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Critiques de Pascal Mercier (97)
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Train de nuit pour Lisbonne

Quelle mouche a donc piqué Raimund Gregorius, ce solitaire de cinquante-sept ans, pour abandonner sur un coup de tête sa petite vie tranquille, aussi bien réglée que les montres de son pays ?



La juxtaposition de deux événements anodins à quelques heures d’intervalle a déclenché chez lui un besoin immédiat de fuir sa vie banale de professeur de langues anciennes : sa rencontre fortuite avec une jeune femme portugaise un matin pluvieux sur un pont de Berne et la découverte l’après-midi d’un livre d’Amadeu de Prado dont les mots semblent écrits pour lui.



Le voyage via Paris, décidé dans la précipitation, se termine vingt-six heures plus tard à la gare Santa Apolónia non loin de l’embouchure du Tage. Le temps de s’habituer à la luminosité de Lisbonne, voici notre Gregorius sur le chemin de l’hôtel avec dans son sac de voyage une grammaire portugaise et le livre d’Amadeu de Prado, « Un orfèvre des mots ».



Lier contact dans la capitale portugaise se fait naturellement pour ce polyglotte qui apprécie la cordialité des lisboètes. Il apprend le lendemain que l’homme dont les écrits l’interpellent jour et nuit, est mort trente et un ans auparavant d’une rupture d’anévrisme et en déduit logiquement que ses cahiers ont été publiés deux ans après son décès par sa sœur aînée qui vénère sa mémoire.

Au travers des gens qui l’ont connu, Gregorius découvre peu à peu la personnalité hors du commun de feu Amadeu de Prado.

Médecin dévoué, combattant de l’ombre sous le régime dictatorial de Salazar, amoureux des mots, pourfendeur de la vulgarité du monde, impitoyablement honnête envers lui-même, le parcours de vie de ce portugais humaniste n’a pourtant pas toujours été apprécié par son entourage, ni même compris parfois par son meilleur ami.



« Train de nuit pour Lisbonne » est un roman d’une grande profondeur philosophique. Les écrits du médecin disparu amènent plusieurs fois le lecteur à s’interroger avec Gregorius sur l’insondable mystère de l’âme, sur la part de solitude inhérente à la nature humaine, sur les illusions que l’on se crée, sur les désillusions qui ouvrent les yeux, sur la capacité de l’homme à entendre la vérité sur lui-même…



L’empathie qu’éprouve d’emblée le lecteur pour Gregorius, professeur quelque peu déboussolé, ne faiblit pas au fil des chapitres. Avec patience et ténacité il essaie de s’approprier la pensée d’Amadeu de Prado comme si le salut de son âme en dépendait.



Pascal Mercier aime Lisbonne et cela se sent dans la manière qu’il a de conduire son personnage à travers les différents lieux de la ville aux sept collines.

J’ai pleinement apprécié les descriptions urbaines de l’écrivain germanophone pour avoir maintes fois ces dernières années arpenté ces rues, ces places, ces quartiers pittoresques…



Paru en 2004, « Train de nuit pour Lisbonne » m’a donné cette semaine le double plaisir d’une relecture passionnante et d’une agréable évasion en territoire connu, loin de la grisaille automnale.

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Train de nuit pour Lisbonne

Arrêtez tout !

Prenez le chemin de la gare la plus proche et sautez dans le premier train pour Lisbonne. Sans valise, sans réfléchir, sans vous retourner.

Pas facile hein. Plus facile à dire sur le mode défi qu'à faire vraiment.

Ah ça, en rêver, nous sommes nombreux à l'avoir fait, mais de là à larguer les amarres sans préavis...les rangs des aventuriers s'éclaircissent subitement.



Et bien, Raimund Gregorius, la cinquantaine solitaire, l'érudit suisse à la vie de prof bien rangée, quitte Berne ainsi, un jour, précipitamment, sur les traces d'une jeune portugaise qu'il vient d'empêcher de se suicider et qui a perdu un livre. Pas n'importe quel livre bien sûr, un personnage à part entière : il porte un titre séduisant pour un intellectuel, " Un orfèvre des mots ", écrit par un jeune médecin portugais, Amadeu de Prado. Ses écrits émeuvent fortement Raimund au point de le pousser à partir sur les traces de son auteur, en quête de réponses peut-être à toutes les questions existentielles que soulève l'ouvrage, à la découverte de lui-même aussi, comme le suggère, entre autres, cette phrase toute simple " Se comprendre : est-ce une découverte ou une création ? " qui m'a interpellée, aussi.



Attention cependant : amateurs de romance, de rythme échevelé s'abstenir. Vous n'êtes pas monté à bord d'un TGV avec Raimund ! Certes, ce roman réserve de nombreux rebondissements qui maintiennent vraiment le lecteur en haleine, mais avant tout, il se savoure et donne à réfléchir sur nos choix de vie, nos espaces de liberté, nos possibilités personnelles et la connaissance de nous-mêmes.

Il mêle une trame romanesque prenante avec pour décor la beauté de Lisbonne, la découverte passionnante de l'histoire de ce jeune médecin engagé dans la Résistance contre Salazar, et une réflexion approfondie, illustrée par des textes extraits du livre de De Prado qui émaillent le récit. Intéressant de noter d'ailleurs que l'auteur, Pascal Mercier, nom de plume de Peter Bieri, est philosophe de formation.



C'est donc très habilement construit et j'ai beaucoup apprécié ce voyage en compagnie de Raimund, en rupture de quotidien plan-plan, qui repousse ses propres limites. Original et attachant !

Ultime remarque : un film avec Jeremy Irons, Charlotte Rampling, Mélanie Laurent...est sorti en 2013, ce que je viens de découvrir. Ne l'ayant pas vu, j'ajouterais juste que le choix des acteurs me paraît fort judicieux. À prolonger donc par une séance cinéma...en descendant du train !
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Train de nuit pour Lisbonne

Serais-je capable de tout quitter sur un coup de tête, après une rencontre étrange ?

Pourrais-je laisser mes élèves, ma vie quotidienne, ma ville, mon pays après la lecture d’un paragraphe d’un bouquin qui me parlerait intimement ?





Gregorius, lui, l’a fait.

Il faut dire qu’il est divorcé, sans enfant. Il est un professeur, vieillissant mais toujours aimé, de langues anciennes – LE spécialiste en la matière ! – dans un lycée de Berne.

Ah, Berne, c’est sa ville, avec son pont, sa place, sa librairie, son fabricant de lunettes, aussi, qui est son ami.

