Chaque mois, un grand nom de la littérature contemporaine est invité par la BnF, le Centre national du livre et France Culture à parler de sa pratique de l'écriture. L'écrivain Stefan Hertmans est à l'honneur de cette nouvelle séance.
Rencontre animée par Cécile Bidault, productrice chez France Culture
QUI EST STEFAN HERTMANS ?
Stefan Hertmans, né à Gand en 1951, a publié plusieurs recueils de poésie, des essais et des romans. Son oeuvre poétique a été récompensée par le prix triennal de la Communauté flamande. Son roman Guerre et Térébenthine, traduit dans vingt-quatre langues, a été nommé pour le Man Booker International Prize. Il a publié tous ses romans aux éditions Gallimard, dont Une ascension en janvier 2022. Dans la collection « Arcades » paraît également en mai 2022 Poétique du silence, un volume regroupant quatre essais de Stefan Hertmans sur la modernité poétique dans ses rapports au langage et au mutisme, concentré de ses réflexions sur les oeuvres de Hölderlin, de Paul Celan et De W.G. Sebald notamment.
En savoir plus sur les masterclasses littéraires : https://www.bnf.fr/fr/agenda/masterclasses-en-lisant-en-ecrivant
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Eloge du lointain
(in Pavot et mémoire )
Dans la source de tes yeux
Vivent les filets des pêcheurs des mers devenues folles
Dans la source de tes yeux
la mer tient sa promesse
J'y précipite
cœur ayant vécu parmi les humains
les vêtements que j'ai portés
l'éclat d'un serment
Plus noir que dans le noir, je suis encore plus nu
Je suis toi, quand moi je suis moi
Dans la source de tes yeux
j'erre et je rêve de pillage
Dans la source de tes yeux
Un pendu étrangle la corde
Fais que ton œil dans la chambre soit une bougie, ton regard une mèche,
fais moi être assez aveugle pour l'allumer.
*******
À la source de tes yeux
vivent les filets des pêcheurs d'eaux folles.
À la source de tes yeux
la mer tient sa promesse.
Je jette là
un cœur qui a vécu parmi les hommes,
jette bas mes vêtements et l'éclat d'un serment
Plus noir dans le noir je suis plus nu.
Infidèle seulement je suis fidèle.
Je suis tu quand je suis je.
À la source de tes yeux
je suis emporté et je rêve de rapine.
Un filet a pêché un filet :
nous nous séparons enlacés.
À la source de tes yeux
un pendu étrangle sa corde.
(Louange du lointain du Recueil Pavot et Mémoire)
Le poème peut être une bouteille jetée à la mer, abandonnée à l'espoir - certes souvent fragile - qu'elle pourra un jour, quelque part, être recueillie sur une plage, sur la plage du cœur peut-être.
Aussi nous voulons être là
dans un temps qui dit le mot amplifié
où le millénaire, juvénile, quitte la neige,
l’œil qui erre
repose dans son propre étonnement,
et refuge et étoile
voisins se tiennent alors dans la bleuité
comme si le chemin était déjà parcouru à grands pas.
(poème paru dans la revue Diérèse N°85 / traduction Joël Vincent)
Dans la jungle du sang, c’est là
que se tient l’adieu, doigts -
effilés, à
chaque bout, en forme -
de cœur, une
loupe, et là
les tigres capturent
du jour
« Du fonds posthume », extrait paru dans la revue Diérèse (85), traduction Joël Vincent
je sais
je sais et tu sais, nous savions ;
nous ne savions pas, nous
étions bien là et non là-bas, et parfois,
à condition qu’entre nous
le Rien se dressât, tout à fait,
nous nous trouvions
unis l’un à l’autre.
(traduction Maurice Blanchot)
Je ne fais pas de différence entre un poème et une poignée de main.
L’art déplace le moi au plus loin.
Le méridien
Rapport d’été
Le tapis de thym sur lequel
on ne marche plus, qu'on contourne.
Une ligne vide placée en travers
sur la bruyère des marais.
Néant porté dans les bris de vent.
Rencontres, de nouveau, avec
des mots isolés, comme :
éboulement, herbes dures, temps.
PSAUME
Personne ne nous pétrira de nouveau de terre et d'argile,
personne ne soufflera la parole sur notre poussière.
Personne.
Loué sois-tu, Personne.
C'est pour te plaire que nous voulons
fleurir.
À ton
encontre.
Un Rien,
voilà ce que nous fûmes, sommes et
resterons, fleurissant
la Rose de Néant, la
Rose de Personne.
Avec
le style, lumineux d'âme,
le filet d'étamine, ravage de ciel,
la couronne rouge
du mot pourpre que nous chantions,
au-dessus, ô, au-dessus
de l'épine.