Dans cette région habitaient des gens merveilleux, comme le clochard Bambas.Il ne travaillait pas du printemps jusqu'à l'hiver, il allait à la pêche près du Rocher du Diable.
Il se préparait cinq morceaux de sucre par jour dans un sachet en toile. C'était tout ce qui lui restait de l'hiver, époque où il trouvait un peu de travail.Sa vie me fascinait et même par la suite, quand d'autres garçons rêvaient d'être écrivains ou aviateurs, moi je voulais être Bambas.Il dormait dans une cabine à moitié effondrée avec pour couverture une peau de chevreuil mitée. C'était un pêcheur fantastique qui attrapait les poissons de toutes les manières autorisées et surtout interdites. Maman n'aimait pas me voir avec Bambas, elle avait peur qu'il déteigne sur moi. Malheureusement , ce n'est pas arrivé. p.74
Notre maman n'ignorait rien de l'amour secret de papa pour Mme Irma, mais cela ne la troublait pas outre mesure. Elle estimait que les chances de papa étaient aussi minces que s'il avait voulu gravir le mont Everest. Il était chargé de famille (trois garçons), ne possédait ni chevaux ni belle américaine et ne s'y connaissait qu'en foot, boxe et en poissons, ce qui ne risquait pas d'éblouir Mme Irma. Sans compter que le passé de papa était de notoriété publique. Avant d'entrer dans la célèbre maison Electrolux, il avait vendu des extincteurs de fabrication nationale Toutankharmon. On savait que plus d'une fabrique avait brûlé après l'intervention de ces extincteurs.
La rivière coule à présent tout au fond de la vallée.Le soleil parti, elle est pleine de larmes. p. 146
"Savoir se réjouir.Se réjouir de tout.Ne pas attendre que l'avenir nous apporte quelque chose d'essentiel, De vrai.Car il est fort probable que l'essentiel se produit à l'instant présent et que l'avenir ne nous apportera rien de plus beau."
Et retour jusqu'à luh. Le moulin endormi éclairait. Les chouettes et les hiboux proclamaient que cette nuit appartient aux oiseaux et aux animaux. La rivière brillait, la lune s'y lavait la face, l'herbe me claquait les mollets. Et c'est là que je pris conscience à quel point c'était beau d'être seul avec la nuit. Et le souvenir m'en est resté à jamais.
Cent fois j'ai voulu me tuer quand je n'en pouvais plus, mais je ne l'ai jamais fait. Dans mon subconscient, je voulais peut-être embrasser une fois encore la rivière sur la bouche et pêcher les poissons d'argent. La pêche m'avait appris la patience et les souvenirs m'aidaient à survivre.
Ce ruisseau est beau comme un collier de perles ou une tiare de diamants. Il gargouille et court sans se presser en descendant une petite colline, par des forêts de sapins et des prairies multicolores où volent des abeilles rondelettes et des sauterelles dodues. Son eau est celle d'une source cristalline et aux endroits où elle est basse, on voit les galets du fond, un sable blanc pur, les rochers et les racines des arbres. Des aulnes et des saules se penchent au-dessus des trous profonds. Et là, dans ces trous d'eau, au milieu des pierres et des racines, il y a les truites.

L'oncle est mort après la guerre, peu de temps après Holan et il n'a plus eu le temps de rien faire. Quand je suis venu à son enterrement, l'orphéon jouait sur la berge une chanson parlant d'un passeur fidèle, et on l'a mis dans un grand cercueil noir sur la plus ancienne de ses barques, celle sur laquelle il avait emmené des dizaines de compagnons morts vers la rive de Nezabudice. J'avais déjà l'âge de raison et je me suis mis à pleurer comme jamais auparavant. Il était là, étendu dans son cercueil, avec sa moustache, blanc comme la camarde en personne. On l'emmena de l'autre côté de la rivière qui coulait sous la barque comme elle coule depuis des millions d'années et j'étais inconsolable. J'avais atteint un âge où je comprenais que je n'enterrais pas seulement l'oncle Prosek, mais toute mon enfance et ce qui allait avec. Ce cercueil emportait mon véritable ballon de foot anglais, le babeurre frais, les poissons et le chevreuil marinés, le chien Holan, les saucisses de Prague et le disque de gramophone Mille lieues.
Près de la rivière, j'ôte mes habits et je nage pour me purifier, comme les pécheurs dans ce fleuve indien, le Gange. Je ne pense plus à rien. Parce que la rivière, ce n'est pas un ruisseau. La rivière, c'est le puits profond de l'oubli.
Savoir se réjouir. Se réjouir de tout. Ne pas attendre que l’avenir nous apporte quelque chose d’essentiel, de vrai. Car il est fort probable que l’essentiel se produit à l’instant présent et que l’avenir ne nous apportera rien de plus beau.
Citation figurant sur un des murs de la maison-musée consacrée à Ota Pavel en Tchéquie.