Et il quitte tout. Du jour au lendemain. Obsédé par un jeune médecin portugais mort il y a bien longtemps et qui a jeté sur papier toutes ses pensées. Il veut à tout prix retrouver sa trace, sa famille, découvrir et s’approprier sa ville à lui : Lisbonne et son époque, sous la dictature de Salazar.





Curieuse démarche, qui me fait penser à Modiano, toujours tourmenté par le passé, ses lieux, ses personnes.

Démarche compréhensible, pourtant. Car les pensées d’Amadeu de Prado sont loin d’être anodines !

Elles nous arrachent à notre train-train et nous conduisent loin à l’intérieur de nous-mêmes, et en même temps très près des autres.

Amadeu de Prado, par son questionnement perpétuel sur la Vie, sur l’amour, sur la mort, sur son père, sur l’amitié, sur les relations entre les gens, sur ses devoirs, sur l’action dans la Résistance, sur ses élans, sur les mots, sur la transmission du savoir, sur le temps, sur Dieu, transcende le banal de notre vie et nous oblige à creuser.





Qu’est-ce qui est vrai ? L’intérieur ou l’extérieur? Ce que les autres voient de nous ou ce qu’on croit connaitre sur nous-mêmes ?

Faut-il avoir peur de la mort si nous ne réussissons pas à accomplir notre vie ?

Pourquoi les traces du passé, même gaies, rendent-elles si tristes ?

Est-il possible d’exercer son métier en contradiction avec ses opinions (être juge sous une dictature, sauver un ennemi lorsqu’on est médecin...) ?

Comment remplir le temps pour que celui-ci nous appartienne totalement et qu’on n’ait plus de regrets lorsque la mort approche ?

Etre stoïque, cacher sa souffrance pour ne pas ennuyer les autres, n’est-ce pas les empêcher eux-mêmes d’exprimer la leur ?

La désillusion ne nous permet-elle pas de mieux appréhender les contours de nous-mêmes ?

Qui voudrait sérieusement être immortel ?





Et tant d’autres réflexions profondes qui ralentissent extrêmement la lecture mais qui enrichissent, car chaque mot pèse...

Un exemple final ?

« Je ne voudrais pas vivre dans un monde sans cathédrales. J’ai besoin de leur beauté et de leur noblesse. J’ai besoin du saint recueillement des hommes qui prient. Pourtant je n’ai pas moins besoin de liberté et d’hostilité envers toute cruauté. Et que personne ne me force à choisir ».

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Train de nuit pour Lisbonne

Je voudrais vous parler de ce roman, Train de nuit pour Lisbonne, que j'ai beaucoup aimé. Il a été écrit par Pascal Mercier, écrivain et philosophe suisse.

Il n'est pas facile d'entrer dans ce livre, d'une écriture dense, parfois complexe, exigeante.

Et pourtant, le propos est d'une magnifique humanité. Je rajouterai même, d'une générosité qui s'exprime dans l'intention des mots, des personnages, de leurs destins.

Tout débute avec les premières pages où nous faisons connaissance avec Raimund Gregorius, professeur de langues anciennes proche de la retraite, qui enseigne dans une université de Berne, en Suisse. Nous allons le suivre dans son itinéraire improbable qui le mène de Berne à Lisbonne, mais surtout au plus près de lui-même. Train de nuit pour Lisbonne, c'est un aller simple en terre intérieure.

Mais ce n'est pas l'essentiel.

Comment imaginer que ce professeur au costume un peu poussiéreux, puisse un jour tout abandonner derrière lui, au prétexte d'une double rencontre, celle d'une femme prête à se jeter d'un pont et quelques heures plus tard celle d'un livre, écrit par un médecin portugais, Amadeu de Prado..., les deux événements étant bien entendu liés ? Pourtant il le fait. Au milieu du cours de latin qu'il enseigne, il se lève de son siège, laisse ses élèves derrière lui, il s'en va, il prend un train une nuit pour Lisbonne...

Ce qui est improbable, ce n'est pas tant de partir sur un coup de tête, mais c'est justement que ce soit cet homme, Gregorius, dont l'existence est réglée comme du papier à musique, qui le fasse.

Par-delà le texte parfois très complexe, nous entrons très vite dans l'humanité des personnages et de l'histoire que Raimund Gregorius vient révéler, comme un catalyseur, tirer le fil d'une histoire où des personnages presque oubliés, surgissent parce que Raimund Gregorius est venu les réveiller là-bas à Lisbonne, dans leur silence mutique.

Nous découvrons Lisbonne comme une ville secrète, théâtre de souvenirs convoquant des personnages douloureux, mais tout aussi généreux, hantés par les blessures qui les hantent, nous découvrons le temps de la dictature portugaise, pas si ancienne finalement, c'est une époque qui paraît relative récente adossée à l'Histoire européenne, tout à côté de nos portes...

Nous découvrons des lieux, des êtres quasiment demeurés immobiles depuis lors...

Ce texte mêle une trame romanesque qui nous agrippe et nous entraîne dans la beauté mélancolique de Lisbonne, mais aussi dans l'histoire de ce jeune médecin engagé dans la Résistance contre Salazar, ce qu'il a laissé comme témoignage après lui...

Le chemin d'Amadeu de Prado est confronté aux questionnements et aux contradictions qui peuvent déchirer un être voué à l'écoute de l'âme humaine. La vie d'un ennemi tortionnaire qui envoie des milliers d'innocents dans les geôles a-t-elle le même poids qu'un tout autre patient ordinaire, lorsqu'on est médecin ? Comment être un enfant lorsque son père est juge sous le régime d'une dictature, comment grandir alors dans l'innocence et l'insouciance, à quoi peut-on dès lors accrocher ses rêves si ce n'est aux propres rêves des autres ?

Le chemin de Raimund Gregorius, quant à lui, devient une errance, une déambulation magnifique et tourmentée dans les lieux du passé, dans un dédale de pages où sont invités à venir vers lui des fantômes dont certains sont parfois encore vivants.

À quoi tient la transformation d'un homme empesé par le conformisme et les habitudes si bien apprises ? À quoi tiennent l'éveil et l'envol ? L'arrachement à notre quotidien...

À quoi tiennent nos ailes prêtes à surgir au moindre ciel tendu vers nous... Au moindre train...

