AU PLUS CALME
C'était ici. Un novembre sans hâte,
le ciel rivé aux socles de la brume.
Un vol de migrateurs y pesait un instant
de tout le poids de son hautain message.
C'était ici. Tour à tour enclos
et libre élan de la terre boueuse,
la campagne hésitait au déclin de sa tâche
entre l'absence et le sursaut rebelle.
C'était ici. Le jour tenait aux arbres
comme un fruit desséché dans l'attente du vent.
Il nous fallait en supputer la chute,
déjà la vivre en son bref dénouement.
C'était ici. ô mes très vieilles peurs,
que vous m'avez révélé à ma nuit.
MAI
Exhausse
Jeune vent
L'indécence du sable
Exhausse
Jeune sable
L'indécence du vent
Pour plus amples périls
CETTE NEIGE-LÀ
Il neigeait sur sa mort
comme on feutre de ciel un poème trop rude,
comme les mains de l'épousée
ouvrent les draps de noce,
comme on parle d'amour pour le première fois.
Cette neige-là apprenait à dire
son nom au silence, apprenait à croire
qu'une odeur de terre
fraîchement remuée
imprégnerait longtemps encore
les mots dont il creusait l'hiver
jusqu'à ce qu'il s'écroule
sous son poids d'arbres secs.
Cette neige-là sculptait de mémoire
un pays caché dans le cœur des hommes,
un pays que nul ne saurait atteindre
si le sang de tous n'en montre la route,
cette neige-là, c'était son visage,
celle qui fait la faim, celle qui fait la peur,
celle que boit aussi le bourgeon éclaté,
celle qui sort de l'ombre à pas de loup en Mars,
celle qui fait le fleuve
dans les ventres des sources,
celle qui protège
le sommeil du blé,
celle de tout espoir.
Cette neige-là c'est son rendez-vous.
Soudaine Écorce (1967)
UN LONG JOUR TORRIDE…
Là-bas s’épanchera
dans le vol régnant
d’une libellule
un long jour torride.
N’approche pas cette ferveur :
c’est toujours en toi que tu brûles,
toujours en toi
le ravage et le glissement.
Le sagittaire des marais
au fond d’un dieu
t’égare.
C’était hier et c’est demain
Où le sable détourne
Où le vent rature
Où le jour creuse et vrille
Où le jour ouvre large illimité
Où la nuit désancre
Où la nuit déporte
Où la marge fulgure
Où la vacance attise
Où la parole écarte
Où le silence joint
Où la neige n’est plus
Que veilleuse clarté
Où le corbeau s’estompe
Dans ses croassements
Où l’hiver mène haut
Sa chasse de roideur
Où c’est prendre visage
Que brûler d’une attente
Là ma demeure
Flamme profondément