous avez sommeil.
(Dans le rayon de la lanterne elle tourne, tourne avec le vent
Comme dans mes songes d’enfant
La vieille, — vous savez, — la vieille.)
Non, Madame, je n’entends rien.
Il est fort âgé.
Sa tête est dérangée.
Je gage qu’il est allé boire.
Pour mon enfant craintive une maison si noire !
Tout au fond, tout au fond du pays lithuanien.
Non, Madame, je n’entends rien.
Maison noire, noire.
Serrures rouillées,
Sarment mort,
Portes verrouillées,
Volets clos,
Feuilles sur feuilles depuis cent ans dans les allées.
Tous les serviteurs sont morts.
Moi, j’ai perdu la mémoire.
Pour l’enfant confiant une maison si noire !
Je ne me souviens plus que de l’orangerie
Du trisaïeul et du théâtre :
Les petits du hibou y mangeaient dans ma main.
La lune regardait à travers le jasmin.
C'était jadis.
J’entends un pas au fond de l'allée,
Ombre. Voici Witold avec les clefs.
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Très certainement vous sortirez de ce monde de pierres altérées, l'épouse et toi, comme vous y êtes entrés ; dans la séparation.

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Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz
LE VENT
     
Je suis le vent joyeux, le rapide fantôme
Au visage de sable, au manteau de soleil.
Quelquefois je m’ennuie en mon lointain royaume ;
Alors je vais frôler du bout de mon orteil
Le maussade océan plongé dans le sommeil.
Le vieillard aussitôt se réveille et s’étire
Et maudit sourdement le moqueur éternel
L’insoucieux passant qui lui souffle son rire
Dans ses yeux obscurcis par les larmes de sel.
À me voir si pressé, l’on me croirait mortel :
Je déchaîne les flots et je plonge ma tête
Chaude encor de soleil dans le sombre élément
Et j’enlace en riant ma fille la tempête ;
Puis je fuis. L’eau soupire avec étonnement :
— C’était un rêve, hélas ! — Non, c’était moi, le Vent !
Ici le golfe invite et cependant je passe ;
Là-bas la grotte implore et je fuis son repos ;
Mais, poète ! comment ne pas aimer l’espace,
L’inlassable fuyard qu’on ne voit que de dos
Et qui fait écumer nos sauvages chevaux !
Il n’est rien ici-bas qui vaille qu’on s’arrête
Et c’est pourquoi je suis le vent dans les déserts
Et le vent dans ton cœur et le vent dans ta tête ;
Sens-tu comme je cours dans le bruit de tes vers
Emportant tes désirs et tes regrets amers ?
Les amours, les devoirs, les lois, les habitudes
Sont autant de geôliers ! Avec moi viens errer
À travers les Saanas des chastes solitudes !
Viens, suis-moi sur la mer, car je te veux montrer
Des ciels si beaux, si beaux qu’ils te feront pleurer
Et des morts apaisés sur la mer caressante
Et des îles d’amour dont le rivage pur
Est comme le sommeil d’un corps d’adolescente
Et des filles qui sont comme le maïs mûr
Et de mystiques tours qui chantent dans l’azur.
Tu n’interrompras point cette course farouche ;
Tu fuiras avec moi sans t’arrêter jamais ;
La vie est une fleur qui meurt dès qu’on la touche
Et ceux-là seuls, hélas, sont les vrais bien-aimés
Qui se fanent trop tôt sous nos regards charmés.
Ici j’éteins le ciel, plus loin je le rallume ;
Quand ce monde d’une heure a perdu son attrait
Je souffle : le réel s’envole avec la brume
Et voici qu’à tes yeux éblouis apparaît
L’arc-en-ciel frais éclos sur la jeune forêt !
— Un jour tu me crieras : « Je suis las de ce monde
Qui meurt et qui renaît ; je voudrais sur le sein
De quelque noble vierge apaisante et féconde
Endormir pour longtemps le stérile chagrin
De ce cœur enivré de tempête et de vin ! »
Alors je soufflerai, rieur, sur ton visage
Du pur soleil d’automne et sur l’esquif errant
Le frisson vaporeux des pourpres du naufrage ;
Et l’aube te verra dormir profondément
Sur le sein de la mer illuminé de vent !
     

