Avant, je me sentais vraiment concernée par ce qui se passait dans le monde. Par les sans-abri malades du sida du centre où je faisais du bénévolat, rejetés par leurs familles comme de la vermine. La culpabilité l’a emporté sur l’empathie au moment où j’ai commencé à regarder ma montre. Alors que des êtres à l’agonie me racontaient leur existence volée, je décrochais et comptais les minutes qui me séparaient de la bouteille de chardonnay bien fraîche que j’allais déboucher à la maison.
Maman ne prêtait pas attention à la couleur de peau. Elle ne cessait de répéter que les Noirs de la ville l’adoraient. Elle le disait même un peu trop.
Vivre à Elizabeth ne posait aucun problème à Maman, mais pour Paul et moi, c’était une autre histoire. Nous vivions à Washington, où l’appartenance ethnique comptait par-dessus tout, surtout avec la carrière politique de Paul.
Après une nuit de soûlerie, les quelques précieuses secondes qui suivent le réveil vous plongent dans la sérénité. Un réconfort éphémère distillé au compte-gouttes par l’univers pour vous faire toucher du bout du doigt le bien-être que vous pourriez ressentir si vous aviez plus de jugeote.
Malgré sa gêne et les dix ans passés, elle était exactement comme dans mon souvenir : un visage en lame de couteau, comme un oiseau de proie, marqué de pommettes saillantes. Pas étonnant qu’elle ait choisi de faire carrière dans la police. C’était une dure à cuire, comme sa tante.
Il tourne la poignée de cuivre et ouvre la porte.Un grincement comme un bateau qui coule, suivi d'une vague d'air glacé. Humide et imprégné de moisi. Je secouai la tête pour me débarrasser de ce terrible souvenir. Mais sous mes pieds, le sol ne cessait de tanguer.
Elle n’était pas méchante, loin de là, mais il était clairement établi que le statut de son père et l’argent de sa famille la plaçaient directement tout en haut de l’échelle, contrairement à moi, qui me trouvais dans la situation inverse.
Quand je pense à lui, à qui il est vraiment, ça me déchire les entrailles. Il me ronge comme un rat attaquerait le béton à coups de dents. Oui, les rats sont capables de mordre dans le béton. S’ils sont assez affamés. Assez désespérés.
Ce soir, j’allais me soûler pour me venger de ses propos blessants. C’était un peu tordu, comme idée. Tout comme mon sens des priorités. Mais je n’écoutais plus la petite voix qui me le faisait remarquer.
Éblouie, étourdie de vertige sur la piste de danse, je fermai les yeux et lui rendis son baiser. Un baiser langoureux, qui me ramenait à une époque de ma vie que j’avais tout fait pour oublier.
Tout aussi curieux: je ne me rendais compte qu’aujourd’hui, en la voyant pleurer, de cette absence de larmes qui avait duré toute une vie. Absence de larmes... ou larmes cachées, peut-être.