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Citation de VALENTYNE


Je venais d’accomplir un double saut périlleux au bord de l’étang et j’attendais les commentaires du maître, mais au lieu de parler normalement, d’une voix calme, il me saisit le bras en un geste soudain de panique.

– Écoute, me dit-il. Et puis le répéta : écoute ça. Ils arrivent. Les salauds, ils arrivent. Je tendis l’oreille et, en effet, le bruit devenait plus fort. Quelques secondes passèrent, et je compris alors que c’étaient des chevaux, un fracas de sabots chargeant au galop dans notre direction.

– Ne bouge pas, fit le maître. Reste où tu es et ne bouge pas un muscle avant que je ne revienne.

Et puis, sans un mot explication, il partit en courant vers la maison, fonçant à travers champs comme un sprinter. Ignorant son ordre, je me lançai derrière lui à toute la vitesse de mes jambes. La maison se trouvait au moins à quatre cents yards mais avant d’en avoir parcouru cent nous apercevions déjà les flammes, une éruption de lueurs rouge et jaune dansant sur le ciel noir. Nous entendîmes des cris, des youyous guerriers, une rafale de coups de feu, et puis nous entendîmes sans doute possible des hurlements humains. Le maître courait toujours, augmentant régulièrement la distance entre nous, mais lorsqu’il arriva au bosquet de chênes qui se dressait derrière la grange, il s’arrêta. Je parvins à mon tour à la lisière des arbres, bien décidé à continuer jusqu’à la maison, mais le maître m’aperçut du coin de l’œil et me plaqua au sol avant que je fasse un pas de plus.

– C’est trop tard, me dit-il. Si on y va maintenant, on se fera tuer, c’est tout. Ils sont douze et nous sommes deux, et ils ont des carabines et des revolvers. Prie Dieu qu’ils ne trouvent pas, Walt. Nous ne pouvons rien pour les autres.

Et nous restâmes là, impuissants, derrière les arbres, à regarder le Ku Klux Klan dans ses œuvres. Une douzaine d’hommes sur une douzaine de chevaux caracolaient dans la cour, une meute d’assassins glapissants avec des draps blancs sur la tête, et nous étions incapables de nous opposer à eux.

Ils traînèrent Esope et maman Sioux hors de la maison embrasée, leur mirent des cordes autour du cou et les pendirent à l’orme au bord du chemin, chacun à une branche différente. Esope hurla, maman Sioux ne dit rien, et en quelques secondes ils étaient morts tous les deux. Mes deux meilleurs amis avaient été assassinés sous mes yeux et je n’avais rien pu faire que regarder en luttant contre mes larmes, avec la main de maître Yehudi cramponnée sur ma bouche. La tuerie terminée, l’un des hommes ficha dans le sol une croix de bois, l’inonda d’essence et y mit le feu. La croix brûla comme brûlait la maison, les hommes poussèrent encore quelques cris de guerre en tirant en l’air des charges de chevrotine, puis tous remontèrent sur leurs chevaux et repartirent en direction de Cibola. La maison était incandescente, une boule de feu, une fournaise de poutres rugissantes, et lorsque le dernier des hommes disparut, le toit avait déjà cédé et s’écroulait sur le sol dans une pluie d’étincelles et de météores. J’avais l’impression d’avoir vu le soleil exploser. J’avais l’impression d’avoir été le témoin de la fin du monde.
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