"Le pouvoir de bâtir, urbanisme et politique édilitaire à Milan (XIVe-XVe siècles), de Patrick Boucheron chez Points https://www.librest.com/livres/le-pouvoir-de-batir--urbanisme-et-politique-edilitaire-a-milan--xive-xve-siecles--patrick-boucheron_0-9828768_9782757899380.html?ctx=57b304c2058812a4ce2fe8ef3ee9ccfd
Présentation de l'éditeur :
Il était une fois des princes italiens qui, entre Moyen Âge et Renaissance, eurent la folle ambition de transformer une ville à l'image qu'ils se faisaient de leur propre pouvoir. Ces princes étaient les Visconti et les Sforza, seigneurs d'une ville, Milan, qui était alors l'une des métropoles les plus puissantes et les plus peuplées d'Europe occidentale. Riche d'une longue histoire d'autonomie civique, la ville de Milan avait les moyens de résister au geste des princes bâtisseurs. La cathédrale, le château et l'hôpital public y dessinent une configuration monumentale qui ne se ramène pas au diagramme idéal d'une structure de prestige, mais donne à comprendre, en mouvement, une histoire des pouvoirs. Ce livre en propose une histoire totale, de l'économie de la brique à la théorisation humaniste de l'art de bâtir, du monde des cours à celui des chantiers hydrauliques. On y croise Bramante et Léonard de Vinci, mais aussi des ingénieurs et des techniciens de l'édilité, et tous ceux qui, en l'habitant, en y travaillant ou en l'énonçant, font la ville en y tramant le sens social des lieux.
Patrick Boucheron
Historien, professeur au Collège de France. Spécialiste de l'histoire urbaine, politique et monumentale de l'Italie médiévale, il a notamment publié au Seuil Conjurer la peur (2013) et La Trace et l'Aura (2019). Issu de sa thèse de doctorat, le Pouvoir de bâtir est son premier livre, paru initialement à l'École française de Rome en 1998.
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Lorsque l'on parle de la peur du tyran, qui a peur de qui ? Ne finit-il pas toujours par tomber dans le piège de la peur qu'il inspire ? Et inversement, le gouvernement injuste n'est-il pas celui qui se targue de n'avoir peur de rien, celui dont les dirigeants sont sans vergogne - c'est-à-dire, disait Machiavel, privé de la honte que laisse craindre la colère des autres ? L'histoire redevient alors comme Walter Benjamin l'avait rêvée : un avertisseur -d'incendie.
Lire, c’est s’exercer à la gratitude.
(...) certains jours je commence à trouver que ça pèse, je me dis qu'il se pourrait bien que ce soit ça, finalement, ce que les manuels d'histoire nommaient « la montée des périls » pour désigner, avec leur confortable recul, les années trente en Europe. Il y a beau temps que je me demandais ce que ça pouvait bien faire au corps, au cœur et à l'esprit de vivre une période où d'une année à l'autre tous les signaux passent au rouge: est-ce qu'on s'en aperçoit, est-ce qu'on en prend la mesure, est-ce qu'on y pense, est-ce qu'on en rêve, est-ce qu'on en est malade, est-ce qu'on se laisse prendre par surprise, est-ce qu'on se sent condamné à l'impuissance, est-ce qu'on décide d'agir, mais alors pour faire quoi, est-ce qu'on pense à partir, si on peut, et quand?
Dans le champ de l’économie politique, le management est le laboratoire d’une politique de la peur : la crainte qu’inspire le chômage aux salariés est le principal levier de domination, alors que les employeurs, pour leur part, n’ont rien à craindre de personne.
L’unité de la peur n’est donc pas un artéfact de la psychologie de masse ; c’est un projet politique qui s’élabore par le biais des autorités, de l’idéologie et de l’action collective.

- Manque-t-il à l’homme du XXIe siècle une dimension spirituelle qui l’aiderait à penser la réparation ?
- Elle nous manque car nous ne savons pas la reconnaître. Le "Yes We Can" de Barack Obama proposait le salut. C’est ce qu’on appelle le "Tikkoun Olam" : une conception de la mystique juive de la réparation du monde qui date du XVIe siècle. Son fondateur, Isaac Louria, soutient que le monde se recrée sans cesse. Le moment clef de sa recréation, c’est lors-que nous, humains, le réparons. Ce monde est organisé en sphères de lumière, les "sefirot", dix vases qui représentent des valeurs telles que la générosité, l’éternité, etc. Vient un moment où ces vases se brisent. Leurs lumières se dispersent et les hommes doivent les rassembler pour réparer le monde. Le "Tikkoun Olam" est le moment où les hommes, parce que les vases se sont brisés, parcourent le monde pour récupérer les étincelles.
- S’il devait y avoir une ordonnance délivrant un remède pour la réparation, ne devrait-elle pas prescrire plus d’art et de culture ?
- C’est exactement ce que répondait le philosophe Michel Foucault (1926-1984) à la fin de sa vie, dans un entretien au Nouvel Observateur, lorsqu’il affirmait que le problème de notre époque est qu’on ne propose pas assez d’art et de culture et qu’il en faudrait plus pour qu’advienne « un âge nouveau de la curiosité ». Par réparation, il ne faut pas entendre un retour racorni sur les plaies du réel.
(dans Télérama 3702-3703 du 23 décembre 2020)
Dans le champ de l’économie politique, le management est le laboratoire d’une politique de la peur : la crainte qu’inspire le chômage aux salariés est le principal levier de domination, alors que les employeurs, pour leur part, n’ont rien à craindre de personne.
Une brèche peut être minuscule, elle ne se referme jamais tout à fait, dès lors qu'elle lézarde et rend friable ce que l'on croyait si intangible et solidement établi. Car ce que l'on a aperçu au travers de cette brèche, aucun pouvoir ne pourra faire en sorte qu'on l'ait pas vu. Dès lors s'y engouffre une autre histoire, qui a toujours à voir avec l'effraction des discours, et qui rend impossible tout retour au cours normal des choses.
Nous sommes au coeur de la tourmente, car qui ne voit aujourd'hui qu'elle prend deux formes également assourdissantes : celle des bavardages incessants et celle du grand silence apeuré ? Nous ne pourrons les affronter que par une conjuration de patience, de travail, d'amitié, d'invention, de courage - bref une conjuration d'intelligences qui trouve sa forme dans l'ordre des livres dont je veux défendre la cause. Lire, c'est s'exercer à la gratitude. (p. 28)
Le De natura rerum de Lucrèce était-il un livre dangereux ? Moins qu’on a pu le dire. Certains historiens se plaisent à imaginer que sa redécouverte en 1417 par l’humaniste Poggio Bracciolini, dit le Pogge, a pu faire dévier le cours du monde, le précipitant soudainement dans la modernité. On comprend pourquoi cette idée les tente : elle élargit aux sociétés humaines cette expérience littéraire qu’ils chérissent en tant que lettrés. Mais elles prêtent trop au pouvoir de lire. Jamais les livres ne produisent de révolutions. Ils ne deviennent nos alliés que si nous sommes préparés à les lire. Ils sont des maîtres de liberté, oui, mais seulement pour ceux qui sont suffisamment libres.