Peut-être que tout ce livre pourrait se résumer à cette seule phrase prise dans le récit : « Je ne voudrais pas vivre dans un monde sans cathédrales. J'ai besoin de leur beauté et de leur noblesse. J'ai besoin du saint recueillement des hommes qui prient. Pourtant je n'ai pas moins besoin de liberté et d'hostilité envers toute cruauté. Et que personne ne me force à choisir ».
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Train de nuit pour Lisbonne

Je ne peux résister au besoin de poster cette critique avant même d'avoir terminer la lecture de ce livre.

Português. ce mot seul, prononcé par une femme sur un pont,va bouleverser Gregorius, professeur de grec dans un lycée de Berne. Enchaînement de circonstances, il se retrouve peu après avec dans les mains, un ouvrage en portugais publié à compte d'auteur. Le titre: Um ourive das palavras, Lisboa 1975, un orfèvre des mots. Dès les premières lignes, Gregorius est frappé par ces mots qui semblent écrits pour lui:

« S'il est vrai que nous ne pouvons vivre qu'une petite partie de ce qui est en nous – qu'advient-il du reste?».

Poussé par une irrépressible nécessité, il lâche illico, son lycée, ses cours, quitte Berne pour se rendre à Lisbonne: il part à la recherche d'éléments sur l'auteur Amadeu de Prado, comme si en savoir plus sur l'auteur l'amènerait lui, Gregorius à se trouver lui même.

Pour ce faire il va se transformer en véritable enquêteur, méthodique et opiniâtre. Il va peu à peu relier le contenu de l'ouvrage, à la vie et au parcours de son auteur.

Amadeu de Prado, fils de juge, brillant étudiant redouté par ses professeurs, avait tous les talents « comme un miracle de la nature qui avait ses propres lois », « c'était un garçon capable de toucher le ciel ».

Devenu médecin, il soigne tous ceux qui se présentent chez lui, des petites gens à l'officier de la police secrète connu sous le nom de « boucher de Lisbonne ». Cet acte lui vaut l'opprobre de ces patients. Il est accusé de trahison, lui qui a toujours porté au plus haut point une exigence d'exemplarité. S'immisce en lui le doute sur le choix d'avoir sauvé la vie d'un homme qui commettra encore d'autres assassinats.



Ce train de nuit nous emmène dans un voyage philosophique, poétique, linguistique, historique. La toile de fond nous ramène dans les années de la dictature de Salazar et aborde la résistance, la torture.

Tel un « archéologue de l'âme » Pascal Mercier philosophe de métier, explore les grandes thématiques classiques:

quel lien entre le choix d'une vie et les véritables motivations souvent insoupçonnées ?

quelle différence entre la perception que l'on a de soi et l'idée que les autres se font de nous ?

les relations père-mère- fils et les traces qui sont inscrites chez chacun,

le temps qui passe: « combien de temps cela dure t il un mois? »

et bien d'autres.

Si les questions existentielles vous passionnent, je vous recommande fortement ce livre dense et exigeant.

Moi, je l'emporte sur mon île.
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Train de nuit pour Lisbonne

Je n’arrive pas à faire la critique de ce livre. Une seule chose que je puisse en dire ‘Lisez-le’.

On a tous des rêves cachés que la routine et la convenance sociale nous empêchent ne serait-ce que d’envisager.

Je ne sais pas par quelle alchimie l’auteur a aussi bien réussi à imbriquer une quête, l’Histoire, de la poésie, de la philosophique…



Ca ne veut rien dire ce que je raconte, je n’y arrive pas.

Je vous en supplie lisez ce petit chef-d’œuvre !

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Train de nuit pour Lisbonne

Quelle riche et inspirante histoire! Finir l'année sur un tel roman ne peut être qu'un signe de renouveau pour celle qui commence.

Pour peu que l'on entre en sympathie avec Raimund Gregorius, solitaire entre deux âges confortablement enfermé dans les murs des langues anciennes qu'il enseigne et qui fait un jour à Berne la rencontre d'une femme, puis d'un livre qui vont changer sa vie, ce roman puissant et profond devient pour le lecteur une invitation au voyage dans lequel il va lui-même être entrainé.



Aux voyages plus exactement : voyage dans l'espace d'abord, gagné que l'on est par l'envie de se lever et tout quitter comme Gregorius pour prendre des trains dans la nuit jusqu'à Lisbonne, et parcourir au petit matin cette ville magnifiquement évoquée; voyage dans le temps aussi, à la découverte d'Amadeu de Prado, médecin portugais engagé dans la résistance à la dictature de Salazar et auteur du livre qui a bouleversé Gregorius; enfin et surtout, voyage vers la connaissance de soi, porté par les mots puissants et inflexibles d'Amadeu s'interrogeant sans relâche sur l'âme, l'identité, le poids de l'héritage familial, et qui vont amener notre professeur à une véritable renaissance à lui-même à travers ses rencontres et pérégrinations.



Gros coup de coeur pour ce livre qui est un envoutement salutaire, servi avec délicatesse et profondeur par la plume très littéraire d'un professeur de philosophie.
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L'accordeur de pianos

Il est parfois des livres dont tu soupçonnes le trésor qu'ils contiennent. Tu vois bien le titre, l'illustration choisie pour la couverture, le format et toute ces petites choses que tu ne sais pas décrire mais que tu sens.

Tu sais le risque, tu sais les enjolivures qui entourloupent, tu sais, mais tu oses. Toujours.

Et si le trésor se livre, tu savoures ton plaisir.



Te souviens-tu de Merci pour le chocolat, te souviens-tu de La pianiste? Vois-tu la délicatesse ambiguë d'Isabelle Huppert, entends-tu la musique qui habillait ces images?



Si tu ouvres L'accordeur de pianos, tu ressentiras l'éclat du Léman, tu entendras la finesse des notes, tu te cogneras à la folie, tu tressailliras devant l’ambiguïté de l'amour qu'on y lit, tu comprendras le pire, au fil d'un texte qui te laissera un goût légèrement amer. De cette amertume qui fait vibrer les papilles, tu vois?



Sans aucun doute, tu te remettras au piano.

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Léa

Train de nuit pour Lisbonne avait été un coup de cœur l’année dernière. Léa n’en est pas très loin. « Pas très loin » car la thématique est dure et qu’il est difficile de ne pas se sentir mal à l’aise au cours de ces 200 pages de montée en puissance de la folie.



