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Citation de Charybde2


Frontière américano-mexicaine.
7 septembre 1996. Ciudad Juárez, État de Chihuahua, Mexique.
En comptant aujourd’hui, ça faisait dix jours.
Dolores Guevara s’appuya au lavabo crasseux, le regard perdu dans le labyrinthe des fêlures de la céramique.
Là où aurait dû se trouver un miroir, deux carreaux de faïence manquaient.
Elle s’était abîmée dans la contemplation du plâtre boursouflé que l’humidité décollait du mur. Une quinzaine de femmes vêtues comme elle de blouses roses s’entassait à grand-peine dans le local exigu, devant une porte close. À intervalles réguliers, la porte s’ouvrait, une des femmes sortait, sac à main sous le bras, tandis qu’une autre allait s’enfermer à son tour dans les toilettes séparées par des cloisons à mi-hauteur.
Les visages aux pommettes hautes étaient indéchiffrables.
La lumière verticale, artificielle, accrochait des reflets d’or sur les peaux olivâtres couvertes d’une fine pellicule de sueur.
L’une des femmes se tourna vers Dolores.
– Toujours rien ? elle chuchota.
– Non. Tu me l’as apporté ?
L’autre balaya la pièce d’un bref mouvement circulaire de la tête et glissa discrètement un sachet de plastique dans la poche extérieure de la blouse de Dolores.
Après que chacune d’elles eut séjourné dans le réduit malodorant, elles quittèrent ensemble la pièce pour emprunter un couloir aux murs fraîchement repeints de jaune.
Les semelles de leurs chaussures de sport crissaient sur le revêtement plastifié gris posé sur le sol de béton. Elles débouchèrent dans une salle d’attente meublée d’une vingtaine de chaises pliantes en contreplaqué et prirent place en silence, fixant une porte entrouverte.
Ici, pas de table basse, ni de revues usées à force d’avoir été feuilletées.
Nulle conversation à voix basse. Rien d’autre que le bourdonnement d’un tube de néon défaillant, une rumeur lointaine de machines.
Une voix féminine aboya un nom.
Une des blouses se leva, franchit la porte, la referma derrière elle, puis ressortit presque aussitôt pour quitter la salle d’attente et disparaître par le couloir.
Elles n’étaient plus que trois lorsque la voix l’appela.
Dolores Guevara jeta un regard de noyée à sa voisine de gauche et pénétra dans le bureau.
Une table, un ordinateur, un téléphone, une lampe à abat-jour.
Ni fenêtre, ni siège pour s’asseoir devant la table.
La surveillante, vêtue d’une blouse et d’un bonnet de coton blancs, l’attendait en pianotant sur le clavier. Les informations apparues à l’écran se reflétaient dans les verres épais de ses lunettes. Elle recula le fauteuil à roulettes d’un geste sec du pied.
– Alors, tu les a eues, cette fois ?
– Oui, madame, répondit Dolores en tendant le sachet de plastique transparent qu’elle venait d’extraire de sa poche.
La surveillante ganta ses mains de latex pour examiner la chose à la lueur de la lampe. Dolores remit en place une mèche de courts cheveux noirs qui lui chatouillait la nuque. Les ailes de son nez légèrement épaté frémirent lorsque l’autre releva la tête.
– Tu te fous de moi ?
– Non, madame, je vous jure que…
– Il est sec, ce sang, coagulé depuis trois heures au moins.
Elle brandissait le tampon périodique ensanglanté prisonnier de la poche.
– Baisse ta culotte !
Le visage de Dolores se ferma.
– Si je refuse ?
La surveillante montra la porte du menton.
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