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Citation de mimo26


Treize ans plus tôt

L’infirmière frappe et entre sans attendre. Magnus referme les doigts par réflexe, le morceau de verre lui entaille la paume.
— Qu’est-ce que tu as encore fait ? râle-t-elle en apercevant les draps tachés.
Il baisse les yeux, gratte une tache imaginaire sur son jean. La jeune femme lui desserre les doigts, récupère le morceau de verre et le jette à la poubelle.
Elle s’agite, nettoie les plaies sur l’avant-bras et la paume à l’aide d’un coton humide, les badigeonne d’alcool iodé et comprime pour stopper l’hémorragie.
Ça pique et ça brûle, il en a la tête qui tourne, mais elle risque de tirer la gueule s’il lui demande d’appuyer plus fort.
— Il faut que tu arrêtes ça, Magnus. C’est dangereux, sans compter que ça va te laisser des cicatrices.
Il hausse les épaules, mordille ses lèvres gercées. Son regard s’évade par la fenêtre. L’infirmière pose des compresses propres qu’elle maintient à l’aide d’un bandage serré.
— Je vais devoir le noter dans mon rapport. Tu n’as pas encore compris ?
Ils ne te laisseront pas sortir tant que tu ne leur auras pas prouvé que tu vas mieux.
— Qui dit que j’ai envie d’aller mieux ?
— Miracle ! Il a retrouvé sa langue. Ça tombe bien, il en a besoin pour la séance de quatorze heures. Allez, zou ! Les autres y sont déjà.
L’adolescent se recroqueville sur son matelas, se fourre la tête sous l’oreiller. Elle le secoue en douceur, passe la main sous le coussin, dans les cheveux blonds et fins. Des cheveux de fille. Il est beau, ce gamin, malgré son visage creusé et son regard hanté. Trop beau, sans doute. Les raisons de son hospitalisation sont notées dans le dossier du service. Elle a lu le rapport médical établi lors de son admission aux urgences un an plus tôt. Elle sait la violence de l’agression dont il a été victime. Elle sait qu’il a préféré garder pour lui le nom de ses bourreaux et le récit des humiliations qu’il a endurées.
Elle sait que l’enquête n’a pas abouti, que les coupables n’ont pas été punis.
La redoutable omerta des internats. Il a été bien soigné, ses cicatrices ne se voient presque plus. Ce sont ses autres blessures qui sautent aux yeux. Celles qui saignent à l’intérieur et celles qu’il inflige à son corps. Celles qui embarrassent ses proches et font qu’on se détourne de lui. Celles qui l’ont amené ici, au service de pédopsychiatrie. L’infirmière étouffe un soupir.
Pauvre gosse ! Même pas quinze ans et déjà cette merde à trimballer dans son sac à dos ! Qu’on n’aille pas lui prétendre qu’on démarre tous avec les mêmes chances ! Elle se bricole un sourire de surface :
— Le docteur ne t’obligera pas à parler si tu n’en as pas envie. Contente-toi d’écouter les autres. Et mange au moins une pomme, pour me faire plaisir.
Il grogne, roule sur le dos. Enfile un pull trop large et chausse ses pantoufles.
— Les autres, je m’en fous.
Magnus quitte la chambre, jette le fruit dans la poubelle du chariot et traîne ses semelles vers la salle 14.2. Sa vision de l’enfer collectif.
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