« Les Éléments », 1911.
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Laissons-nous bercer par le sommeil, car tout est vide ;
Car les vins mixtionnés d’aromates ont coulé,
Et le Rêve, dans les encens somptueux, s’est agenouillé
Pour tous les Symboles et pour tous les Rites.

Nul vent n’aimerait l’eau de notre torpeur,
Nos yeux sans soleil, où les vieux désirs surnagent
Comme des noyés que la mer rejette avec horreur
Et qu’ensevelit lentement l’ennui des plages.

Hélas ! Tous les désirs sont morts ! Un semblant de douleur,
Un peu de lassitude, et c’est tout ce que j’ai !
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Tu te sens comme l'aveugle qui, traversant le pont, ne perçoit de la rivière que l'odeur et la respiration.

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LE ROCHER

Sur la montagne heureuse aux flancs puissants de mère
Qu'enveloppe d'amour et de sérénité
La robe de soleil de l'immortalité
Il est un beau rocher confiant, sans mystère,
Bête aimante assoupie aux pieds d'or de l'été.
Auréolé du vol des abeilles sauvages,
Dominant la vallée où rampent les chemins
Il vit loin des vieux jours, il vit loin des demains.
La muette amitié de ce sage des sages
M'enseigne le mépris des désespoirs humains.
À ses pieds je veux vivre avec ma solitude
Un rêve de tendresse et de fécondité ;
Rien n'égale en puissance, en douceur, en beauté
Le vieux sphinx sans sourire et sans inquiétude
Sculpté par l'amoureuse et chaste éternité.
[…].

(extrait de "Les Éléments") - p. 95
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CANTIQUE DU PRINTEMPS

…Maintenant, tu lèves la tête et de l’ombre des cils
Un rayon divisé
Me vient comme à travers la profondeur
De la feuillée :
Et c’est là un moyen de lire dans le cœur.
Que tu sois à ce point un songe que l’on touche...
— Écoute ! Écho a joint ses mains d’écorce sur sa bouche,
Il nous appelle. Et la forêt est vêtue de candeur.
Viens ! je veux te montrer à mes frères, mes sœurs,
Aux grenades du Sud, aux ceps de la montagne :
« Voici ma sœur, voici ma compagne,
Voici mon amour vêtu de couleurs.
Il m’a fait entrer au royaume de l’enfance :
Ma pauvre tête était au fond du fleuve obscur de la science :
Il est venu, il m’a ouvert la porte du tombeau ! »
Que le monde est beau, bien-aimée, que le monde est beau !
O sœur de ma pensée ! quel est donc ce mystère ?
Éclaire-moi, réveille-moi, car ce sont choses vues en songe.
Oh ! très certainement je dors.
Comme la vie est belle ! plus de mensonge, plus de remords
Et des fleurs se lèvent de terre
Qui sont comme le pardon des morts.
O mois d’amour, ô voyageur, ô jour de joie !
Sois notre hôte ; arrête-toi ;
Tu te reposeras sous notre toit.
Tes graves projets s’assoupiront au murmure ailé de l’allée.
Nous te nourrirons de pain, de miel et de lait.
Ne fuis pas.
Qu’as-tu à faire là-bas ?
N’es-tu pas bien ici ?
Nous te cacherons aux soucis.
Il y a une belle chambre secrète
Dans notre maison de repos ;
Là, les ombres vertes entrent par la fenêtre ouverte
Sur un jardin de charme, de solitude et d’eau.
Il écoute... il s’arrête...
Que le monde est beau, bien-aimée, que le monde est beau !

