Conversation avec Ian Manook pour "La Mort nomade" - lecteurs.com .
Anita, membre de la communauté lecteurs.com, a rencontré l'écrivain Ian Manook pour discuter de son roman "La Mort nomade" et des projets à venir. Visitez le site : http://www.lecteurs.com/ Suivez lecteurs.com sur les réseaux sociaux : Facebook : https://www.facebook.com/orange.lecteurs/ Twitter : https://twitter.com/OrangeLecteurs Instagram : https://www.instagram.com/lecteurs_com/ Youtube : https://www.youtube.com/c/Lecteurs Dailymotion : http://www.dailymotion.com/OrangeLecteurs
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La beauté des paysages n’est souvent que la beauté des solitudes. Le voyage ne s’enrichit pas seulement des images, mais de la vie de ceux qui habitent ce que nous ne croyons être que des images. La solitude des paysages fait s’engouffrer l’univers en nous et souffler le vent du monde dans nos âmes. Le monde et nous. Nos solitudes et l’univers. Tel est le sens de la halte et du temps qu’elle arrête pour nous.

Les hommes se mettent face à face pour s'affronter, et côte à côte pour se connaître. je suis convaincu depuis que c'est un principe universel. [...]
Voyager côte à côte, marcher ensemble, régler son pas l'un sur l'autre, se parler en regardant la même route, ou chacun de son côté le même paysage, déjà l'image est belle et suffirait à faire opter pour cette sagesse. Mais c'est à l'étape que ce précepte prend tout son sens. Depuis longtemps je ne m'assied plus face aux gens, mais à leur côté. Ce simple détail suffit souvent à changer l'émotion des rencontres, même dans les longs silences partagés que le face-à-face ne permet pas sans gêne. Côte à côte, on a toujours l'impression que l'horizon, au loin, rapproche les vies parallèles. Face à face en revanche, la présence de l'un marque physiquement la limite de l'autre, influant sur la durée de l'échange, car si l'on peut rester longtemps sans rien se dire côte à côte, face à face le silence de l'autre pousse vite au bavardage ou au départ. C'est presque le symbole de l'étape, qu'on pourrait définir comme le moment et le lieu statiques où l'on croise la vie d'autres gens. On ne s'y percute pas comme dans un face-à-face. Toute la perspective de l'un est ouverte au regard de l'autre.
p.38-39
Je préfère l'étape au parcours et j'aime laisser mes étapes se construire autour de rencontres inattendues que le temps favorise. Mes petites astuces pour y parvenir sont simples : si vous le pouvez, ne laissez pas l'échéance du voyage déterminer vos étapes et ne préparez l'étape suivante que si le désir de quitter la précédente s'impose doucement à vous. Prenez l'habitude de vous asseoir à côté des gens plutôt qu'en face d'eux, faites vôtres certaines de leurs préférences et défendez-les avec eux, apprenez quelques gestes quotidiens à partager en toute complicité, choisissez de vivre des rencontres plutôt que de voir des choses... La nonchalance fera le reste, qui n'est ni un désintérêt, ni une paresse, mais la démarche élégante et naturelle d'un voyageur qui se sait un étranger qui passe.

J'ai fait en Mongolie un grand détour juste pour revenir partager l'un de ces instants privilégiés dans un lieu que j'avais aimé. Sous une large véranda en bois, face au petit campement de yourtes de Gobi Mon, au milieu des steppes parcourues de troupeaux sauvages, du crépuscule jusqu'à la nuit, je suis resté assis à côté de ceux dont je ne parlais pas la langue, m'imprégnant du bonheur d'être simplement là, à boire de l'aïrag en silence. Quand, tard dans la nuit, dans l'ombre des choses, sous une immense lune rousse, j'ai demandé à mon guide de traduire à mes hôtes l'émotion que je ressentais, l'un d'eux a répondu quelques mots dans sa belle langue toute en murmures : " La halte est le bonheur des nomades. C'est le temps immobile qui nous imprègne du monde." Comme nous buvions du thé au lait salé, l'image m'est venue d'une émotion qui infuse en nous. Le monde c'est l'eau, l'herbe c'est nous. Seul ce qui sort de notre moi le plus intime donne sa couleur et son goût au monde qui nous entoure. C'est en cela que chaque voyageur fait un voyage différent.
C'est cette sensation que j'appelle depuis " mon thé mongol", et que je m'efforce de siroter chaque fois que je peux m'arrêter quelque part où je suis bien, de préférence assis avec nonchalance à côté d'étrangers ue je viens de rencontrer.
p.50-51

On dit en Chine que le vrai voyageur ne sait pas où il va. Un voyageur , en effet, ce n'est pas quelqu'un qui va quelque part. Cela, c'est un visiteur qui va, qui visite et qui revient. Si le voyageur sait où il va, alors il n'a pas la surprise de la découverte ou de la rencontre. Il n'y a pas pire étape que celle qui ressemble à l'idée qu'on s'en faisait. Pour voyager heureux, il faut voyager surpris, c'est-à-dire ne pas avoir de but pour saisir, à chaque instant, l'occasion d'une halte imprévue. En d'autres termes, la force du voyage, c'est ce qui nous en détourne.
Tel est le sans que je donne à ce dicton rwandais selon lequel "la route n'enseigne pas au voyageur ce qui l'attend à l'étape". J'ai fait mienne cette idée selon laquelle l'étape et l'itinéraire sont deux aventures parallèles mais distinctes. Sans doute notre erreur est-elle de toujours vouloir lier les deux, et de ne faire des étapes que les jalons d'un itinéraire, ou de l'itinéraire qu'un moyen de relier des étapes. Peut-être faut-il vivre au contraire les deux simultanément mais de façon différente. L'itinéraire nous déplace dans le temps et l'espace, et l'étape nous y replace.
p.32-33
Ce qui rend le voyage nonchalant ,c'est l'absence de l'obsession du terme ,la liberté soudaine et choisie d'apprécier le temps présent,et non le temps passé ou qui reste à venir. Cette nonchalance , quand on la goûte,change la perception du voyage.
Le trajet, qui incarne le voyage dans l'espace, diffère donc de l'étape, qui incarne le voyage dans le temps. Le trajet est de l'ordre du physique et de la perception, l'étape de l'ordre de l'intime et de l'émotion.
S'asseoir avec nonchalance aux côtés d'une personne de rencontre, c'est aborder la rencontre dans un esprit de partage plus que de confrontation.
Je suis de votre age, mon fils ainé qui habite Montreal vient de nous signaler la présence d'un de vos personnages qui son père/mon mari géologue de passage en Mongolie dans votre roman signé Ian Manook, c'est ABSOLUMENT inoui!! Moi aussi j'ecris beaucup et me considère "a pilgrim " Mère de famille aventurière . S'il vous plait puissiez vous me contacter ? MERCI beaucoup !J'ai hâte !
Pour moi, le voyage idéal est sans but ou sans terme précis, et se définit par ses haltes et ses étapes plus que par son itinéraire.