Tout débute par hasard : une rencontre entre deux hommes dans la belle région provençale française. Constatant qu’ils sont originaires de la même région, une complicité se crée entre eux. L’un commence à raconter son histoire et explique pourquoi il est ici; l’autre écoute, tout en établissant un parallèle avec sa propre histoire familiale. L’histoire de Martijn est celle de sa fille Léa, et de sa passion pour le violon. A 8 ans, alors qu’elle vient de perdre sa mère, Léa entend une femme jouer merveilleusement bien de cet instrument, dans la rue. A partir de là, apprendre à jouer va devenir une obsession : « Là, dans l’imperturbabilité de ce regard, s’annonçait déjà la fermeté inouïe, et finalement destructrice, de cette volonté qui devait se manifester de plus en plus clairement les années suivantes. »



L’intérêt du récit de Martijn et ce qui lui donne sa gravité, c’est qu’il raconte leur vie rétrospectivement, en sachant où cette passion a mené Léa, dont il révèle l’avenir à petites touches. Au départ le père est heureux que sa fille ait trouvé une manière de revivre, retrouvant ainsi la joie de vivre qui l’avait quitté à la mort de sa mère. Mais petit à petit, une certitude se met à poindre en lui : « Je savais que cela ne pouvait pas bien tourner, je l’ai toujours su. Le fanatisme. La froideur. Les propos étranges. »



Léa devient une virtuose du violon, donne des concerts. Et puis la faille. Une erreur. Une faille dans la confiance en soi. Le changement de professeur. L’amour. Et la brisure finale. Tout cela est annoncé dans le début du roman, mais j’ai senti mon cœur se serrer au fur et à mesure de ma lecture, ne serait-ce que parce que le point du père est atroce : il voit partir en lambeaux l’esprit de sa fille, et ne peut rien faire. Un récit par un scientifique pour qui les mots sont malaisés à utiliser et qui pourtant le fait merveilleusement bien grâce au talent de Pascal Mercier et à son style exigeant pour décrire ce naufrage d’amour filial.



Et puis Léa surtout, qui est le centre du récit sans être totalement présente, à cause de la distance qui s’est creusée entre son père et elle. Léa qui, complètement perdue, essayait absurdement d’échapper au temps et à tout ce qu’il fait des hommes, de s’échapper et de continuer à vivre là où cela faisait le moins mal. » Une Léa qui n’a jamais trouvé sa place dans le monde et qui pense que la musique pourra le faire … Mais ce monde la rattrape. Ce personnage m’a exaspéré au départ, en partie parce qu’on ne sent pas sa passion pour le violon. Cependant, en y repensant, je trouve que c’est réellement le père qui est le héros de l’histoire, alors qu’il a projeté toute sa vie sur sa fille et qu’il est pourtant constamment seul.



Comme le dit Pascal Mercier dans sa note finale, cela peut malheureusement arriver à tout le monde :



« Ce livre traite d’une expérience difficile à avouer : même les êtres qui nous sont très proches peuvent nous devenir étrangers. Un événement inattendu, un changement imperceptible de la situation, une remarque surprenante : d’un seul coup, une personne avec laquelle nous partagions une grande intimité nous apparaît étrangère. Ou encore, quand nous nous surprenons en train de penser, de sentir, de faire des choses qui ne s’accordent pas avec l’image que nous avons de nous-mêmes. [...] aucune relation humaine, aucune représentation des autres ni de nous-mêmes n’est jamais sûre, stable ou à l’abri de ce sentiment d’aliénation. »



La perte de l’homme, le point de basculement où l’esprit humain ne supporte plus la pression.



« La confiance en soi : pourquoi est-elle si capricieuse ? pourquoi reste t-elle aveugle en face des faits ? Une vie entière, nous nous sommes efforcés de la construire, de la protéger, de la consolider, sachant que c’est le plus précieux des biens, indispensable au bonheur. Ensuite, brusquement et dans un silence sournois, une trappe s’ouvre et nous tombons dans un abîme sans fond : tout ce qui était n’est plus qu’un mirage. »
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Train de nuit pour Lisbonne

Une note moyenne proche de 4/5 sur ce site est souvent un gage de qualité. Cette qualité je la reconnais sans nul doute dans la conduite de la trame narrative de l'enquête de Gregorius sur les traces de Prado. Gregorius est un original; un bernois spécialiste des langues anciennes, d'une érudition hors pair qui mène une vie de professeur réglée comme du papier à musique. Et pourtant, le voilà qui part à Lisbonne sur un coup de tête, sans connaître le portugais, pour retrouver la trace de l'auteur d'un livre qui l'intrigue et le séduit. Sur place, il mène une véritables investigation policière pour retracer la vie de Pado, l'auteur en question. Tout cet aspect du roman, je l'ai aimé inconditionnellement: que ce soient les descriptions de la ville, des personnages rencontrés ou le retour vers le passé récent du Portugal (la dictature, la résistance, les tortures…); tout ça est admirablement bien fait dans une langue claire et riche qui nous font vivre l'expérience de Gregorius « en direct ». Ce que j'ai moins aimé ce sont les passages écrits par Prado, un essai philosophique dans le roman en quelque sorte. Il était sans doute nécessaire d'en donner des extraits pour que le lecteur puisse cerner la personne de Prado et comprendre la fascination qu'il exerçait sur Gregorius; mais j'ai trouvé ces passages souvent longs et fastidieux; bref, trop intellectuels… Ça m'a donné l'impression que l'auteur avait trouvé le subterfuge du roman pour faire passer ses propres écrits épars…. La fin du roman m'a aussi un peu déçue : elle nous ramène dans la banalité du quotidien bernois de Gregorius, ses soucis de santé, fermant ainsi la parenthèse de douce folie qu'il s'était autorisée. Je m'attendais sans doute inconsciemment à un dénouement à la manière d'un roman policier, tant l'enquête en a les caractéristiques.

Je suis sans doute injuste, probablement parce que j'avais de grandes attentes a priori. Mes réserves ne m'empêchent pas d'attribuer quatre étoiles, le roman étant bien supérieur à la plupart des objets de marketing qu'on nous présente ces temps-ci. Tout ça pour dire que j'ai beaucoup aimé mais que je n'ai pas été complètement emballée…
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Train de nuit pour Lisbonne

J'ai été complètement transporté par cette lecture, sans aucun doute une de mes plus belles expériences littéraires des derniers temps. Une lecture immersive, parcourue de moments, nombreux et intenses, de suspension contemplative et métaphysique, de communion intuitive, directe et intime avec le mystère du fonctionnement de l'esprit humain.