p.54-55
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LE SILENCE

[...]
Je connais des maisons pleines de douces voix ;
Mais l'accent le plus tendre aujourd'hui m'importune ;
Le songe somptueux et dolent de la lune
Me conduit par la main vers la paix des grands bois.
Pourtant je ne hais point les pauvres voix humaines ;
À l'appel déchirant de l'amour, de la peur,
Un triste écho répond dans la nuit de mon cœur
Et j'aime à m'enivrer de ses notes lointaines.
Non, doux silence, non je ne hais point les voix ;
Elles ne troublent point ma solitude amère ;
Ce que je porte en moi de mortel, d'éphémère,
Aime à se rapprocher des hommes quelquefois.
J'en connais qui sont grands ; j'en connais qui sont sages,
Qui vénèrent l'Amour et me l'ont enseigné ;
Mais je crains cette angoisse et cet air résigné
Qui rampent lâchement sur les plus beaux visages.
Ô silence, ami sur qui ce soir sur le monde
Répands le baume d'or de ta tranquillité
Endors-toi doucement dans son cœur agité
Ainsi qu'un jeune roi dans la pourpre profonde.
Pose ta froide main sur son sein déchiré
Par l'amère pitié, la trompeuse espérance ;
Laisse couler sur lui ta lumière qui pense,
Ton chaste clair de lune étrange, énamouré.
Sois doux à ce dormeur ! Et la tâche accomplie
Viens me rejoindre au loin sur les monts vaporeux :
Nous nous prendrons les mains et sous les cieux heureux
Nous nous regarderons avec mélancolie.

(extrait de "Les Éléments") - Pp.105-106
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UN CHANT D’ADIEUX DEVANT LA MER


Le soir où j’ai connu le son de votre voix
Hermia ! — il pleuvait pour les tristes, — il faisait si froid pour les pauvres...
Nous étions des passants perdus dans les brumes jaunes
D’une ville oubliée, cimetière sans croix.

Les regrets du jour, les espoirs du lendemain
Mouraient en paroles étrangères sur nos lèvres ;
Nous pensions : quel sera son visage dans le matin ?
Des voix mortes chantaient dans les tavernes.

Et nous voici devant la mer, devant la mer qui ne peut pas
Mourir. — Votre amour est une ombre sur un chemin de hasard,
Dans le paysage décoloré du souvenir
Quelqu’un s’arrête et dit : c’était il y a trente ans...

Votre forme est le dernier songe d’un malade
Que je ne connais pas et dont je ne verrai
Jamais la tombe. Je sais seulement qu’une pluie froide
D’extrême novembre enlinceule une contrée

De chagrin : une veilleuse hésite et s’éteint
Dans la plus pauvre chambre d’une maison maussade
Et vous vivez là, dans le dernier rêve d’un malade,
Quelque part, quelque part très loin, où ne conduit nul chemin...

Votre voix d’hiver, brumeuse lointaine et lente,
Agonise au déclin apaisé de mon cœur
Comme un chant perdu de pêcheurs
Au large de la mer dolente.

Votre présence est la lumière trouble que voient
Les yeux fermés de ceux qui pleurent leur enfance
Les voyages très anciens, les haltes
Dans un grand silence.

Votre fantôme est la ville nocturne où rien ne me retient,
La ville anonyme où l’heure d’auberge fut très lente
Et que je quitte pourtant avec des larmes
Et des regards d’adieux sans espoir vers les lampes.

Vos yeux sont les fenêtres nues et sans pensées
Des faubourgs froids où n’aboutit que le hasard,
Des faubourgs trop larges qu’on ne peut traverser
Sans murmurer le nom d’un absent ou d’un mort.

Et nous voici devant la mer avec nos âmes d’accalmie.
Je fus une heure sans voix aux cadrans de vos rêves,
Un jour de solitude, une nuit d’insomnie,
Mensonge de désir qui tâtonne et s’achève.

Vous fûtes la chanson d’un extrême autrefois,
Entendue au pays de toutes les enfances,
Un air navré, sommeil du cœur, pensée du silence,
Une plainte de flûtes sourdes et jaunies au profond des bois.

— Au clair d’une lune froide et voilée comme la face
De la pitié, quand la pitié songe à sa propre douleur,
J’ai vu l’amour passer avec les songes qui passent
Près des bosquets bleus de la maison du bonheur ;

Dans le chemin des saules pleureurs je l’ai vu passer.
Sa tendresse est l’heure où les sourires du retour
De vesper se rencontrent avec le dernier regard du jour
Dans le sommeil aux yeux ouverts de la rosée.

