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Citation de SZRAMOWO


Aucune des tribus germaniques n’a eu de dieu du Soleil. Païens comme des professeurs de philosophie, les Visigoths, les Francs et les Vandales se gardèrent bien de croire en quelque chose qu’ils ne voyaient pas. Râ, Hélios, Huitzilopochtli – mon nom pour le soleil, moi, c’est Charlie. Je me faufile parmi les piétons et j’imagine quelque Hun flâneur, deux mille ans plus tôt, chaussé non pas de Birkenstock mais de sandales de paille, empruntant le même sentier en quête de traces solaires dans cette nature désormais bétonnée. Mais je ne capte que des éclats de la divinité jaune, la couronne chatoyante à travers les feuilles des arbres en fleurs du parc de Tiergarten, le lustre herbalescent du shampoing dans les mèches raides hippies d’une grande blonde, peut-être un reflet dans la façade glaciale d’un gratte-ciel. Ces apparitions ne sont jamais plus que des éclipses partielles ; parapet de château ou clocher d’église, il y a toujours quelque chose qui empêche de voir correctement.
Sachant que les Égyptiens n’ont rien accompli de remarquable depuis trois mille ans, les ingénieurs civils de Berlin ont dû emboîter le pas aux Anciens. De même que les hommes de science de Gizeh construisirent les pyramides de Kheops de façon qu’elles soient dans l’axe du pôle céleste, les urbanistes de Berlin ont établi un code de répartition en zones qui semble stipuler que toute structure, qu’il s’agisse d’un bâtiment, d’un panneau d’affichage, d’un lampadaire ou d’un nid d’oiseau, soit érigée à une hauteur telle, ou de manière telle, que toute personne de stature normale se tenant n’importe où à l’intérieur des limites de la ville ne puisse avoir une vue dégagée, non obstruée, du soleil.
J’abandonne toujours commodément ma quête sur la Winterfeldplatz, tandis que les cloches de Saint-Matthias retentissent dans le crépuscule, marquant la fin de la chasse. Le ciel s’assombrit. L’odeur âcre de pita carbonisée et de shawarma flotte dans l’air. Un vieil homme passe sur un vélo deux-vitesses tout grinçant. Une femme maudit sa fille peu coopérative. Les lumières à l’intérieur du Slumberland Bar s’allument en un clignotement. Depuis le temps que je vis ici, j’ai vu un et un seul coucher de soleil. Et sans la réunification de l’Allemagne, il n’y en aurait même pas eu autant que ça.
La sonnerie retentit, mais avant même que je commence à me redresser, la réceptionniste règle la minuterie pour un quart d’heure supplémentaire, remet ma chanson, et me fait signe de me rallonger. En retournant s’asseoir, elle écoute la musique, un coin de bouche retroussé en un sourire fort impressionné. Soudain, ce coin s’abaisse en une moue songeuse. Ses doigts cessent de danser. Ses pieds cessent de taper. Elle veut savoir pourquoi. Pourquoi je me fais bronzer. Pourquoi je suis venu en Allemagne. Je lui dis qu’il me faudra plus d’un quart d’heure pour répondre à cette question. Il faudra qu’on ait une bonne vieille liaison à l’horizontale, nous deux, du genre que la verticalité au quotidien des rendez-vous, des joggings et du lèche-vitrines finit par détruire au bout de deux ans. J’en serais déjà à lui envoyer des cartes postales avec des haïkus accidentels griffonnés à la hâte au verso…
Au lit repos. Un baiser.
Bientôt comme mon pied touche sol –
La merde décolle.
… que sa question demeurera encore sans réponse, puis je l’appellerai en pleurnichant : « Je t’ai envoyé une carte postale, je t’en prie, ne la lis pas. » Elle voudra se séparer de moi, mais ne mènera pas le processus à son terme car elle ne saura toujours pas pourquoi.
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