Pantelis Prevelakis

— Vous verrez, dit-il, seuls survivront ceux qui vendent ou achètent. C'est la loi de la guerre. Ceux qui ont pour métier de sauver les âmes vont souffrir et mourir. La guerre n'a aucun besoin d'eux. Que peut faire le guerrier d'un pope ou d'un instituteur pour son jeu de massacre ? « C'est le temps d'agir! » crie-t-il, ivre de sang. Le respect, la pitié, le droit des faibles ne sont qu'obstacles pour le guerrier. Il fait comme le fauve que le saint se mêlerait de sermonner. Si le fauve avait une langue, il répondrait : « Mon droit, c'est ma faim! » L'histoire de l'homme commence à l'instant où le fort demande : « Qu'est-ce que le droit ? Qu'est-ce que le devoir ? » et les place au-dessus de sa propre faim. Mais on a oublié l'histoire de l'homme...

-Aimes-tu les les arbres, Georgakis? demanda-t-elle?. Lequel préfères-tu?
- C'est l'olivier que je préfère.
- Moi aussi, c'est l'olivier... Quand je mourrai, plante un olivier sur ma tombe, pour qu'il me boive de ses racines. Et avec l'huile qu'il produira chaque année, allume-moi une veilleuse...

Ici, ce n'est pas seulement le pays réel, celui qui s'offre à nos yeux, qui cause un tel émoi en notre âme. Une autre Crète, derrière la première, qu'on pourrait appeler la Crète invisible, resplendit de grandeur et de beauté. Cette Crète-là, je suis incapable de la décrire, mais si votre bateau, un soir d'été, jette l'ancre au large de Réthymno, à l'heure où la mer embaume comme une pastèque, où les femmes s'enduisent les cheveux d'huile de jasmin et vont se promener sur la jetée, accoudez-vous alors au bastingage et admirez de loin la cité fabuleuse, dardant sur vous ses milliers d'yeux, reflétant dans ses eaux les lumières de votre bateau... Et si, d'aventure, vous êtes encore devant elle à l'aube, contemplez-la, baignant dans la lumière dorée du soleil et jouissez de ce spectacle inoubliable.

Des femmes tournaient et retournaient autour de nous comme les ailes d'un moulin. Elles aussi avaient perdu leurs maris, elles savaient ce qu'était le veuvage! Ma mère ne parlait pas. Elle avait oublié où elle se trouvait. On la sentait aspirée dans un gouffre où ne parvenait plus le tumulte du monde. Elle fermait les yeux par moments et son visage devenait plus blême encore. On eût dit un plongeur prenant une lourde pierre dans ses bras pour arriver plus vite au fond.