TRAIN DE NUIT POUR LISBONNE raconte la fascination inconditionnelle et irrépressible, provoquée par la rencontre d'une femme et d'une langue, le portugais, suivie de près par celle d'un étrange livre composé de fragments empreints de poésie et de réflexions personnelles d'un médecin portugais, Amadeu Inácio de Almeida Prado. Ce qui conduira l'austère professeur de langues anciennes Raimund Gregorius à quitter impulsivement sa ville, Berne, ainsi que sa vie jusque-là réglée comme une horloge de son pays natal, et à partir pour Lisbonne sur les traces de l'auteur lisboète dont l'oeuvre lui semble s'adresser directement à lui, Gregorius, et questionner en profondeur le sens de son existence étriquée.

Oeuvre de fiction écrite par un philosophe, d'une plume sensible, d'une beauté délicatement mélancolique, et aussi magistralement réussie donc, de mon point de vue, en tant que méditation autour de la subjectivité humaine, une question y semble omniprésente, implicitement ou explicitement, à chaque passage, à chaque étape de l'enquête qui sera menée à Lisbonne par le professeur bernois: «Quand quelqu'un est-il véritablement "soi-même"?».

«Etre soi-même» : jamais auparavant dans l'histoire des mentalités, cette expression n'aura occupé autant de place et revêtu une importance telle que dans nos sociétés occidentales modernes. Le génial Oscar Wilde en traduisait déjà l'émergence progressive dans la conscience collective à la fin du dix-neuvième siècle par l'intermédiaire d'une de ses célèbres tirades : «Sois toi-même, tous les autres sont déjà pris» ! Imputable au départ à une dilution des codes sociaux traditionnels et à un affranchissement progressif des individus vis-à-vis de leurs classes sociales d'origine et d'appartenance dont les prémices sont repérables dès la deuxième moitié du dix-neuvième siècle (voir à ce propos l'excellente analyse de journaux intimes de l'époque victorienne dans l'essai de Peter Gay, «L'Education des Sens»), l'importance de savoir qui on est, en tant qu'individu et en dehors de la place que notre éducation et notre entourage nous auront assignée, ne va cesser de prendre de l'ampleur dans la mentalité occidentale, pour aboutir enfin, de nos jours, à une véritable injonction adressée à la subjectivé de tout un chacun : il faut être «soi-même» pour réussir sa vie ! L'avènement de ce nouveau désir d'expérimenter le sentiment d'être soi se transformera ainsi, avec le temps, en une quête essentielle de l'homme moderne dont la philosophie, l'art et la littérature vont s'emparer définitivement dès le début du vingtième-siècle.

Libération des diktats sociaux et du joug séculaire exercé par des impératifs extérieurs et étrangers à la volonté intime, révolution sans doute nécessaire et justifiée après des siècles d'assujettissement de l'être, l'affirmation de l'individualité comme une valeur absolue, en soi, amènera néanmoins la subjectivité des temps modernes à une entreprise non-dépourvue d'embûches, à une quête qui peut devenir quelque peu paradoxale et où, pour ainsi dire, le périmètre du sujet ne cesserait de s'élargir alors que le centre risquerait lui constamment de se déplacer, amenant par moments le sentiment de ne se situer en fin de compte nulle part...Quête devenue illusoire d'un sujet « en soi », en quelque sorte immanent et libre de toute contrainte ou regard extérieurs, risquant de conduire in fine à un sentiment de vide, de morcellement, ou bien à une autarcie farouche, narcissique et également trompeuse, voire à la déréliction ou à la folie.

Comment savoir alors si l'on est en train de chercher vraiment à être soi-même ? Ou si l'on est en train de vivre la vie qu'on aura véritablement choisi de vivre ? Tout ne serait au fond que contingences et hasard ? Comment dire tout l'ineffable d'une existence ? Nos vies, individuellement, ne seraient que des «formations fugitives de sable mouvant, nées d'un coup de vent, détruites par le prochain, des formations de fugacité, emportées par le vent avant même de s'être formées» ? Et des rencontres véritables entre des individualités seraient-elles envisageables, ou «ne serait-il pas vrai que ce ne sont pas les hommes qui se rencontrent, mais seulement les ombres projetées par leurs imaginations» ?

TRAIN DE NUIT POUR LISBONNE est traversé par le fantôme de Fernando Pessoa. Un extrait du «Livre de l'Intranquillité » est d'ailleurs cité en exergue par l'auteur («Chacun de nous est plusieurs à soi tout seul, est nombreux, est une prolifération de soi-mêmes. C'est pourquoi l'être qui dédaigne l'air ambiant n'est pas le même qui le savoure ou qui en souffre. Il y a des gens d'espèces bien différentes dans la vaste colonie de notre être, qui pensent et sentent différemment»). L'«intranquillité » semble également avoir inspiré les fragments autobiographiques laissés par Amadeu, médecin et néanmoins poète dans l'âme. Gregorius s'en fera un hétéronyme et un guide. En essayant de s'approprier Amadeu («Je voudrais savoir comment c'était d'être lui»), Gregorius cherchera en réalité à s'appréhender lui-même, son être profond et sa vie, mais d'un point de vue extérieur, comme un autre. Juger soi-même comme un autre. Aimer l'étranger comme soi-même. Aimer soi-même comme un étranger, ainsi que le préconisait également cette autre acrobate de l'âme, Simone Weil, dans l'épatant «La Pesanteur et la Grâce».

Campé essentiellement dans les décors d'une Lisbonne emblématique de la mélancolie et de la «saudade» portugaises, bercé par une langue où le déploiement du verbe «être» («ser» et «estar») rappellant de manière subliminaire la permanence et l'impermanence de soi et se prêtant à des jeux poétiques et métaphysiques que l'oeuvre d'un Fernando Pessoa aura portés à de sommets inégalés, TRAIN DE NUIT POUR LISBONNE propose en réalité un voyage initiatique à l'intérieur de nous-même, de cet immense espace imaginaire que nous habitons et que nous essayons, parfois vainement, de peupler de personnages rassurants dont nous nous sommes parés pour faire face à l'inconsistance de notre être profond et à l'éphémère de nos existences.

«A imaginação, o nosso último santuário» («L'imagination, notre dernier sanctuaire») avait-il l'habitude de dire Amadeu. L'imagination et l'intimité, c'était, à côté de la langue, les deux seuls sanctuaires qu'il admettait»(...) La curiosité apparaît comme un luxe rare sur un fond habituel. Rester ferme et pouvoir jouer avec l'ouvert, à chaque instant, ce serait un art.»

