Patrick Boucheron
- Manque-t-il à l’homme du XXIe siècle une dimension spirituelle qui l’aiderait à penser la réparation ?
- Elle nous manque car nous ne savons pas la reconnaître. Le "Yes We Can" de Barack Obama proposait le salut. C’est ce qu’on appelle le "Tikkoun Olam" : une conception de la mystique juive de la réparation du monde qui date du XVIe siècle. Son fondateur, Isaac Louria, soutient que le monde se recrée sans cesse. Le moment clef de sa recréation, c’est lors-que nous, humains, le réparons. Ce monde est organisé en sphères de lumière, les "sefirot", dix vases qui représentent des valeurs telles que la générosité, l’éternité, etc. Vient un moment où ces vases se brisent. Leurs lumières se dispersent et les hommes doivent les rassembler pour réparer le monde. Le "Tikkoun Olam" est le moment où les hommes, parce que les vases se sont brisés, parcourent le monde pour récupérer les étincelles.
- S’il devait y avoir une ordonnance délivrant un remède pour la réparation, ne devrait-elle pas prescrire plus d’art et de culture ?
- C’est exactement ce que répondait le philosophe Michel Foucault (1926-1984) à la fin de sa vie, dans un entretien au Nouvel Observateur, lorsqu’il affirmait que le problème de notre époque est qu’on ne propose pas assez d’art et de culture et qu’il en faudrait plus pour qu’advienne « un âge nouveau de la curiosité ». Par réparation, il ne faut pas entendre un retour racorni sur les plaies du réel.
(dans Télérama 3702-3703 du 23 décembre 2020)
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