LA PROVINCE
Dans le salon en sac arabe, nous regardions passer le dimanche.
Il avait une échelle sous le bras et une truelle en bandoulière.
L’horloge sonnait précieusement, dans une odeur de poires conservées.
Sur un fauteuil traînait un bout de fil : c’était la semaine.
LA CHANSON DU PETIT CROCODILE À VAPEUR
Sucre-toi
wa-wa-wa
sucre-toi la p’tite gaufrette
Sucre-toi
wa-wa-wa
sucre-toi sur tous les toits
ÉTROIT
Ici, le moisi, la chouette,
l’angle, l’opaque, les dents,
l’album à coquillages,
le biseau, la rouille, le sel…
Ici, le mur, le destin,
le poing, la cadence lente,
le tapis rongé par les mites,
la pourpre, l’iode, les os…
Ici, l’hiver fendu qui saigne,
le cellier amer, le broc froid,
l’acide, le dur, le sec, le peigne,
l’estragon et l’envie.
LA POINTURE EXACTE
Pour trouver chaussure à son pied, un gandin avisé achète
le Manuel du Parfait Serrurier.
Muni d’un trousseau de clés, il inspecte toutes les espèces
de serrures, sauf celles qui n’en valent pas le pène.
Pour les fausses serrures, il utilise l’index de la main.
Pour les serrures sèches, il se sert d’un arrosoir de poche.
Voici l’itinéraire : la serrure élue donne le chausse-pied, le
chausse-pied, l’onguent, l’onguent, le baril, le baril, l’enfant.
BAISERS DANS LE COU
Kiokk pou kioo pou
Amm fiouré dyoli dyoutchel
Kiokk pou kokkiokk / piopou
Ammiou souffiour édyioli djèl / aïlou…
Kiokk pou
Kiokk poukakinn ammabaïon
Kiokk a dje stoûr a dje stoûr
A djè stoûr a djok vioukou-oû
Tchoukiokk a kiokkk
Tchoukiokk a kiokk
Ioum fiarfinnail a ioum a ioû
Tchoup kiokokk
Tchioup klokla kiokk
Kiokk poû !
Fiarfinn Fiarfinn Fiarfinnailloû…
Ces textes de Claude COLINET me font penser aux inventions verbales de Henri MICHAUX.
AVIS
Le violoncelliste-amateur Adhémar Duranty fera éclater son
instrument en public dimanche prochain, 1er courant, au Salon
des Vrais Amis, Place Emile Vandervelde.
Gonflage de l’appareil à 8 heures.
L’éclatement est prévu pour 8h30.
Les débris de l’instrument seront distribués gratuitement à l’assistance.
Tous les amateurs de belle musique sont invités à assister à la séance.
Place pour tous ! Qu’on se le dise.
LE SOLEIL LA NUIT
Sous une maison de soleil
où l’on entre par la fenêtre
une servante aux yeux vermeils
en chantant adore son maître
Ses yeux éclairent son miroir
cajolé d’ailes qui sont fées
et qui font tourner sans les voir
des moulins de blonde fumée.
Et le maître est l’or du sommeil
et la servante c’est la Reine
mariés du miroir et pareils
aux images de haute laine.
LA PARABOLE
La maison blanche est toute noire. La maison noire est toute blanche. Elles habitent la même fable. Elles ont le génie de se ressembler.
Leur nom est patience. Elles méditent leur paysage. Elles s’ouvrent en se fermant.
Elles sont parées d’elles-mêmes. Elles vivent l’une dans l’autre. Elles retiennent de fortes étoiles. Elles ne se déplacent jamais.
LA POUPÉE
Il y a des petits oiseaux de chatouilles dans le jeu de billes de
son ventre.
Il y a des bouquets de petits chats dans ses jolis yeux.
Elle tient dans ses mains des murmures, des rubans, des anneaux,
des myosotis.
LA MAGIE NOIRE
Les couleurs montantes du désir triompheront-elles de ce petit cercle fascinant qui commande encore aux noires étreintes de la lumière ?