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Train de nuit pour Lisbonne



Il aura suffit qu’une femme rencontrée sur un pont et d’un livre trouvé par hasard pour que le professeur Gregorius quitte son cours de latin brutalement, pour partir à Lisbonne sur les traces du poète Amadeu de Prado. Double parcours ensuite, dans le temps pour découvrir la personnalité de ce poète (rendu tellement vivant par le romancier que j’ai cherché sa biographie, en vain, et pour cause) et cheminement spirituel de Gregorius, au fur et à mesure de son exploration.

Une écriture superbe (bravo à la traductrice) et une histoire passionnante
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Train de nuit pour Lisbonne

Je suis restée sur le quai avec un train pour Lisbonne de Pascal Mercier

On peut saluer l’érudition, les idées philosophiques, procédé narratif inhabituel mais déstabilisant.Je m’attendais à autre chose. L’action est trop lente à mon goût. Le héros antipathique et avec des tocs… Du coup, Mundus partirait-il s’il existait vraiment ? La réponse est non…Il y a cette rencontre avec la portugaise, qui fait au moins vingt pages si pas plus, et il ne va pas à la poursuite de cette dame qui soit disant, aurait changé sa vie mais à la rencontre d’un auteur portugais décédé…Ensuite, il fait de nouvelles rencontres assez fortuites… Une histoire peu crédible dont le lecteur se sent floué.Si d’autres ont reconnu le talent de cet auteur, je n’ai pas été transportée…Le voyage qui a été promis, est devenu vite ennuyeux.

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Train de nuit pour Lisbonne

J'attendais beaucoup de cette lecture. J'en suis sortie déçue n'ayant pas adhéré au thème, n'ayant pas ressenti un plein d'émotions. Je suis passée sans doute à côté du texte et de l'histoire.
Lien : http://araucaria.20six.fr/
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Train de nuit pour Lisbonne

Il est difficile de comprendre mais encore plus d'expliquer pourquoi un matin Raimund Gregorius, professeur de lettres anciennes à Berne, décide de prendre un train de nuit pour Lisbonne. A cinquante ans, il quitte tout, son poste de professeur de lycée, son appartement, sa vie rangée et terne, pour partir à Lisbonne, sur les traces d'Amedeu de Prado, médecin portugais et érudit. S'improvisant détective, Gregorius n'aura de cesse de percer le mystère de ce personnage fascinant et troublant. J'ai moi-même été fascinée et troublée par ce beau roman très dense qui requiert attention et concentration (particulièrement certaines réflexions philosophiques qui rendent la lecture dans le métro difficile). Il y a quelques longueurs ou "langueurs" car le rythme est lent, l'ambiance nostalgique mais cet homme qui, en disséquant la vie d'un autre homme, se rend compte qu'il n'a pas réellement vécu jusque-là est émouvant et donne à réfléchir.
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Le Silence de Perlmann

A l'initiative d'une firme italienne, Philipp Perlmann, linguiste allemand de réputation mondiale, réunit un groupe de confrères pour une série de conférences sur le rapport entre le langage et la mémoire. Le cadre est idyllique : la baie de Gênes, un hôtel de luxe, des températures clémentes. Mais Perlmann va mal. Déstabilisé par le décès accidentel de son épouse, en proie à une crise existentielle, il peine à s'intéresser à son travail et ne réussit plus à écrire. Pourtant, il va lui falloir présenter le fruit de ses réflexions devant ses collègues. Le temps passe, l'échéance approche et Perlmann sombre dans l'inertie et la dépression. Au lieu de s'atteler à la tache, il passe ses journées dans une trattoria à lire une chronique du siècle ou dans sa chambre à traduire le texte d'un confrère russe, bloqué à Saint-Petersbourg sans visa. Il voudrait fuir, ou même se tuer, tout plutôt que d'avouer aux autres que l'éminent Philipp Perlmann est incapable d'écrire. La solution viendra du russe absent : faire passer le texte de Leskov pour le sien, commettre un plagiat dont nul ne saura rien et qui lui permettra de sauver la face.





Bienvenue dans la baie de Gênes, petit paradis terrestre où tout n'est que luxe, calme et volupté. C'est pourtant dans ce lieu propice à la réflexion que Philipp Perlmann va connaitre une terrible descente aux enfers. Tandis que ses confrères s'épanouissent, échangent et jubilent à l'idée de se titiller au sujet de leurs travaux, lui erre comme une âme en peine et élabore de multiples stratégies pour ne pas être pris en défaut par ces spécialistes toujours prêts à se gausser d'une théorie mal étayée. Enferré dans sa traduction russe, langue qu'il ne maîtrise pas suffisamment à son goût, ses réflexions le ramènent vers son passé, récent avec la mort de sa femme, et plus lointain avec sa carrière de pianiste avortée. Outre la description plutôt cynique de ces universitaires imbus d'eux-mêmes, c'est surtout la chute de Perlmann qui a perdu la foi, la passion qui donne toute la puissance à ce récit parfois un peu longuet. Mais avec lui, on sent toute l'angoisse de cet homme désemparé et peu sûr de lui. D'une banale panne d'inspiration, il fait une montagne insurmontable et frôle la folie pour s'en sortir. Par moment, il peut paraître ridicule mais l'empathie se crée peu à peu et la tension monte à mesure que lui s'enfonce dans un gouffre sans fond.

Un livre assez difficile, surtout quand l'auteur s'appesantit sur les sciences du langage et les subtilités du travail de traducteur, mais qui, une fois qu'on est pris dans l'engrenage, s'avère passionnant et très prenant. Une pointe d'humour n'aurait pas nui dans cette ambiance torturée et paranoïaque mais on ne peut pas tout avoir.
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Train de nuit pour Lisbonne

Ce roman est un véritable coup de cœur pour moi ! Si je devais résumer ma critique en 2 mots : "Lisez-le !"

Moi qui pensais lire un "simple" roman de voyage, peut-être un peu poétique, peut-être un peu aventureux… mais j'ai lu un roman qui a parlé à mon âme !

De questions existentielles à retour sur son passé, d'interrogations philosophiques à découvertes sur les mécanismes de l'esprit, des motivations qui poussent à agir ou à renoncer… Cet ouvrage pousse à chaque page ou presque à se poser des questions sur la vie, sa vie, sur la nature humaine et les relations plus ou moins artificielles entre les êtres, sur la notion de liberté… Il invite à l'introspection.

En tout cas il fait véritablement réfléchir, tout en subtilité.

Ajoutez à cela un personnage principal terriblement attachant, le voyage à Lisbonne comme si vous y étiez, et une narration sans aucune fausse note. Le roman est magnifiquement construit, et pourtant sans artificialité ni lourdeur.