Son visage, dans la lumière de la mort,
Est fait de sons de luth qui se sont arrêtés,
En matière de songe et forme de beauté ;
La brise en ses cheveux agonise d’accords.

Ses parfums font songer aux jardins envahis
Par les fleurs de sommeil, d’ombre et de souvenir,
Aux vieux soleils d’octobre en d’étranges pays
Dont le nom est une chanson qui fait dormir.

Sa forme est la clarté des lointaines averses
Du soir ; ses grands bijoux voilés ont la couleur
De la pluie assoupie au cœur des fleurs que berce
Le premier vent d’automne en robe de malheur.

Ses yeux d’ange malade épris de sa souffrance
Sont des lacs lourds où meurt la tendresse infinie
D’un soir qu’ensevelit déjà tout le silence
Mais qui frissonne encor d’un déclin d’harmonies.

Sa chevelure est tiède ainsi que la poussière
Des noctuelles d’or dans la lune moirée
Et le battement large et lent de ses paupières
Est un essaim dormant de mirtils des forêts.

Je le trouvai plus loin endormi sur les sables
Mollement caressés de lunaires tiédeurs ;
Le charme ténébreux de l’indéfinissable
Me chuchota son nom dans les reflux pleureurs.

Je le couvris d’un chaud manteau de somnolence
Brodé de vieux étés fastueux et ternis,
Frangé de soleils morts aux traînes de silence
Et déployant des ciels tachés d’oiseaux jaunis.

Il me fut douloureux mais douloureux à peine
Comme un adieu d’enfant vers de candides mers ;
Des somnifères fleurs qui brûlaient son haleine
L’encens voilait ses yeux aux languides éthers.

Ses perles chatoyaient d’orients ineffables
Rêvés par les vieillards, créés par les enfants,
Et dans le demi-jour du bleu berceau des fables
Il sourit à mon cœur orphelin du vieux temps.

À l’heure où la mort blanche et profonde se couche
Sur les fleurs et les eaux, mon tendre ennui d’été
Se penchant vers ses yeux, étoiles du Léthé,
Goûta du sommeil pourpre aux pavots de sa bouche.

Et je lui dis là-bas, sous les saules bruissants :
J’ai peur de tes chansons qui s’achèvent en thrènes ;
Je sens souffrir ma vie au profond de tes veines,
Ton mirage sommeille au secret de mon sang.

Dans tes chers yeux, Saanas de langueur des musiques,
Gardiens enchantés du trésor ébloui
De la lune captive au sein des mers persiques
J’ai vu brûler l’amour de la nuit pour la nuit.

— Il sourit à son sourire dans le puits, cueillit la fadeur
D’une rose sans âme aux pétales de corail.
Une perle de sang fut son présent de fiançailles.
Je l’ai vu passer avec la lumière des fleurs.

Viendra-t-il reprocher à mon indifférence,
Automne et calme plat sur des mers sans trésors,
Ce vide et cet éclat d’hiver et de silence
Qu’ont les miroirs tendus vers les lèvres des morts ?

Tout cela est si vieux. Tout cela est d’hier,
Une morne quiétude de fin de maladie
Endort mon souvenir, stérile azur d’hiver
Où votre pâleur est une lune de midi.

Vous ne fûtes qu’un son de cloche pauvre et doux
Au clocher de toujours où l’oubli est le sonneur.
La maison du bonheur est plus vieille d’une heure
C’est tout ce que peuvent dire les sages et les fous.

L’esclavage de l’âme est long mais le règne du rêve est court.
Avec les battements insensés de mon cœur
J’ai cloué votre image à la croix de l’amour.
Voudriez-vous ressusciter dans la douleur ?

Nous n’avons plus rien, pas même le droit de nous plaindre : le mois
Des remembrances n’a-t-il pas été juillet ?
Ses jours n’ont-ils pas lui, pour vous comme pour moi,
Dans les crêpes de sa tristesse ensoleillée ?

