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Citations de Pablo Casacuberta (47)


A trente ans et quelques, sous cette lumière et cet angle, mon père n'était qu'une joyeuse et robuste version de ma personne. Il avait, pensai-je, le visage que j'aurais eu si je n'avais pas été piétiné, écarté et détruit, justement par lui-même. Sans lui, j'aurais peut-être une expression similaire à la sienne, un sourire épanoui, publicitaire, et la même lueur de sapin de Noël dans le regard. L'instant d'après, je corrigeai. Sans ton père, tu n'aurais aucune expression, ni triste ni heureuse, car tu ne serais même pas venu au monde. Je devais au moins au professeur cette contingence, et lui nier quelque mérite sur ce plan était décidément mesquin. p 105
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Quel courage y-a-t-il à se lancer dans la bataille amoureuse s'il n'y a pas un peu d'incertitude ? Pensez à l'ennui épouvantable que serait l'effeuillement d'une marguerite si tous les pétales qu'on arrache signifiaient invariablement "elle m'aime" !
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Quand elle haussa épaule et bras, sa robe mouillée souligna les volumes de sa poitrine. C'était une robe d'été couleur crème, qui lui mouillait la taille, les hanches et le buste, et qui n'était vraiment pas conçue pour être portée mouillée, car le tissu paraissait maintenant collé à son corps, comme fraîchement peint sur la peau. Il me sembla que c'était une robe très moulante pour une femme mariée qui sort seule le soir, et je me demandai un instant si cette rivière alcoolisée que son haleine et sa conduite trahissaient avait été ingérée seule ou accompagnée, et par qui.
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Je me demandai si je ne devais pas remettre mon pantalon en attendant, mais je me rappelai aussitôt ce qui arrivait dans les camps de vacances à ceux qui se montraient, comme moi parfois, trop jaloux de leur intimité : ils étaient frappés d'ostracisme.
Il me revint en mémoire une expérience vécue dans le vestiaire des hommes d'un club où ma classe avait été invitée pour faire une heure de natation. La séance terminée, j'étais allé aux douches, comme les autres, où j'avais commis l'erreur monumentale de me mettre sous la douche en maillot de bain, sans savoir que ce que fait la horde dans cet endroit, c'est se mesurer, établir qui est le chef de troupeau et, par conséquent, désigner ceux qui doivent se soumettre. De sorte que se doucher en maillot de bain constituait, outre une absurdité pratique, un grave manque d'esprit grégaire, indiquant, comme je le compris plus tard, une totale indifférence aux échelons hiérarchiques.
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Comment j'allais ? Mais comment diable pouvais-je le savoir, alors qu'il y avait au moins six ans que je ne tendais pas mon oreille interne, ne serait-ce que pour ausculter au moins un peu ce murmure ténu, à peine audible, qui se charge de nous dire "ça oui, ça non, cela si je le souhaite, mais pas ça, cet acte trouve un écho en moi, mais pas cet autre", et qui garantit, quand on le perçoit, qu'on ne trahit pas l'enfant qu'on a été, qu'on n'oublie pas complètement ce stade primordial où on ne faisait qu'un avec soi, où on mangeait la terre des pots de fleurs, parlait d'égal à égal avec les chiens, aimait notre mère comme la seule femme concevable et où on s'endormait sans culpabilité.
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Je l'imaginai ruminant en silence ses angoisses,obligé par la stature de son personnage d'offrir une image d'assurance et de résolution qui ne correspondait pas à ses misères intérieures.
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Je décidai finalement d'aller dans la chambre inoccupée, de m'allonger sur le lit et de réfléchir à mon père, à mes perspectives d'avenir, au sort de ma mère et du nain, à l'idée de me raser régulièrement, à l'inévitable et progressive invasion de mon espace intime par les femmes, à la peur de rester petit avec des jambes arquées, à l'importance du calcium en l’occurrence, à l'équilibre acido-basique, au bizarre filigrane de la chaîne carbonée, à la cohésion interne des atomes, et avant que cette ampoule de plus en plus petite m'emmène dans les particules subatomiques, la conscience m'abandonna, ou plutôt se retira dans une pièce interdite pour moi, le Maximo Seigner qui se parlait à lui-même à l'état de veille.