Un roman qui demande de la concentration car je pense qu'il peut être lu à différents degrés. La langue est riche, le propos exigeant. Ce n'est pas un vulgaire roman de développement personnel comme on en voit de plus en plus fleurir chez les éditeurs aujourd'hui (sans tellement de tri je trouve), l'écriture est de qualité, il y de la substance à retirer de chaque page.

Les considérations philosophiques méritent d’être observées, comprises, digérées. Rarement un livre m'avait autant appris, autant apporté sur le plan personnel.

Un des plus beaux livres que j'ai lus.

À lire. Définitivement.
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Léa

Léa, ou l’histoire du basculement d’une enfant vers la folie, racontée par son père à un homme dont il fait la connaissance lors d’un voyage à Saint-Rémy-de-Provence.



J’ai trouvé l’écriture parfois compliquée, m’obligeant à de nombreux retours en arrière, mais toujours empreinte de sensibilité et j’ai ressenti toute la peine du père dans le récit qu’il fait de l’évolution de sa fille par rapport à ce que représente pour elle la musique, qu’il pensait tout d’abord comme étant le remède à son mal-être après le décès de sa mère.



J ‘ai beaucoup aimé aussi l’échange qui a lieu entre le père et cet inconnu, qui est là pour l’écouter, simplement, sans juger, avec beaucoup d’humanité… une relation que tout un chacun aimerait entretenir avec quelqu’un lorsqu’il éprouve un chagrin incommensurable.



Je ne peux résister à la tentation de vous livrer une partie de la postface de l’écrivain, que j’apprécie tout particulièrement :



« Ce livre traite d’une expérience difficile à avouer : même les êtres qui nous sont les plus proches peuvent nous devenir étrangers. Un événement inattendu, un changement imperceptible de la situation, une remarque surprenante : d’un seul coup, une personne avec laquelle nous partagions une grande intimité nous apparaît étrangère, nous avons le sentiment de la perdre. Il se peut que nous fassions la même expérience avec nous-mêmes ; nous aussi, nous pouvons nous trouver soudain étrangers à nous-mêmes.

Cela peut arriver au moment où nous nous apercevons que nous ne vivons pas notre propre vie, mais celle que d’autres attendent de nous. Ou encore, quand nous nous surprenons en train de penser, de sentir, de faire des choses qui ne s’accordent pas avec l’image que nous avons de nous-mêmes. Qu’il s’agisse des autres ou de nous-mêmes, c’est une expérience bouleversante, suivie d’un sentiment de fragilité : aucune relation humaine, aucune représentation des autres ni de nous-mêmes n’est jamais sûre, stable ou à l’abri de ce sentiment d’aliénation.

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Train de nuit pour Lisbonne

L'auteur



De son vrai nom, Peter Bieri est né à Berne, et a occupé la chaire de philosophie des langues à l'Université de cette ville de 1993 à 2007. Mais le grand public le connaît surtout pour ses romans, dont 3 seulement ont été traduits en français (L'accordeur de pianos, Train de nuit et Léa).





Le livre



Raimund Gregorius, professeur passionné de grec et de latin, voit un jour sa vie basculer par l'apparition simultanée dans sa vie d'une mystérieuse inconnue portugaise et d'un livre portugais, écrit par un tout aussi mystérieux auteur. Du jour au lendemain, tous les fondements de sa vie sont remis en cause dans un enchaînement de petits séismes qui vont le conduire dans un Train de nuit pour Lisbonne ...



Ce que j'en ai pensé



Difficile de parler de ce livre qui m'a profondément bouleversée. Lorsque je l'ai terminé, il était constellé de post-it, j'avais pris des notes de partout et je me suis sentie perdue ... comme lorsqu'on a été immergée dans un monde pendant des mois (ici pendant des jours) et que d'un seul coup on retourne à son univers initial. J'ai dû attendre quelques semaines avant de pouvoir parler de cette œuvre, qui est pour moi un chef d'œuvre et à mille lieues de la littérature contemporaine aseptisée qui nous assaille à tous les coins de librairie.



C'est un véritable essai philosophique que nous propose l'auteur ici, mais déguisé en roman ! ... et à ma grande surprise, ça passe très bien ... Car cette philosophie est inscrite au cœur même de l'expérience du personnage et non pas assénée comme une vérité universelle. Elle est intimement liée à l'évolution de Gregorius au cours du récit qui l'amène de plus en plus loin dans la connaissance à la fois d'Amadeu Prado, l'auteur du livre, et de lui-même. Comme il le dit, "était-il possible que le meilleur chemin pour s'assurer de soi-même passât par la connaissance et la compréhension d'un autre ?"



Partant à la recherche de l'auteur de ce livre mystérieux, qu'il traduit petit à petit tout au long du récit, cette recherche prend rapidement la forme de rencontres phares avec les personnages de la vie de Prado, qui chacun à leur façon vont influer sur la propre vie de Gregorius.



Mais au-delà de cette histoire qui m'a absorbée toute entière, je me suis surtout sentie très proche de Gregorius, comme si moi-même j'apprenais à mieux me connaître. Des passages entiers du "livre de Prado" m'ont semblé extrêmement justes et ont une telle résonance dans la vie réelle qu'on ne peut pas y être indifférent. Les thèmes abordés sont très variés, comme la palette de pensées d'un homme complexe et profond : la vie, la mort, le langage, la religion, etc.



Je ne résiste pas à l'envie de vous donner un exemple :



"NOBLESSE SILENCIEUSE. C'est une erreur de croire que les moments décisifs d'une vie, lors desquels sa direction habituelle change pour toujours, devraient être bruyamment et crûment dramatiques, sur fonds de violents bouillonnements intérieurs. C'est là une légende kitsch, que des journalistes avinés, des cinéastes intoxiqués de flashes et des écrivains qui ont dans le cerveau une gazette de boulevard ont lancée dans le monde. En vérité, le drame d'une expérience qui détermine la vie est souvent d'une incroyable douceur. Elle est si peu apparentée à la détonation, au jet de flamme et à l'éruption volcanique, cette expérience, qu'à l'instant où elle est vécue, elle passe souvent inaperçue. Quand elle déploie son effet révolutionnaire et fait en sorte qu'une vie soit plongée dans une toute nouvelle lumière et reçoive une toute nouvelle mélodie, elle procède sans bruit et dans cette merveilleuse absence de bruit réside sa noblesse particulière."