N’a-t-il pas fait pleurer, pour bercer nos angoisses,
Le départ éternel de ses fleuves nacrés,
Et dans les sentiers bleus où nos traces s’effacent,
N’a-t-il pas répondu dans l’écho des forêts ?

Hélas, là-bas, là-bas, où dans l’opaque soleil de rêve
Les rouges lambeaux des jardins désenchantés
Jonchent les estuaires du vent, comme autrefois mes lèvres
S’effeuillaient sur l’eau sans frisson de votre clarté,

Là-bas, là-bas où la fuite immobile des oiseaux d’été
Hésite en une courbe molle avant de s’effacer
Pour toujours ; là-bas loin où la réalité
N’est que le plus proche des mille déserts du passé.

Là-bas si loin où les tulles pourprés du jour
Dans un signal d’adieu nonchalamment ondulent,
Aventurier des mers d’éternel crépuscule,
Oublieux des départs, oublieux des retours,

Rouge terriblement dans la mort du soleil,
Toutes voiles dehors dans l’insensé silence,
Le vaisseau vermoulu de l’ennui se balance
Avec ses exilés malades de sommeil.

Il ne descendra plus dans les brises qui tentent
Les oiseaux chatoyants du Sud vers la splendeur
Des tropiques de rêve aux vagues éclatantes,
Des rives où la mer expire sur les fleurs.

Il n’ira plus, berceau d’heureuses insomnies,
Troubler le calme-plat jonché d’astres défunts,
De l’heure où les échos meurent en symphonies,
Dans les jardins fanés d’un lointain de soupirs.

Il n’ira plus dormir aux ports de quiétude
Le sépulcre flottant de mes anciens espoirs,
Épouvantail des lourds oiseaux de solitude ;
Les phares inconnus le hèlent dans le soir ;

Ses lanternes parmi la mer sont la douleur
Des yeux béants éclos dans les miroirs des folles ;
Les régions de la mort dérangent ses boussoles ;
Blancs symboles de paix ou signes de malheur

Rouges comme le deuil des jours ses longs drapeaux
Bruissants de sel dorment oubliés dans la cale.
Navire d’autrefois, jouet des mers fatales
Si loin de moi, si loin des plages du repos !

Le voyez-vous qui monte entre les deux mirages
D’ une lune de cendre et d’un soleil figé
Dans le vent mordoré des automnes sauvages
Le vaisseau que mon âme a peuplé d’étrangers ?

Donnez-moi vos yeux, fantômes des étoiles de mon rêve
Pour la dernière fois, aux sons des cloches du départ,
Et vos cheveux de flamme triste, dans le vent de la mer,
Et vite, et vite, car il est tard.

Nous voici sans espoir devant la mer éteinte.
Pour la dernière fois dans la brume du port
Prononcez lentement, sans colère et sans feinte,
Un mot quelconque où chante un peu de doux remords.

Je voudrais voir en vous la morte que vous serez,
Si frêle dans la pitié de la grande nuit pâle,
Avec le mouvement des lumières sépulcrales
Sur votre froid visage ancien aux yeux fermés ;

Je voudrais être un chœur de musiques très vieilles,
Un fantôme de chant dans votre berceau d’oubliée,
La voix de la mer qui console ses noyés
Dans les grands lits de plantes froides, loin du soleil.

Je voudrais vous enlinceuler de passion, m’acharner
Sur votre léthargie, imposer à vos fières
Attitudes le geste adorant des prières,
Vous posséder dans l’infini, vous façonner

Dans l’abandon d’un grand sommeil, comme une terre
Docile et chaude sous les doigts des inspirés,
Sarcler dans un baiser de sang votre colère,
Être à vous comme le soupir est au regret ;

Ne voir de vous, pour un instant, que votre forme ;
Oublier vos regards, votre souffle, le bruit
De votre cœur et de vos veines qui s’endorment,
Pouvoir dire : c’était le monde, et je l’ai détruit...

Oh, ce n’est rien, — c’est le signal du départ, dans la nuit...
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