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Ce froncement de sourcils, si aigu et si féminin, qui accompagnait son interrogation, me permit de constater une fois de plus que c'était une jolie fille. Mais tout de suite je pensai que cette expression "jolie fille", aurait plutôt été celle du professeur. Je rencontrais souvent dans mon discours intérieur des vestiges de sa personnalité, des traces que je tentais d'acculer dans un coin et de cribler de balles comme s'il s'agissait de rats de terrain vague, car chacune de ces découvertes ranimait en moi l'ancestrale indignation que son influence m'inspirait.
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Parmi les nombreuses affaires que papa n'avait pas emportées dans sa fuite, il y avait un vieux blaireau au manche en bois, frappé d'un croisement d'initiales gravées au poinçon : LS, pour Leopoldo Seigner, un prénom qui partageait avec le mien cette sonorité d'antiquaille oubliée dans un marché aux puces.

Je le pris dans la main droite et passai les poils sur la paume de ma main gauche. Bien que n'ayant jamais tenté la manœuvre, il m'était arrivé plus d'une fois de m'asseoir près de papa pour le regarder verser de l'eau savonneuse dans un bol et la battre comme s'il s'agissait d'un œuf, jusqu'à obtenir une espèce de meringue dont il s'enduisait du cou jusqu'aux pommettes. Voir la lame du rasoir monter et descendre lentement sur son visage était comme assister au rituel d'une sorte d'art martial, et tout en observant ces gestes je m'étais promis, bien qu'appartenant à la génération des rasoirs jetables et de la mousse en bombe, d'essayer un jour cette méthode ancestrale, quelles qu'en soient les conséquences.
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— Allô !
— Máximo ? demanda une voix. Il me fallut deux secondes pour la reconnaître.
— Lui-même, répondis-je en copiant une expression de mon père, qui me plaisait pour son côté majestueux, parler de soi à la troisième personne.
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Car ce qu'en réalité je désirais, quoique sans le moindre espoir, était cette sorte de contact, de communion, que je venais de recevoir avec ce baiser, même si ce n'était qu'une bénédiction inattendue et éphémère ! Pour de tels instants, si brefs soient-ils, cela valait la peine de traverser des déserts, des chemins de ronces, et d'affronter l'adversité des choses. Tout le reste, cet interminable mirage auquel j'offrais depuis des années des sacrifices en tout genre, n'était rien, un murmure sans véritable voix ni objet.
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Ce sourire mélancolique chez une femme, pensai-je, attire les hommes comme une chimère. Cette pauvre imitation du bonheur fait naître chez celui qui en est le témoin le dessein, presque toujours infructueux, de rendre un jour celle qui sourit ainsi réellement heureuse.
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Il aurait mieux fait de tenter sa chance avec des phrases que l'on attend du plus banal des maris,comme "tu es adorable",ou encore"ta salade est délicieuse",et même de façon plus impersonnelle,"il fait très beau aujourd'hui".Combien plus stimulante eût été pour ma mère l'une ou l'autre de ces niaiseries au lieu de la critique obstinée de "La vie des douze césars"de Suéton,débitée la bouche pleine entre de copieuses gorgées de vin,et qui ne valait au professeur qu'un regard gêné et un sourire forcé de son public accablé.
