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Citation de wentworth23


Extrait
Une autre sociologie de l«autre économie»

La plupart des recherches portant sur l'«économie sociale et solidaire» accordent aux principes éthiques revendiqués par les acteurs dans la mise en oeuvre de leurs activités un statut de «seconde nature». Nous proposons ici de revenir sur ce postulat en entrant dans le monde de l'économie sociale et solidaire par la réalité concrète de ses pratiques quotidiennes. L'ambition est ici de montrer l'économie sociale et solidaire telle qu'elle est : un secteur hétérogène mais soucieux de produire un discours fédérateur, un secteur employeur de 10 % des salariés en France, un secteur consubstantiel au capitalisme depuis la fin du XXe siècle.
Pour autant, regarder cet espace de pratiques à la fois comme un monde de travail hiérarchisé, comme un ensemble d'institutions concurrentielles tant du point de vue de leur rentabilité économique que de leur «utilité sociale», comme un lieu de (re)production et d'expression de croyances économiques, fussent-elles solidaires, c'est supporter le risque sociologique du désenchantement dans un temps où l'économie sociale et solidaire s'est imposée dans les esprits comme un outil indispensable à la moralisation d'une économie elle-même présentée comme mondialisée, financiarisée, pervertie par les forces d'un marché désincarné. Mais, loin de jeter l'opprobre sur les acteurs de l'économie sociale et solidaire, dont les convictions et la sincérité ne font aucun doute, les analyses proposent de revenir sur cet ensemble de pratiques sociales dont on peut dire que l'utopie fondatrice commune est l'aménagement d'un espace de «liberté» dans le cadre d'un ordre économique dominant que nous définirons, par commodité de langage, comme celui du «capitalisme». Par «capitaliste», nous entendons désigner un ensemble de pratiques économiques fondées sur une unité d'échange (la monnaie) et mobilisant les instruments du calcul rationnel (comptabilité, crédit, outils de gestion, etc.), d'une part, et inscrites dans la matrice du rapport salarial, d'autre part. En ce sens, l'économie sociale et solidaire ne peut être envisagée d'emblée comme «autre économie» qu'à la condition qu'une autre «autre économie» (c'est-à-dire une «économie marchande») se soit historiquement imposée comme institution de référence. Autrement dit, la genèse de l'économie sociale et solidaire est consubstantielle à celle du capitalisme, vis-à-vis duquel elle entretient une relation dialectique de différenciation/intégration. Parce que l'économie sociale et solidaire se développe fréquemment sur la base d'une critique du mode de production capitaliste et de ses excès (par exemple, dans le cas du commerce équitable ou du mouvement des systèmes d'échanges locaux), elle défend l'idée d'une transformation, plus ou moins radicale, des rapports sociaux et de l'ordre économique dominant. Dans le même temps, la structuration de l'économie sociale et solidaire, comme espace social, n'échappe pas au processus de rationalisation de ses activités, en particulier dans l'organisation des rapports de travail. À cet égard, l'usage des méthodes dérivées du marketing commercial pour optimiser les résultats des campagnes de collectes de dons ou celui des outils de gestion forgés par les managers des cabinets d'audit pour évaluer les «impacts sociaux» générés par les organisations de l'économie sociale et solidaire constituent des exemples frappants des manières dont les institutions d'économie sociale et solidaire trouvent, à chaque étape de leur développement, des moyens de maintenir leur équilibre entre rentabilité et solidarité, de faire coïncider le réel et l'utopie. (...)
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