La diligence allait bon train et commença peu après midi à gravir les contreforts du col si redouté. Les robustes chevaux peinaient, mais ils s’acquittaient de leur tâche avec une belle ardeur, encouragés par les ordres du postillon. Las, le lourd coche avait à peine franchi les premiers tournants que le ciel se couvrit brusquement. Les discussions, jusque-là animées, prirent un autre tour, et les voyageurs scrutèrent les épais nuages de grisaille qui plombaient soudain la lumière du jour. Les premiers flocons virevoltèrent, d’abord épars, puis tombèrent assez nombreux pour blanchir la route. Le cocher, qui espérait atteindre le col avant la nuit, persévéra, mais bientôt la neige tomba dru. La couche ouateuse épaississant, les fers des chevaux ripèrent sur leurs prises et l’allure ralentit. Comble de malheur, de changeantes rafales entraînèrent les flocons dans un ballet d’incessants tourbillons qui aveuglèrent le conducteur : la burle, ce terrible vent du nord, s’abattait sur eux. Le givre couvrit les arbres, la neige emplit le fossé, et le précipice que la route côtoyait ressemblait à un océan houleux aux crêtes d’écume malmenées par la bise glaciale.