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Je cessai un moment de réfléchir à ce qui serait passé si mon pére s'était arrêté à temps,s'il avait renoncé à la tutelle de fer qu'il avait exercé sur moi et avait songé à partager une fois avec moi,pour prendre un exemple,un après-midi comme celui-ci,allongés dans l'herbe à parler de la vie ,comme le font les pères et les fils..........Vu l'éventail trés varié des paternités,dans lequel la contemplation du paysage se présentait comme une circonstance assez rare,je compris que ne pas nous être donné l'occasion de contempler les pâquerettes d'un champ dans un êtat de méditative harmonie était toute somme une peccadille.Nous étions juste coupables de ne pas savoir vivre,à peu près comme tout le monde.p.121
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J'ouvris au hasard Les Souffrances du jeune Werther et laissai l'odeur balsamique du papier jaunâtre monter vers mes narines, les imprégnant d'une exhalaison archaïque, lointaine, comme s'il s'agissait d'une espèce de lettre fanée que l'on doit lire avec le nez. En respirant ce mélange de papier, de colle, de vieux fils et de cuir, je découvris que cette odeur était justement celle que j'escomptais trouver dans un hôtel appelé Samarcanda, une combinaison élégante, surannée, chargée de résonances anciennes.
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Je regardai quelques instants la page ainsi terminée, tandis que me venait aux lèvres, je ne sais pourquoi la mélodie de Cielito lindo. Puis je me levai de manière un peu mécanique, allai devant l'étagère où les volumes du Trésor de la jeunesse alignaient leurs lettres dorées, les caressai lentement de l'index et pris celui qui affichait Renoir-Syracuse. Pendant que je parcourais le volume sans que mes pensées ne perturbent le mouvement de mes doigts, j'observai les pages se succéder jusqu'à laisser enfin sous mes yeux l'image de deux chameaux attachés à l'abreuvoir d'un caravansérail sous le ciel vaste et dégagé du désert. Au-dessous, la légende paraissait écrite pour moi : Samarcanda.
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La matinée était grise et froide, mais je me sentais serein et je marchais d'un pas ferme. Ah, comme c'était bon d'être vivant, de sentir la pluie dégouliner sur mon visage et le gravier crisser sous mes pieds. Il y avait un monde là dehors, qui attendait que l'on prenne contact avec sa somptueuse trame. Je n'avais plus qu'à me détacher de la noria, faire un pas de côté et reconnaître combien mes efforts avaient été futiles jusqu'à ce jour.
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Je descendis d'une centaine de pas une petite butte et trouvai enfin la rivière.
Elle ne faisait que quelques mètres de large, mais paraissait cacher une profondeur irrégulière, à certains endroits considérable car l'eau formait des tourbillons et coulait agitée et discontinue. Sur les deux berges, le feuillage et les racines de palétuviers entraient dans la rivière pour la traverser, donnant à la rive une allure sauvage qui contrastait avec l'aspect aride du chemin d'accès à la propriété. J'étais intrigué que Manzini ne m'ait pas recommandé plus chaudement la promenade vers cette rivière. L'endroit était pourtant idyllique, propice à la réflexion et à la méditation. Le murmure de l'eau, la présence du martin-pêcheur — dont je pus enfin repérer la silhouette sur une branche basse — et le bourdonnement de deux libellules qui se poursuivaient dans les broussailles rendaient ces parages incomparables, peuplés de troncs tordus, de feuillages et de plantes qui grimpaient sur les escarpements. C'était saturé d'odeurs, vibrant de vie. Je m'efforçai de ne pas perdre de vue l'oiseau qui sautait de branche en branche comme si les lieux lui appartenaient et que je devais lui demander la permission de l'observer. Si j'avais connu sa langue, je n'aurais pas hésité à le faire.
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Nous étions juste coupables de ne pas savoir vivre, à peu près comme tout le monde.
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J’ai toujours parlé comme ça, en moi-même. Seulement en moi-même. On ne se plante pas au milieu d’une cour d’école pour expliquer en hurlant la chimie des émotions ou l’empreinte de la mère sur les poussins qui viennent de briser leur coquille. On est trop occupé à se protéger des coups, à ne pas paraître ridicule, à passer inaperçu. On parle alors tout bêtement de ce qui intéresse les autres. C’est peut-être la première conversation que j’aie comme ça, avec ma voix intérieure.
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