Vous remarquerez au passage un style extrêmement soigné, très riche et d'une grande profondeur. Le roman est donc émaillé de ces soi-disant traductions qui nous amènent à mieux connaître Prado, un homme d'une grande richesse intérieure, d'une grande intelligence et intégrité qui fut pourtant un écorché toute sa vie.



Bref, le genre de livre qui marque, dont il faudrait toujours avoir le volume sur sa table de chevet, et que je veux absolument faire découvrir. Certes, certains pourront dire que c'est lent, que c'est répétitif. Mais justement ce n'est pas un livre qu'on lit pour l'action mais bien pour la lenteur qu'il impose et permet, il laisse le temps de la réflexion, dont on a un besoin extrême dans notre société aujourd'hui. Un livre qui exige beaucoup du lecteur, mais qui lui offre autant ... A découvrir !
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Train de nuit pour Lisbonne

Le sujet central du roman de Pascal Mercier traduit de l'allemand par Nicole Casanova, « Train de nuit pour Lisbonne », est : la Perception.

La perception que nous avons de l'Autre, du monde qui nous entoure, de nous mêmes, de notre vie, et de ce fait, de son sens,

Le professeur Gregorius, vieux professeur des langues anciennes, a vécu toute sa vie à travers les textes anciens ( grecs, latins, hébreux,). Il définissait et percevait la vie à travers ce prisme de parchemins.

Du jour au lendemain, la vie, qu'il ne percevait pas, se charge de se rappeler à son bon souvenir, en lui déposant entre les mains un livre «  Un orfèvre des mots » d'un auteur portugais, jusqu'alors inconnu. Pour lui, les premières lignes de ce livre prendront valeur de signal.

Il part ainsi en quête de la mémoire de ce poète portugais Amadeu de Prado, ancien enfant prodige, médecin, «  prêtre sans Dieu », mort depuis plusieurs années.

Il ne connaît rien de cet homme, ne connaît rien de sa vie, de sa langue, de son passé, seuls les mots contenus dans un livre le poussent à aller à sa rencontre.

A travers la mémoire d'un homme, dont il recomposera méticuleusement la vie, à travers les témoignages de ceux qui auront traversé sa vie, les lieux de sa mémoire, ses écrits, il comprendra la perception d'Amadeu, son intelligence, et c'est par cette quête qu'il va lui même, peu à peu percevoir le monde et ceux qui l'entourent.

Lui, le professeur érudit et si sagement rangé dans les rayons de cette bibliothèque dont il armait sa vie, va comprendre toute la complexité des êtres, leur densité, leur profondeur, leur multitude intérieure :

« Chacun de nous est plusieurs à soi tout seul, est nombreux, est une prolifération de soi-mêmes. C'est pourquoi l'être qui dédaigne l'air ambiant n'est pas le même que celui qui le savoure ou qui en souffre. Il y a des gens d'espèces bien différentes dans la vaste colonie de notre être, qui pensent et sentent différemment -Fernando Pessoa, Livro do desessossego. »

Il va réaliser tout simplement le monde qu'il perçoit.

La vérité se trouve en chacun de nous, et il est vain de vouloir éperdument la découvrir chez l'Autre. Là n'est pas le but d'une vie. Vivre parmi les autres, pas à travers les autres. Vivre en soi et non pour soi.

«  toute activité humaine n'est que l'expression hautement imparfaite et même ridiculement maladroite d'une vie intérieure cachée, à la profondeur insoupçonnée, qui tend vers la surface sans pouvoir jamais l'atteindre fût-ce même de très loin. »

« Les paroles sont elles encore l'expression de nos pensées ? »

Pouvons nous atteindre l'Autre par nos mots, devons nous au moins tenter d'y parvenir ? Et que retiendra l'Autre de tout ce que nous tentons de lui adresser. Qu'en percevra t il exactement ? Comment être certain que notre perception soit identique à celle de l'Autre ?

« On ne voit pas des êtres humains comme des maisons, des arbres et des étoiles. On les voit dans l'attente de pouvoir d'une certaine manière les rencontrer et ainsi les intégrer à son propre univers intérieur. L'imagination les rectifie pour les adapter à nos propres souhaits et espoirs, mais aussi pour qu'ils puissent confirmer nos propres peurs et préjugés..Nous ne parvenons même pas jusqu'aux contours extérieurs de l 'autre. »

Quel peut être la raison de cette difficulté , de l'existence ce doute perpétuel que chacun connaît ?.

« Que se passerait il si nous nous affrontions sans la double réfraction que représente le corps interprété. Si sans rien entre nous qui divisât et falsifiât, nous nous précipitions pour ainsi dire les uns dans les autres ? ». Qu'arriverait il ?

Ce que nous voyons, percevons, est ce la Réalité ou est ce uniquement la projection de ce que nous créons  en nous même?

« Tout ce que nous voyons du monde extérieur comporte aussi une partie de notre monde intérieur. » 

« L'idéal fanatique de la connaissance » poussait de Prado a continuellement remettre en question son image, l'image de l'Autre, l'image du monde qui l'entourait. Ce questionnement, chaque jour plus puissant, chaque jour de plus en plus exigeant le mena au bout de ce qu'il pouvait percevoir de l'Autre, et donc de lui même. La limite, la limite avant le probable basculement vers l'autre côté du miroir.

«  elle n'est tout simplement pas possible, la franchise illimitée, dit jorge quand ils se serrerent la main dans la rue.Elle dépasse nos forces. Solitude par obligation de se taire, cela aussi existe. »

« Sur mille expériences que nous faisons, nous tout au plus une par le langage. Parmi toutes ces expériences muettes sont cachées celles qui donnent secrètement à notre vie sa forme, sa couleur et sa mélodie. »

Cette limite qui l'aura mené au bord de cet abîme existentiel, lui fera perdre l'usage du verbe, lui fera perdre parole.

« Au commencement était le verbe et le verbe était avec Dieu.Il étaient au commencement avec Dieu.Tout fut par lui et sans lui rien ne fut.De tout être il était la vie et la vie était la lumière des hommes. (Taduction de l'Ecole Biblique de Jérusalem ). »

De Prado aura perdu la lumière avant que ne vienne la nuit. Gregorius reviendra vers la lumière, « L'orfèvre des mots » lui aura permis d'en apprendre l'usage.

Le mot "zakhar" en hébreu signifie l'homme et "zekher" signifie la mémoire.

« En mettant en lumière le passé, la mémoire construit le présent. » ( Le rabbin Nachum Braverman ).



Astrid SHRIQUI GARAIN

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